Conclusion générale

Tout travail de recherche doit viser à livrer une idée plus ou moins proche de la réalité questionnée et observée. Dans cette perspective, nous avons opté pour une démarche résolument empirique compréhensive rompant volontairement avec la posture méthodologique de la microéconomie qui se limite bien souvent à l’aspect standard du comportement humain sans l’enrichir de la part de relativité fournie par la compréhension des altérités ou des normes sociales.

En d’autres termes, contrairement aux travaux apparentés au courant de l’économie standard essentiellement limités à une approche ex post livrant des informations sur le résultat des décisions des acteurs, nous avons souhaité compléter la description quantitative par une approche qualitative propice à une analyse en termes de processus de décisions ou de logiques d’actions orientée vers la mise en lumière des mécanismes sous-jacents aux résultats observés. C’est également le statut accordé aux hypothèses théoriques et les relations que celles-ci entretiennent avec l’observation empirique qui distingue les approches quantitative et qualitative. À l’inverse de l’approche hypotético-déductive qui instrumentalise les données de terrain dans une optique de validation d’hypothèses posées en amont de la recherche, notre posture visait explicitement à intégrer l’élaboration des hypothèses au processus de la recherche en les confrontant constamment aux observations de terrain. Pour reprendre les termes de Marx, notre démarche ne se limite pas à l’apparence des choses ou du moins à celles qui se donnent à voir, elle tente modestement, et partiellement sans aucun doute, d’en extraire l’essence.

Les données ont été collectées dans plusieurs villages localisés dans des zones montagneuses de l’État d’Oaxaca, où vit une population indienne marginalisée économiquement, socialement et géographiquement. Deux régions principales ont été étudiées : la Mixteca et la Sierra Sur. Le dispositif de microfinance qui a servi de fil conducteur à cette recherche est nommé microbancos (microbanques) et intervient essentiellement dans ces zones reculées délaissées par la grande majorité des interventions appartenant au secteur dit des finances rurales.

Au terme de cette recherche élaborée à partir de données empiriques, que retient-on ? Soulignons que si les données empiriques constituent le matériau de base de cette réflexion, les résultats auxquels nous aboutissons sont issus de la confrontation permanente entre données empiriques et réflexion. La théorie éclaire les « faits » mais en retour, ils la font évoluer. Tout au long de cette recherche nous avons donc allié démarche d’observation et de théorisation. En outre, l’observation des comportements des acteurs, bénéficiaires ou non du dispositif de microfinance comporte un certain nombre d’enseignements opérationnels, pratiques, utiles à l’action. Aussi, nous proposons en conclusion de revenir sur les principaux résultats qui se dégagent de notre réflexion, d’un point de vue à la fois méthodologique, théorique et pratique.

L’émergence des dispositifs de microfinance au Sud correspond à la forme moderne de la dette, sa nature contractuelle implique que l’objectif économique prime, la nature des relations sociales disparaît derrière deux figures anonymes de l’échange marchand : le client (emprunteur) et le vendeur (prêteur ou banquier). Elle se fonde donc sur une logique d’échange distincte de la logique qui sous-tend les liens de dette/créance que les personnes tissent avec leur entourage. Cette analyse en termes de logique de l’échange qui se situe dans la filiation de Karl Polanyi et de certains de ses successeurs aborde les différences entre deux types d’échanges sur la primauté du statut respectif des échangistes ainsi que de la temporalité de la relation dans laquelle s’inscrit l’échange et non pas des critères contractuels de ces pratiques ou transactions. Logique de la place de marché et logique du port de commerce ne fonctionnent pas de façon autonome. Le paradoxe est en effet que la logique de la place de marché ne peut fonctionner sans la logique qui fonde le lien de clientèle et qui renvoie à ce qui fait tenir une société dans son ensemble.

Le recours à l’institutionnalisme américain nous invite en outre à considérer la logique qui préside à tout lien de dette comme d’emblée social et défini par un ensemble de règles qui en font une institution.

Ce cadre théorique justifie pleinement que l’on remette en question l’hypothèse de substitution progressive des liens de dette/créance au sein du réseau social par les services financiers procurés par l’IMF laquelle consacre l’idée d’une relation univoque. Notre démarche vise ainsi à appréhender les mécanismes sous-jacents aux processus d’appropriation du dispositif de microfinance. Face à la relation univoque postulée par la théorie standard, nous suggérons une relation dialectique.

Notre tentative de synthèse s’articulera autour des principales hypothèses que notre réflexion soulève :

Nier cette dimension revient à ignorer les mécanismes de production et reproduction des inégalités. L’insertion du dispositif de microfinance dans les pratiques de gestion de l’accès à liquidité par les ménages doit s’analyser comme un processus d’appropriation collective et individuelle.

Cette dernière hypothèse trouve un écho au travers de la mise en évidence d’une interaction ou relation dialectique entre les services financiers procurés par l’IMF et les relations de dettes/créances mises en place au sein du réseau social :

Avant d’aborder les résultats principaux de la recherche, mentionnons que l’apport méthodologique issu de la confrontation de deux méthodes divergentes de collectes de données de terrain.