Adapter collectivement la demande à l’offre afin de sauvegarder le droit d’accès aux services de crédit de l’IMF

C’est sur ce résultat que nous aimerions revenir. L’arbitrage supposé par la théorie économique standard suggère que les emprunteurs ont le choix. Or, le postulat de notre réflexion est que tout processus de décision individuel résulte de trois critères principaux ou contraintes qui se conjuguent : le contexte marqué par l’incertitude et la relative rareté des sources de liquidité, le respect des obligations sociales, communautaires et la dimension hiérarchique des positions sociales qui en découlent.

Revenons à la question essentielle de l’acquisition ou la sauvegarde de « droits d’accès » à la liquidité. Dans cette optique plusieurs observations s’imposent. Le processus intéressant que nous constatons ici est la mise en place de dynamiques individuelles et surtout collectives permettant aux emprunteurs dont les besoins en liquidité sont supérieurs aux montants procurés par l’IMF et aux emprunteurs n’éprouvant pas de besoin légitimant de solliciter un crédit d’équilibrer collectivement leur demande face à l’offre indifférenciée de l’IMF. Considérons la deuxième catégorie d’emprunteurs : ceux n’éprouvant pas le besoin d’emprunter à chacun des cycles de crédit. Quels motifs les poussent à adhérer à cette stratégie ?

Par-delà l’augmentation progressive des montants prêtés, le renouvellement du crédit au cours des cycles de crédit successifs, organise en quelque sorte la reproduction d’un droit d’accès à la liquidité. Dans ce cadre, nos résultats nous enseignent que la stratégie adoptée vise au fond à faire-valoir et préserver le droit d’accès à la liquidité que pourvoit l’IMF au travers de ses services de crédit.

Or, du point de vue du bénéficiaire du microcrédit ces deux actions sont étroitement liées, elles répondent à deux motivations.

La première traduit le souci de ne pas « gâcher » (selon les termes employés par certains de nos interlocuteurs) cette opportunité ni pour soi-même ni pour les autres en cas de décalage entre l’offre et ses besoins propres. Or, il semble que lorsque l’emprunteur fait profiter quelqu’un d’autre de l’accès à cette liquidité, cette action lui bénéficie également. Il est probable que la démarche de faire profiter quelqu’un d’autre génère de la part de cette personne des obligations que l’emprunteur pourra précisément faire-valoir dans un futur plus ou moins proche. La stratégie est donc génératrice pour cette catégorie d’emprunteurs de nouveaux flux de droits. Ajoutons que s’il est remboursé intégralement et à temps, ce crédit prêté donne accès à un nouveau crédit de montant supérieur. Au total donc, les emprunteurs font interagir et s’auto- entretenir deux sources distinctes de droits d’accès à la liquidité régulées par des règles différentes afin d’assurer à la fois la gestion de l’incertitude ou encore faire face à l’inadéquation inter-temporelle des flux de liquidité.

La nature répétée de la relation entre le prêteur et l’emprunteur, analysée en termes de droits d’accès, joue un rôle central dans l’incitation à rembourser. Elle favorise à la fois le recours à l’entourage pour conserver le droit d’accès et l’émergence de stratégies collectives de gestion de ce droit d’accès. Ces dernières semblent faire écho à la gestion collective de la liquidité, mise en place et régulée au niveau du réseau social, décrite au cours de la deuxième partie.

Le microcrédit procure de la liquidité mais il donne également du temps. Consacré à la gestion inter-temporelle des flux de liquidité par les ménages, il se positionne en complémentarité de l’ensemble des autres dettes et permet aux jeux sociaux de s’épanouir. Ces éléments sont dédiés –dans le contexte des communautés indigènes étudiées- à l’activation, l’intensification et l’accélération de la circulation de l’argent au sein de la famille et du réseau social. Au total, ces stratégies participent à positionner l’accès aux services de crédit procurés par l’IMF au sein de l’entrelacs de droits et d’obligations, que matérialisent les liens de dettes/créances au niveau du réseau social.