1.4.2. Guerres à l’époque de la conquête coloniale

Hormis les relations interculturelles entretenues dans les mines, les Nande se sont souvent confrontés aux nilotiques rwandais. En 1890, Kalekwezi, sujet du roi Muzinga, et son fils Maboko surgirent dans le sud de Beni, s’emparèrent de la vallée de la Semliki jusqu’à Rutchuru, et pénétrèrent dans l’Ankole en Ouganda. Sans aucune arme à feu, Kalekwezi prétendait posséder un esprit céleste et se présentait comme un envoyé de Dieu. Mais, arrivé à Katwe, près du lac du sel (ekighuntura), il abusa de sa réputation : il plaça des nyampara (gérants) dans les territoires qu’il venait de conquérir par la terreur et les massacres et se livra au trafic de l’ivoire.

Soudain, les hommes de Kabarega, roi de Notoro, s’insurgèrent contre Kalekwezi et lui infligèrent des pertes considérables en hommes ; son bétail ainsi que l’ivoire furent pillés. Devant cette défaite, Kalekwezi voulut contracter une alliance avec les Arabisés de Beni qui, à la place du contrat, l’emprisonnèrent et le libérèrent contre une rançon de deux pointes d’ivoire.

De retour à Katwe, il entra en relations avec les Stockers, aventuriers sud-africains, sujets britanniques voyageant sous la bannière allemande, et contrebandiers de profession. Kalekwezi leur vendit le reste de l’ivoire contre les armes à feu et des munitions. Cependant, à Beni, ses gérants, dont un fut massacré, venaient d’être chassés par les Arabisés qui se rendirent désormais maîtres de la région. De son côté, la population locale se révolta contre les Arabisés, en assassina plusieurs, et envoya leurs armes à Kalekwezi. Mais ce dernier, arrêté par les Européens, fut déporté à Mawimbi pendant une année. Après sa détention, il rentra à Beni et mourut peu de temps après.

Maboko, son fils héritier, se réfugia dans les Monts Mitumba à Bilingate et il se rendit presque maître de cette partie du Buswagha. Il se révéla comme un brigand vivant des rapines et du trafic d’ivoire. Les Batetela, en déroute, voulurent s’allier à lui ; mais à cause de leurs exigences, plusieurs furent tués, d’autres s’enfuirent . Ce n’est qu’en 1912 que le lieutenant belge Brochard, lors d’une opération militaire, le mit en déroute. Maboko, deux ans plus tard, en 1914, mourut dans sa retraite, pour les uns dans le Bukumu, pour les autres dans le Hutwe 146 .

La réussite de cette opération militaire de 1912 permit aux agents de l’Etat belge de fonder, en 1913, le poste d’administration de Luofu et de pacifier cette contrée du Butwe et de Buhimba 147 . Cette victoire sur Maboko est restée mémorable en sorte que le peuple a surnommé cette contrée pacifiée Rwahuta qui est la formule brève de la phrase eyo luhi lwa huta, c’est-à-dire littéralement, là où éclata la guerre, avec cette implication d’avoir entendu pour la première fois, dans la région, la détonation d’une arme à feu. Cette victoire profita considérablement aux Européens : ils gagnèrent la confiance du peuple libéré.

La traite d’esclaves fut suivie par l’occupation des Batetela, anciens sujets de Ngongo Lutete lors de la mutinerie de l’armée belge dans la Province Orientale. Ils avaient un véritable culte pour leur chef à tel point que, à la réception de la nouvelle de l’exécution de Nogongo Lutete, ils se révoltèrent et massacrèrent, le 14 juillet 1897, les chefs belges Leroi, Closet, Melen et Mathieu et mirent à la marmite certains de leurs officiers. La mutinerie prit aussitôt une tournure tragique pour les Belges car les autochtones abandonnèrent leur commandant Dhanis qui céda devant leur supériorité en hommes et en armes.

Après sa défaite à Irumu, le commandant Dhanis prit la fuite vers Mawimbi et Avakubi où il apprit que Stanleyville était entre les mains des mutins. Ce fut à Avakubi qu’il rencontra le commandant Josué Henry accompagné de 80 soldats, congénères des Batetela. Démoralisé, Dhanis voulut les désarmer mais Josué Henry s’y opposa car ils étaient pour lui une force indispensable. Ce fut avec ces soldats qu’il engagea un dur combat avec les mutins à Mawambi sur sa route vers Irumu, pendant que Dhanis, lui-même, organisait une offensive sur la rivière Lulualaba 148 .

Les mutins cédèrent devant le commandant Josué Henry qui accrut sa troupe avec les prisonniers de guerre. Cependant, une partie des rebelles se retira à Beni et dans la vallée de Semliki. Le Lac Edouard leur barra le chemin vers le sud et obligea les mutins à se réfugier dans la zone de Lubero, d’abord dans le Bulengya (Muhangi) pour s’installer près de la rivière Luate où le missionnaire Achte des Pères Blancs, en provenance de l’Ouganda, exerçait son ministère pastoral.

Dans la nuit du 14 au 15 juillet 1897, près de la chute de la rivière Luate, près de Lubero, les soldats du commandant Josué Henry, en visite de reconnaissance, rencontrèrent un enfant, le douzième catéchumène du Père Achte, qui réussi à s’échapper lors de l’arrestation du missionnaire. Ce catéchumène donna des renseignements détaillés sur les rebelles. Ces informations permirent au commandant Josué Henry et au lieutenant Sauvage de mettre au point une stratégie d’attaque pour défaire les mutins dans la nuit du 14 au 15 juillet 1897 après un combat atroce de trois heures 149 .

En déroute, les Batetela se dispersèrent près du lac Kivu où ils essayèrent de se réorganiser pour s’emparer d’Uvira et de Kabambarere, chefs lieux des contrées dans lesquelles l’autorité coloniale les mit en déroute en 1897. Lors de leur dispersion, les uns se réfugièrent à Ujiji en Tanzanie, d’autres au Katanga (Congo). Grossis par les mutins de Luluabourg et les dissidents autochtones, les Batetela furent, en 1908, définitivement anéantis 150

Notes
146.

Cette information varie selon les lieux, à Pabahota dans la paroisse de Mbao et à Mabuka, dans celle de Mavoya.

147.

Lieven BERGMANS, Les Wanande, t.1, Histoire des Baswaga, op. cit ., p. 96-97 ; Charles MBOGHA, op. cit., p. 41-42.

148.

A. THURIAUX-HENNEBERT, Inventaire. Papiers Josué Henry de la Lindi (1869-1957). Tervuren, Africa-Museum, 1997, p. 11-31 ; Van Patricia SCHUYLENBERG, La mémoire des Belges en Afrique centrale. Inventaire des Archives Historiques privées du Musée Royal de l'Afrique Centrale de 1858 à nos jours. Tervuren, Africa-Museum, 1997, p; 43-44.

149.

Lettre du général Henry de la Lindi écrite à Bruxelle, le 7 mars 1951, dans L’Afrique ardente (1951) n° 63, p. 17-22. Cette lettre répond à l’article du Père Marie-Jules CELIS, « A propos de la chute d’une petite rivière congolaise. Brassée de souvenirs », dans L’Afrique ardente (1951) n°63, p. 17-21.

150.

Marie-Jules CELIS, « A propos d’une petite rivière congolaise,. Brassé de souvenirs », op. cit., p. 20-24.