§1. Un niveau faible de défection

Il est de plus en plus fréquent que les études de marché dans le domaine de la microfinance analysent l’adéquation de l’offre à la demande au travers de l’indicateur de « sortie » des clients c’est-à-dire par calcul du taux d’« attrition ». L’attrition représente la perte -en pourcentage- d’individus par rapport à l’échantillon originel. Dans le cas de la microfinance, il s’agit donc d’évaluer le pourcentage de clients qui ont cessé de solliciter des crédits ou qui ont retiré leur épargne. Ce pourcentage est calculé sur une année, sur une portion de la période d’activité de l’IMF ou encore sur la totalité de la période de l’intervention.

Les motivations pour abandonner le dispositif de microfinance sont variées, elles peuvent êtres volontaires ou subies. Les raisons volontaires identifiées par les différentes études citées dans le travail de Pagura [2003] sont le plus souvent relatives aux caractéristiques de l’offre. Le caractère subi provient quant à lui de chocs externes individuels ou collectifs (Tableau 64).

Tableau 64. Causes de la défection: évidences empiriques
  Abandon volontaire
Insatisfaction avec caractéristiques de l’offre 
Abandon subi
Événement extérieur survenu de manière individuelle ou collective
Individuel - Fréquence et longueur des réunions de groupes solidaires 
- Taux d’intérêt ;
- Faiblesse des montants prêtés
- Maladie, décès ou autres chocs idiosyncratiques
- Défaut de remboursement
Collectif - Concurrence d’autres IMF - Chocs externes collectifs
- Défaut de remboursement du groupe solidaire
- Faillite de l’IMF, choc systémique.

Source : élaboration personnelle à partir de la revue de la littérature de Pagura [2003].

Les facteurs qui prédominent dans l’abandon du dispositif de microfinance par les clients varient selon les régions. En Afrique, les abandons sont davantage subis et résultent de facteurs liés à des faillites ou des chocs systémiques. En Asie et en Amérique latine, l’un des facteurs prédominants est lié à la concurrence entre IMF qui incite les clients à délaisser les dispositifs considérés moins avantageux.

Les évaluations de l’attrition (ou défection) qu’elle soit volontaire ou subie donnent des résultats intéressants, à mettre en perspective avec nos propres évaluations.

Ainsi, Pagura [2003] rapporte qu’au Bangladesh, le taux annuel de perte de clients est compris entre 11 et 20%.

En Amérique latine, une étude réalisée auprès de sept programmes de banques villageoises montre que seulement 35% des clients originels sont toujours actifs après trois années d’appartenance au dispositif [Painter et MkNelly, 1999]. Ces résultats vont selon les auteurs à l’encontre des hypothèses classiques selon lesquelles les clients solliciteront des crédits de plus en plus élevés et ce, sur des périodes très courtes de quelques mois à peine.

En Afrique enfin, les taux d’abandon sont particulièrement élevés puisqu’ils sont compris entre 14 et 60% annuels.

Nous avons procédé à l’évaluation de l’attrition ou défection au sein de groupes constituant notre base de données, ce qui signifie que nous n’évaluons l’attrition que pour les clients-emprunteurs.

Après reconstitution de l’historique de chacun des groupes de solidarité de notre base de données, nous aboutissons aux résultats suivants :

Tableau 65. Taux d’attrition au cours du temps
  N Minimum Maximum Moyenne
Deux cycles de credit achevés 50 ,00 ,60 ,0716
Trois cycles de credit achevés 50 ,00 ,80 ,1369
Quatre cycles de credit achevés 43 ,00 ,80 ,1897
Cinq cycles de credit achevés 23 ,00 ,60 ,1911

Sur cinq cycles de crédits (quatre ans environ), la moyenne de l’attrition se situe à 23% 260 . Ce niveau est particulièrement faible en comparaison avec les taux calculés disponibles dans la littérature évoquée ci-dessus. Il confirme que la voie de la défection n’est pas la voie privilégiée par les emprunteurs. Soulignons enfin que comme cela a été mentionné dans le chapitre précédent, les groupes solidaires dont le nombre d’emprunteurs ne varie pas ne signifie pas l’absence totale de changement de personne. Cette catégorie de groupe réprésente, nous l’avons dit, 16% des groupes a priori stables du point de vue du nombre d’emprunteurs au cours des différents cycles de crédit. Cette stratégie peut être illustrée par la situation de Fernando, client de la microbanque.

Encadré 15. Stratégie de substitution des membres du groupe solidaire
Fernando, homme d’une soixantaine d’années vit à Santa Catarina Loxicha. Il est client/membre de la microbanque mais en réalité il s’est substitué à sa fille qui était membre d’un groupe de solidarité. En effet, sa fille Carina a émigré aux Etats-Unis en 2002 mais ils n’ont pas voulu perdre l’accès à la microbanque donc c’est lui qui joue les intermédiaires. L’argent emprunté auprès de la microbanque lui sert à faire face à ses dépenses courantes et à acheter du matériel de construction. Le crédit est remboursé grâce à l’argent envoyé par Carina. Leur projet est de construire une maison en s’appuyant sur « l’aide » fournie par la microbanque et l’argent gagné et épargné par sa fille.

Source : Enquêtes Morvant [2004c]

Tournons-nous à présent vers les stratégies individuelles et collectives adoptées par ces derniers pour ajuster l’offre à leurs besoins.

Notes
260.

La moyenne totale de l’attrition correspond au cumul des « pertes» enregistrées à chaque cycle de crédit pour les groupes solidaires ayant achevé au moins trois cycles de crédit.