§2. Réalisme des options offertes par la cadre analytique hirschmanien pour notre contexte : entre défection et prise de parole

A. Opportunité de l’option de la Défection

Rappelons que la situation que nous analysons est celle d’un dispositif de microfinance en situation quasi-monopolistique proposant une offre relativement « standardisée » 253 . Face, à cette offre, il existe une demande hétérogène en termes de besoins financiers et de capacités financières à honorer les dettes contractées auprès de l’IMF. Or, la situation quasi-monopolistique rend cette ressource en services de crédit aux caractéristiques spécifiques relativement rare. En effet, nous avons signalé que pour une large partie de la population, un faible degré de substitution prévaut entre les services proposés par l’IMF et les différentes alternatives présentes dans le village. Aussi, les ménages bénéficiaires de l’IMF ont intérêt, malgré un certain degré d’inadéquation des services offerts, à conserver cette source potentielle de liquidité.

En d’autres termes, dans le contexte de monopole, la défection (ou désertion) sera coûteuse car il s’avèrera difficile pour l’individu de se procurer la liquidité sous des conditions identiques à celles proposées par l’IMF.

Considérons la définition du concept de défection proposée par Hirschman :

‘“Exit means withdrawal from a relationship with a person or organization. If the relationship is a vital function, then the withdrawal is possible only if the same relationship can be re-established with another person or organization. Exit is therefore often predicated on the availability of choice, competition, and well-functioning markets.” (Hirschman, The New Palgrave dictionary, 1987 : 219).’

L’inadéquation de l’offre à la demande ou la baisse de la qualité des services vendus sera ressentie plus vivement par le client en situation de monopole qu’en situation de concurrence où il aura aisément la possibilité de recourir à d’autres firmes ou organisations afin de se procurer un produit ou service équivalent.

Dans ces conditions, quelle voie le client de l’IMF peut-il emprunter pour exprimer son mécontentement et faire converger l’offre de crédit de l’IMF vers la demande réelle exprimée par les ménages emprunteurs sans risquer de perdre l’accès à cette source de liquidité ?

Le Tableau 63 illustre les alternatives envisagées par Hirschman pour faire évoluer une offre qui ne serait pas satisfaisante pour le consommateur. Nous l’étendons au cas du monopole 254 .

Tableau 63 Le cadre théorique du couple défection-prise de parole en fonction de la situation de l’organisation concernée sur le marché
Situation de l’organisation Défection/désertion Prise de parole
CONCURRENCE=
Degré élevé de substituabilité entre les biens offerts par les firmes
« Aisée » ou non « coûteuse »
Mais, « insignifiante » si le fait d’un individu isolé (Bourdieu, 1984), doit être « massive » (Rauscher, 2002)
« Protestation individuelle impuissante » [Bourdieu, 1984]
Le fait d’organisations syndicales/Associations de consommateurs
« Quasi-MONOPOLE »=
Faible degré de substituabilité entre les biens offerts par différentes firmes ou présence d’une firme unique sur le marché du bien consommé
Coûteuse et « insignifiante » du fait de la situation monopolistique si elle est le fait d’un individu isolé « Protestation individuelle impuissante » [Bourdieu, 1984]
Le fait d’organisations syndicales/Associations de consommateurs

Source : Élaboration personnelle, extrait de Morvant [2006]

Hirschman précise donc que la situation de monopole n’est pas propice à la défection puisque les clients « n’ont aucun moyen de s’échapper » (Hirschman, 1995 :77). « La défection a donc généralement pour prémisses la disponibilité de choix, l’existence de concurrence et de marchés bien organisés. » (Hirschman, 1986 : 58).

La défection comme alternative principale doit donc a priori être exclue. Le rôle de la prise de parole revêt donc un sens particulier dans ces situations de monopole où «  (…) la défection est impossible, coûteuse ou traumatisante. » [ibid : 59]. Cette alternative peut-elle être arguée dans le cas du dispositif de microfinance étudié ?

Notes
253.

Exception faite des ajustements dans l’attribution des nouveaux crédits basés sur les performances individuelles au remboursement.

254.

Dans la mesure où le dispositif appréhendé se trouve dans une situation de monopole/ quasi-monopole, nous n’envisageons pas l’attitude dite du « loyalisme » qui présuppose la présence d’organisations rivales.