§1. Homogénéité des groupes solidaires : justifications théoriques et évidences empiriques

Le modèle de Ghatak [1999] ou encore celui de Van Tassel [1999] montrent comment l’information parfaite dont bénéficient les emprunteurs potentiels quant au niveau de risque que représente le projet de chacun d’entre eux conduit, au travers du prêt groupé, au regroupement des emprunteurs de type similaire du point de vue du niveau de risque de leur projet 236 . Ces résultats théoriques suggèrent donc l’existence d’un processus de sélection préalable à la formation du groupe et conduisant à des groupes de composition « homogène » du point de vue du niveau de risque des projets entrepris par chacun des membres. Cette homogénéité est supposée se répercuter favorablement sur les performances du groupe en termes de remboursement puisqu’elle est censée renforcer la capacité des membres à s’auto-contrôler et favoriser le recours à la pression ou sanction sociale [Stiglitz, 1990; Besley et Coate, 1995].

Cependant, de nombreux travaux empiriques nuancent d’une part la validité de la constitution de groupes d’emblée homogènes et, d’autre part, l’influence positive de cette homogénéité sur les performances appréhendées au travers de taux de remboursement.

L’étude de terrain menée par Julia Paxton [1996] au Burkina Faso dévoile qu’au cours des renouvellements du crédit et de l’augmentation des montants prêtés par l’IMF, les stratégies et besoins financiers des membres des groupes de solidarités divergent et laissent apparaître que Julia Paxton nomme le matching problem. Ce phénomène implique que dans un premier temps les membres du groupe de solidarité s’accordent sur les conditions du prêt (montant, terme, etc.) mais elle note qu’au cours des différents renouvellements du crédit, des besoins financiers différents apparaissent cela engendre un décalage croissant de l’enjeu que représente le crédit (renouvellement, montant, etc) pour chacun des membres du groupe. Ce phénomène se traduit pour les groupes concernés par une moindre efficacité du mécanisme incitatif de renouvellement du crédit (credit replication) ou encore celui de l’augmentation des montants prêtés (progressive lending) sur les taux de remboursements enregistrés.

Les résultats de Paxton [1996] sont confirmés par ceux de Wydick [2000] qui démontre que le processus de sélection des emprunteurs survient après la formation du groupe sous la forme d’expulsions.

De surcroît, l’homogénéité des membres du groupe n’est dans de nombreux cas pas un gage de plus grande efficacité sur les taux de remboursement. C’est la conclusion à laquelle le travail de Zeller [1998] aboutit 237 . L’homogénéité en termes de niveaux de risque des membres du groupe n’a pas d’impact positif sur les performances du groupe en termes de remboursement. En effet, il démontre que la variance des actifs risqués 238 (qui donne une indication sur la diversification du risque et donc de l’hétérogénéité du groupe) a un impact significatif et positif sur le taux de remboursement. En revanche, une trop forte hétérogénéité (carré de la variable) se révèle négative sur les taux de remboursement.

D’autres contributions appréhendent l’homogénéité du groupe de solidarité au travers de variables telles que l’âge ou le niveau d’éducation de chacun des membres. C’est le cas de la contribution de Marie Godquin [2004] qui ne trouve pas d’impact positif significatif de l’homogénéité telle qu’évaluée sur le taux de remboursement. Exprimons ici une certaine réserve quant au choix des variables censées traduire et contrôler l’homogénéité des membres du groupe de solidarité. Par ailleurs, quelle justification théorique peut laisser supposer un lien quelconque entre ces variables et le taux de remboursement ?

Notons enfin qu’à notre connaissance aucune attention n’est portée à la diversité des stratégies d’emprunt entre les membres des groupes de solidarité. L’étape suivante de notre analyse s’intéresse donc à ce qui se passe non plus au niveau individuel mais au niveau du groupe de solidarité.

Notes
236.

Le modèle comprend deux emprunteurs, neutres au risque, distingués par la nature des projets qu’ils entreprennent. L’un sera dit sûr (safe) et le second risqué (risky). Le type de projet de l’emprunteur risqué à une probabilité plus faible de réussir mais conduit à un rendement supérieur lorsqu’il aboutit.

237.

La démarche de Zeller consiste à tester le pouvoir prédictif du modèle d’auto sélection des membres du groupe. Il cherche ainsi à connaître l’impact des variables relatives à l’homogénéité du groupe parmi les déterminants du taux de remboursement. Pour cela il analyse les déterminants du taux de remboursement de 141 groupes de prêts dépendant de 6 IMF de Madagascar.

238.

Évaluée par le coefficient de variation de la possession de terres hautes (diversification), le carré de cette variable est également une variable déterminante.