Conclusion du chapitre

La mise en évidence de la réalité des comportements d’emprunt des clients d’une IMF en situation quasi-monopolistique dans le contexte rural du Mexique a abouti à des résultats en contradiction avec les prédictions de la théorie économique ou des discours qui prévalent dans le domaine de la microfinance. Ces comportements ne confirment pas l’idéal de l’emprunteur en recherche perpétuelle de fonds à investir dans des projets productifs. Cette distance entre le comportement projeté par l’IMF au travers de l’augmentation progressive des montants prêtés, mécanisme censé réduire l’aléa moral et donc le risque de défaut de remboursement, génère au cours des différents cycles de crédit une certaine forme d’inadéquation de l’offre de l’IMF aux besoins réels de ses clients. L’inadéquation constitue selon nous une sorte de brèche qui dans le cadre de la situation monopolistique associée à une demande hétérogène est à l’origine de nouvelles sources d’aléa moral. Le cadre analytique proposé par Hirschman [1970] nous permet de montrer qu’en situation monopolistique la défection est trop coûteuse, la rareté de la liquidité conduit par ailleurs les emprunteurs à adapter collectivement -au travers d’arrangements tacites- ou individuellement l’offre de l’IMF à leurs besoins financiers réels. Cela se traduit par des comportements risqués pour le prêteur dont l’évaluation du risque de défaut de remboursement pour chaque emprunteur s’avère à posteriori inférieure à la réalité.

Ces résultats présentent des implications à plusieurs niveaux d’analyse. Le premier niveau concerne la portée académique dite « empirique ». Ils mettent l’accent sur le décalage existant entre les présupposés de l’analyse économique et les comportements réellement observés. En termes « Hirschmaniens », grâce à l’approche « micro-échelle », ils autorisent à dépasser le modèle explicatif et prédictif général pour s’intéresser à la réalité des comportements individuels [Frobert et Ferraton, 2003 ; Guérin, 2000].

Le deuxième niveau d’implications renvoie, selon nous, à l’élargissement du cadre analytique proposé par Hirschman [1970]. Les comportements observés des emprunteurs de l’IMF mettent en évidence qu’en situation de rareté du bien offert, l’intérêt des clients n’est pas forcément de rendre l’offre adéquate à leurs besoins, l'ajustement va préférablement découler de leurs stratégies visant à satisfaire au mieux l’hétérogénéité avérée des besoins financiers. La revendication du retour à l’équilibre par la voie de la défection ou la prise de parole ne semble pas être la voie privilégiée par les clients de l’IMF.

Enfin, le dernier niveau d’implication concerne le plan opérationnel c’est-à-dire la méthodologie d’intervention de l’IMF. Les stratégies des clients pour ajuster l’offre à leurs besoins, décrites dans ce chapitre, constituent une source nouvelle d’aléa moral pour l’IMF et ceci devrait l’inciter à s’interroger sur sa méthodologie d’intervention. Pour réduire le risque associé aux stratégies adoptées par les emprunteurs, il nous semble indispensable de chercher à rendre l’offre (montants prêtés) moins standardisée, moins homogène et de fournir un effort supplémentaire en matière de formation des clients. La formation doit selon nous permettre à l’IMF de s’assurer que ses clients sont bien conscients des réelles répercussions c’est-à-dire de l’absence de sanction (sous forme d’exclusion) lorsqu’ils ne sollicitent pas de prêt durant un ou plusieurs cycles de crédit. Il est évident que pour cela, l’IMF doit par ailleurs résoudre les questions relatives à la garantie solidaire ou cautionnement mutuel dans le cas où certains membres du groupe ne souhaiteraient pas solliciter de prêts.