La dette : une institution sociale

En contexte d’incertitude et de rareté, les acteurs éprouvent le besoin, pour agir, de pouvoir anticiper le comportement des autres et notamment d’avoir connaissance des droits et obligations de chacun. Ceci est rendu possible par les institutions. Ensemble de règles produit de l’action collective et qui contraint l’action des individus, l’institution garantit une certaine stabilité des comportements individuels (qui deviennent prévisibles dans un certain cadre) sans que pour autant ce cadre incitatif pour l’action ne soit totalement immuable. L’ambivalence de l’institution tient au fait que l’action collective peut temporairement léser les intérêts personnels, mais en même temps, elle est le fruit de l’action individuelle. Ce cadre d’analyse de la dette constitue une première rupture avec la conception contractuelle, universelle adoptée par l’économie standard. L’approche proposée par l’institutionnalisme américain nous permet de réintroduire au sein de l’analyse de la dette l’incertitude et la rareté comme moteurs de la mise en place d’institutions mais aussi le rôle des éléments traditionnels et coutumiers sur ce que l’on apparente à l’activité économique. Enfin, elle nous invite à réhabiliter le rôle des influences collectives et sociales sur les comportements individuels.

Ainsi, face à une approche de l’échange reposant sur des comportements de maximisation d’utilités individuelles, indépendantes du contexte et de l’environnement dans lesquels elles s’inscrivent, l’optique proposée ici affirme au contraire que l’analyse de l’action économique est inséparable des institutions qui encadrent le libre jeu des intérêts indivuduels.

Dans ce cadre qu’en est-il de l’échange marchand, peut-il être analysé comme une institution? Les institutionnalistes rejetent toute représentation “contractualiste du lien social” notamment matérialisée par l’échange marchand relevant d’un contrat complet librement conscenti par les échangistes. En revanche les institutionnalistes s’opposent à la vision de la sphère économique comme un domaine autonome non-déterminé par le tissu, les relations sociales, thèse qui oppose définitivement statut et contrat. Le marché et la sphère marchande est pour eux un construit social.

Or, toute relation marchande est-elle déconnectée des rapports sociaux, des hiérarchies établies ou des liens de domination ? L’identification de deux logiques distinctes de l’échange marchand nous conduit à réhabiliter le rôle des droits et obligations dans une forme de lien marchand qui s’est révélée pertinente pour analyser les pratiques de dettes/créances observées dans notre contexte. Elle nous autorise par ailleurs à appréhender l’émergence de la logique contractuelle, anonyme comme déterminée par le contexte institutionnel local.