B. Évolution des conditions de l’offre en situation de concurrence

En premier lieu, la contribution de Hoff et Stiglitz [1997] montre que les subventions publiques favorisant l’entrée de dispositifs de prêts sur des marchés monopolistiques risquent d’entraîner des « sorties » du marché et de ne pas améliorer les conditions de prêt pour les emprunteurs. À partir d’un modèle basé sur les coûts d’exécution (enforcement costs) endogènes, l’entrée de nouveaux acteurs sur le « marché » génère des coûts de transactions plus élevés pour le prêteur (au travers de la diminution de sa part de marché) lesquels se traduisent par des taux d’intérêts plus élevés pour l’emprunteur. Le second mécanisme est celui qui démontre que l’augmentation du nombre de prêteurs réduit les incitations à rembourser du côté de l’emprunteur, l’accroissement des coûts d’exécutionse répercutera également sur le taux d’intérêt payé par chacun des emprunteurs. Enfin, le dernier mécanisme décrit dans cet article est celui qui énonce que l’échange d’information entre les prêteurs tend à diminuer avec l’entrée de nouveaux prêteurs, ce qui augmente le coût d’exécution et donc le taux d’intérêt.

En second lieu, la contribution également théorique de Villas-Boas et Schmidt-Morh [1999] démontre qu’en situation de concurrence parfaite et d’asymétries d’information, la concurrence aura pour effet, l’intensification de la sélection des emprunteurs, l’objectif étant pour le prêteur d’atteindre les meilleurs clients. Dans ces conditions, le bien être serait corrélé négativement avec l’intensité de la concurrence évaluée au travers de la « différenciation horizontale » 243

Enfin, Macintosh et Wydick [2004] montre que les dispositifs dont l’intervention n’est pas guidée par le profit restent viables dans la mesure où l’activité de prêt aux plus démunis est financée par celle auprès de populations moins pauvres 244 . Aussi, l’émergence de la concurrence, en mettant en présence des intervenants caractérisés par des objectifs hétérogènes, aura tendance à exclure les emprunteurs les plus démunis de l’accès aux services financiers car cette activité ne pourra plus être supportée financièrement par celle de prêt auprès d’emprunteurs plus favorisés. Leur travail démontre en outre que la concurrence génère un accroissement des asymétries d’information, lequel a pour effet d’inciter les emprunteurs les plus « impatients » à emprunter simultanément auprès de plusieurs dispositifs. Aussi, les emprunteurs les plus favorisés et impatients seront les bénéficiaires de la concurrence au détriment des emprunteurs patients et défavorisés.

Dans certaines conditions, la concurrence semble pourtant avoir un effet plus positif dans la mesure où elle permet d’atteindre des « segments » de la population non desservis par les dispositifs pionniers. C’est la conclusion à laquelle aboutit l’analyse réalisée par Navajas et al. [2003].

Analysant la situation de la concurrence dans le contexte bolivien, les auteurs démontrent que deux institutions différentes 245 peuvent coexister sur le même marché si chacune d’entre elles attire au travers de sa philosophie et de sa méthodologie des bénéficiaires/clients aux caractéristiques socio-économiques différentes. Il s’agit là d’une forme de segmentation du marché plus ou moins complète, chaque structure sur son « segment de marché » étant en situation de monopole.

Face à ces constats et mise à part les conclusions du travail de Navajas et al. [2003], faut-il militer en faveur d’une protection des situations de monopole ? La réponse à cette question est évidente. Les crises traversées respectivement par Grameen Bank et Bancosol ont aussi eu des effets positifs, en impulsant des évolutions notables quant aux modalités d’intervention de ces structures 246 . Aussi, Morduch et Beatriz Armendariz de Aghion proposent-ils de veiller à promouvoir davantage une forme de coopération, de partage de l’information entre les différents dispositifs intervenant dans la même zone.

Revenons à présent à notre contexte d’étude et précisons à nouveau la situation du dispositif étudié par rapport aux formes variées de l’offre locale de crédit.

Notes
243.

La différence entre les produits est le fruit de leurs caractéristiques intrinsèques et non pas sur les prix ou « différenciation verticale ».

244.

Le terme utilisé est « cross subsidize », Macintosh et Wydick [2004].

245.

Dans le cas étudié, il s’agit de BancoSol et de Caja de Los Andes lesquelles se partagent actuellement près de 40% du « marché » du microcrédit dans la capitale de La Paz.

246.

Concernant Grameen Bank, les réformes impulsées par Grameen Bank II ont été de grande envergure. Parmi les mesures entreprises par cette volonté de mutation, soulignons à partir de Wampfler [2003]: 1/ L’abandon du rôle du groupe solidaire de cinq personnes comme pivot du système de prêt et le renforcement de la relation entre la Banque et l'emprunteur ; 2/ L’abandon du moins partiel du remboursement hebdomadaire et recherche de modes de remboursement plus souples, plus adaptés aux flux de liquidité des clients ; 3/ Le renforcement du rôle des techniciens au détriment des formes d'auto-organisation ; 4/ Un recours accru à l'informatisation comme élément essentiel pour des gains de productivité dans une organisation de ce type ; 5/ Le renforcement des éléments d'assurance comme réponse aux vulnérabilités multiples auxquelles les clients pauvres sont exposés ; 6/ La prise en compte du moyen et long terme dans les produits offerts aux clients, et du désir de promotion sociale à travers les enfants par la mise en place d'un système de bourses pour les élèves et étudiants issus de familles membres de la Grameen Bank.