Introduction

L’expansion de la microfinance a constitué au cours des dix dernières années un fait observé partout dans le monde. Cependant, loin de se ralentir, cette croissance était vouée à se perpétuer afin d’atteindre en 2005 près de 100 millions de bénéficiaires des institutions de microfinance [Microcredit Summit, 1997 ; Morduch, 1999] 239 .

L’essor de la microfinance est favorisé par des initiatives que l’on peut qualifier de « privées » 240 ainsi que par les pouvoirs publics au travers des États ou des bailleurs de fonds. Activité « rentable » ou tout au moins « pérenne » pour certains et instrument « efficace » de lutte contre la pauvreté pour d’autres, la microfinance est consensuelle dans le sens où elle réconcilie deux ambitions que l’on considérait jusque-là antitétiques : lutter contre la pauvreté tout en favorisant l’essor de l’initiative privée, du « marché ».

En relâchant les contraintes de liquidité qui pèsent sur les ménages pauvres, les institutions de microfinance sont supposées leur permettre de réaliser des investissements productifs en vue de sécuriser voire d’accroître leurs revenus monétaires. Le volontarisme des dispositifs de microfinance appuyé par des subventions publiques a donc permis dans bien des contextes de rompre avec l’exclusion des personnes pauvres du circuit financier formel allant dans certaines régions jusqu’à générer un « marché concurrentiel » entre institutions de microfinance. Dans les principales zones urbaines de certains pays latino-américains, le marché y est même considéré comme « saturé ». Le cas illustratif est celui de la Bolivie où, selon les données du CGAP (Groupe Consultatif d’Assistance aux Pauvres), le taux de pénétration y est de 163% (CGAP, 2001) 241 .

Pourtant, si certains se réjouissent de cette croissance d’autres, loin de la remettre en cause, s’interrogent sur les effets négatifs dont elle est potentiellement porteuse. L’efficacité des innovations technologiques mises en œuvre par les institutions de microfinance serait selon Morduch [1999] réduite voire mise en péril en situation de concurrence ce qui se traduirait par un risque plus élevé de défaillance pour le remboursement des prêts au niveau de l’IMF.

L’émergence ou le renforcement de la concurrence entre dispositifs de microfinance occasionnerait donc un accroissement considérable des asymétries d’information auxquelles ces dispositifs font face afin d’assurer des taux de remboursements élevés. Dans ce contexte, les mécanismes incitatifs censés assurer des taux de remboursement élevés se révèleraient moins efficaces et la pérennité de la structure risquerait ainsi d’être fragilisée.

Cependant, si les effets attendus et avérés de la concurrence sur l’efficacité des mécanismes incitatifs ont été étudiés, nous nous interrogeons ici sur l’efficacité réelle de ces mêmes mécanismes en situation quasi-monopolistique. En effet, le succès des institutions de microfinance en partie érigé sur ces mécanismes semble avoir éludé presque totalement du débat académique les asymétries d’information. Celles-ci sont-elles pleinement surmontées par les innovations technologiques qui distinguent les institutions ou dispositifs de microfinance ?

Le mécanisme du progressive lending (augmentation régulière des montants prêtés en particulier) a spécifiquement retenu notre attention.

Une première section présentera une revue de la littérature des effets attendus et avérés de la concurrence sur les comportements des emprunteurs et reviendra sur les caractéristiques principales de l’offre de services financiers dans le contexte d’étude. Nous introduirons ensuite notre cadre analytique fondé sur le couple défection et prise de parole d’Hirschman. La conclusion qui se dégage de l’analyse de nos données de terrain est qu’en situation monopolistique la stratégie des emprunteurs pour rendre l’offre de l’IMF adéquate à leurs besoins évalués collectivement se porte sur une voie intermédiaire génératrice d’une forme nouvelle d’asymétrie d’information pour l’IMF.

Notes
239.

Le nombre actuel de bénéficiaires des services de microfinance est bien en deçà de la « demande » existante, bénéficiaires potentiels (voir à ce sujet l’étude réalisée par le CGAP sur le contexte latino-américain en 2001). En revanche, l’objectif de 100 millions de bénéficiaires pauvres ne semble pas atteint puisque le chiffre s’élèverait à 60 millions de personnes ayant accès aux services d’épargne, de crédit, etc. procurés par les dispositifs de microfinance.

240.

Dans certains contextes, les banques commerciales ont été attirées par la microfinance dans la mesure où celle-ci constituait une « nouvelle niche de marché », cette situation est illustrée par le cas du Chili (CGAP , 2001 : 6).

241.

Les chiffres de cette étude datent pour la plupart de 1999.