1.2.4. Les fiançailles et le mariage

Au sortir de l'initiation, le jeune adolescent est devenu adulte. Il ne peut plus rejoindre la case des jeunes gens (ekirimba) mais la sienne propre pour y travailler pour son compte et se préparer aux fiançailles, temps de la fixation du choix de sa future épouse. La culture nande accorde un temps assez long à la période des fiançailles 64 .

Ce temps prépare les futurs époux à leur nouveau statut en approfondissant les instructions sur la piété filiale envers les parents, sur les rapports qui doivent exister entre les deux familles, sur les droits et les devoirs liés à leur nouveau statut familial, communautaire et social, et sur les relations entre les conjoints appelés à devenir des parents avant d'être époux et épouse. C'est enfin le temps pour amender sa conduite et se montrer irréprochable par son dévouement aux yeux de la belle-famille.

Ce temps permet aux deux familles de se connaître. Il est jalonné de plusieurs étapes : celle de la négociation du consentement de la fille (eriteta), celle du don d'un cadeau de perles à la future belle-mère (eryasir'omukali) pour prouver son amour à l'égard de sa fille, celle du consentement des beaux-parents qui acceptent de donner leur fille en mariage (ovusimolya vw'avanwani), et celle de l'acceptation du fiancé dans la famille de sa future belle-famille (ovukiruk'oluyi).

Ce consentement acquis, la famille du jeune homme entre dans le processus du mariage en versant la dot (omutahio) en quatre tranches avec quatre significations : le désir de coopter pour une alliance de sang (embatwakihango), de sceller une amitié fidèle à vie (omusakanomatsira), la promesse de bien traiter son épouse et de vivre avec elle dans la paix et prospérité (malemberi ou mutahio), et de donation de soi qui est aussi le sacrifice d'acceptation (ekighere) 65 .

La dot n'est pas une « espèce de contre valeur » apportée à la belle-famille en compensation de ce qu'elle sera productrice et productive par sa fécondité et ses produits des champs 66 . Prise sous cet aspect, la personne appelée à devenir mère et épouse serait réduite à une marchandise. L'expression « on ne finit jamais de verser la dot (omutahyo syehwa) » signifie aussi que le beau-fils doit toujours être sensible et attentif à sa belle-famille dans le besoin.

La dot est plutôt une sorte de récompense (evihembo) accordée à la belle-famille qui, à la naissance d'un enfant ou même à sa visite, peut encore recevoir un cadeau traduisant la gratitude du beau-fils d'avoir une progéniture et une vie harmonieuse avec son épouse. En ce sens, comme dans d’autres cultures africaines, la dot est un « symbole juridique et social » qui resserre les liens d'amitié entre les deux familles des fiancés. Gage et conclusion d'un projet d'une alliance durable et permanente entre les familles, la dot donne un caractère social au mariage.

Elle comporte une dimension religieuse et humaine, ratifie la possibilité de coexistence pacifique des esprits des ancêtres des deux familles, scelle une alliance irréversible et pérenne entre les deux familles contractantes qui s'engagent à veiller à leur harmonie et à celle du nouveau foyer. Instrument et condition sine qua non de l’alliance matrimoniale, elle garantit la dignité des époux et la solidité du foyer, scelle des liens physiques et spirituels. La dot est, enfin, un symbole d’unité et de communion entre les deux familles contractantes et les deux groupes claniques respectifs 67 .

La célébration des noces (eriheruka) est précédée des dernières instructions et conseils (erikongomerera) de la tante paternelle (nyinyalume) de la fiancée. Ils récapitulent l'initiation féminine antérieure et préparent immédiatement à la vie conjugale en insistant sur le comportement dans le ménage, la prospérité du foyer, la culture des champs, l'art de vivre avec son mari et d'éduquer les enfants. Le mariage sera définitivement conclu lors de l'installation officielle du nouveau couple sous un même toit 68 . Lors de cette cérémonie, les parents invoquent les bénédictions de la divinité Katonda et des ancêtres sur le nouveau foyer afin qu’il vive dans la stabilité, la paix, la prospérité et la fécondité qui se manifestera dans leur progéniture.

En définitive, le mariage traditionnel nande comporte les valeurs des autres cultures bantoues qui ont une vision spirituelle de la vie humaine, un sens profond de la dignité de la personne intégrée dans une famille stable et élargie tissée par différents liens d'alliance. Comme dans d’autres cultures bantoues, le mariage nande est l'aboutissement d'un processus dynamique, et il a un caractère religieux, sacré et communautaire. Il est essentiellement une alliance indissoluble entre les deux familles contractantes scellée par la dot 69 qui est une expression juridique du consentement au mariage. Elle est aussi un signe d'unité et de communion entre les deux groupes qui donnent leurs rnfants en mariage en vue de fonder un foyer stable, et de perpétuer le clan par leur descendance 70 .

Le mariage, enfin, octroie aux mariés un nouveau statut, celui d’hommes adultes dans le village et le clan. Il fortifie et renforce la lignée clanique par l’alliance des deux familles qui deviennent une seule et même famille. Plein de sens religieux, les cérémonies du mariage recourent, sans cesse, à la transcendance et aux symbolismes de la royauté sacrée qui soulignent la dignité, l’amour, le respect et la fidélité de la vie conjugale.

L’aspect du sacrifice aux ancêtres, lors de l’installation de l’épouse à son foyer, est en relation avec la fécondité, car il est cru qu’ils sont aux origines de la progéniture et du sens communautaire dans le clan 71 . Les souhaits transmis par les parents comme une forme de prière implorent la bénédiction de Dieu et des ancêtres pour ce nouveau foyer afin qu’il vive dans la paix, la stabilité, la prospérité, et qu’il ait une grande progéniture 72 . Le mariage est, en somme, une étape qui se prolonge dans la vieillesse et la mort.

Notes
64.

Lieven BERGMANS, Les Wanande, t. 3. Une peuplade aux pieds des Monts de la Lune, op. cit., p. 87-100.

65.

Nous pouvons retrouver d’une manière synthétique ces étapes dans le tableau en annexe n°2.

66.

J. WATTEYNE, "La vie familiale des Noirs", dans L'Assomption et ses œuvres n° 438(1938), p. 196.

67.

Vincent MULAGO, "Mariage traditionnel bantu", dans Revue du Clergé Africain 26 (1961)n.3-4, p. 54.

68.

Lieven BERGMANS, Les Wanande, t. 3. Une peuplade aux pieds des Montsde la Lune, op. cit., p. 101-113.

69.

Vincent MULAGO, "Mariage traditionnel bantu", op. cit., p. 54.

70.

PAUL VI, "Africa terrarum", dans La Documentation Catholique n° 1505 (1967), p. 1937-1956.

71.

Athanase WASWANDI, op. cit., p. 113.

72.

Pour la circonstance, à propos de la progéniture, un des parents peut chanter « qu’il faudrait que ses enfants en engendrent d’autres (ngamba avana vayi vakavut’avandi vana) ».