La dette, principe institutionnalisé : illustration à partir de notre contexte d’étude

Quel est le rôle de la dette pour les ménages vivant dans les villages étudiés? La réponse à apporter à cette question peut sembler évidente. Elle l’est moins si l’on souhaite en écho à notre cadre théorique dépasser l’approche par la fonction économique immédiate de la dette. Cette approche, nous l’avons vu, suggère en effet que deux sources d’accès à la liquidité sont équivalentes seuls les caractéristiques contractuelles permettent de les différencier. Nous démontrons à partir d’observations empiriques que, dans notre contexte d’étude, l’acte de s’endetter ne se résume pas exclusivement à une fonction économique immédiate, elle est porteuse d’une construction historique des conditions de reproduction économique et sociale de ces villages. Nous illustrons ce propos à partir de l’observation de trois grandes formes de «coïncidences » ou identités que nous semblent révéler les pratiques monétaires et financières observées dans les villages où nous avons séjourné. La première forme concerne l’analogie constatée entre deux formes de liens à priori distinctes : lien financier et lien social. En second lieu, les pratiques monétaires et financières observées dévoilent une grande proximité entre deux facettes distinctes d’une même réalité : l’épargne et le prêt. Enfin, la troisième « coïncidence » tient au fait qu’un individu occupe simultanément le rôle de créditeur et de débiteur. À l’issue de cette analyse empirique, la dette a une double fonction économique et sociale qui se déploie à deux niveaux : individuel et collectif. Un pas supplémentaire est franchi lorsque l’on identifie des logiques communes formant une norme générale de comportement vis-à-vis de la circulation de la monnaie et des richesses au travers du phénomène de la dette et qui apparentent cette dernière à une institution, c’est-à-dire à une forme de médiation entre les niveaux d’action individuels et collectifs. La dimension fonctionnelle des pratiques de dette/prêt constitue un mode de gestion de l’incertitude, celui-ci prend appui et est régulé au niveau du réseau social par le biais de liens sociaux plus ou moins étroits.

Or, contrairement au marché, le support procuré par le réseau social révèle deux éléments primordiaux pour notre recherche :

Ces deux caractéristiques correspondent à la logique de lien de clientèle décrite dans notre cadre théorique. La mise en lumière des logiques individuelles et collectives qui sous-tendent l’acte d’endettement nous permet d’appréhender comment ces logiques vont entrer en interaction avec les services financiers procurés par le dispositif de microfinance mettant en place une logique de place de marché et par conséquent elles nous permettent de dévoiler les processus individuels et collectifs d’appropriation de ce dispositif.