Place des droits et obligations dans le lien marchand : identification de deux logiques distinctes

C’est à Karl Polanyi et à certains de ses successeurs que nous empruntons une approche féconde de deux logiques antinomiques de la relation marchande habituellement identifiées au marché. Ce dernier revêt plusieurs formes décrites par Polanyi dont la forme marchande qui nie toute forme de hiérarchie et de différence de statut entre les co-contractants dans le cadre d’une relation limitée dans le temps. La dimension statutaire et la perpétuation de la relation au-delà de la transaction sont cependant ré-introduites au sein de la relation marchande par le biais de l’identification, par l’équipe de Jean-Michel Servet et sur la base des travaux de Polanyi, de deux logiques sous-jacentes distinctes : celle de la place de marché et celle du lien de clientèle [Servet (dir.), 1999]. Le lien de clientèle qui caractérise une forme de relation marchande témoigne de la position dominante des droits et obligations qui préexistent et perdurent au-delà de la transaction.

Cette distinction nous permet d’analyser le positionnement respectif de la microfinance et des pratiques de dettes/créances prévalant au sein du réseau social comme deux figures antinomiques de l’échange marchand. Cependant, malgré la diversité des formes institutionnelles adoptées par les interventions en matière de microfinance, le point commun de ces interventions est de viser à l’expansion de l’accès à des services financiers formels, c’est-à-dire, à participer à une extension du marché. Dans ce contexte, la microfinance relèverait de la logique de la place de marché. Or, nous l’avons vu, cette logique est accompagnée d’une idéologie égalisatrice basée sur le déni total des principes hiérarchiques, des différences de statuts lesquels fondent la société. Deux limites peuvent cependant êtres opposées à cette idéologie qui transcende les dispositifs de microfinance.

La première limite provient du fait que les interventions en matière de microfinance puisent généralement sur les deux catégories de légitimité (anonymat versus relation personnalisée ou encore horizontalité versus verticalité).

La second limite résulte du paradoxe qui fait que la logique de la place de marché ne peut fonctionner sans la logique qui fonde le lien de clientèle et qui renvoie à ce qui fait tenir une société dans son ensemble. En d’autres termes, l’intervention des dispositifs de microfinance véhiculant une logique de place de marché s’inscrit dans un contexte institutionnel qui lui préexiste. Cette limite rejoint l’approche en termes de construction sociale des marchés développée précédemment en référence aux thèses institutionnalistes allant à l’encontre de la vision de la sphère économique comme un domaine autonome non-déterminé par le tissu, les relations sociales, thèse qui oppose définitivement statut et contrat.

Or, notre recherche se situe précisément dans cette optique : nos résultats illustrent le fait que l’insertion, l’appropriation, l’implantation des dispositifs de microfinance fondés sur une logique de place de marché se réalise au travers des logiques de liens de clientèle présentes dans notre contexte d’étude. La relation est dialectique, le processus d’appropriation est à la fois individuel et collectif.