Conclusion de la première partie

On ne peut vraiment comprendre une personne que si on entre dans on intériorité. Chez les Nande, la famille est essentiellement monogamique. Seul, le chef, peut-être polygame. Cette polygamie était tolérée à cause de son rôle social et politique qu’il occupe dans la société. L’exiguïté du logis ne lui permet pas de recevoir tous ses visiteurs. Les randonnées dans son royaume durant plusieurs jours pour la vie du peuple ou pour régler les différends favorisaient cette situation.

La famille est basée sur le système du patriarcat. Cette situation inclut le statut de la femme dans celui de son époux ; mais celle-ci garde toujours sa dignité de mère et d’épouse. La famille se fonde sur l’ancêtre le plus reculé, réel ou mythique. Elle a ainsi un caractère sacré de par sa fondation et son rôle de transmission de la vie qui provient des ancêtres et de Dieu.

La famille a enfin une fonction sociale, politique et économique. Elle participe à la vie communautaire du village. Son souci est de faire fructifier l’héritage ancestral dont les fruits doivent être partagés au profit de chacun et de la communauté. Chaque chef de famille participe aussi aux grandes décisions de la vie communautaire dans le village.

Les rites liés à la vie humaine, dès le bas âge jusqu’à la mort ou même la vie ancestrale n’ont d’autre signification que la reconnaissance du passage à un nouveau statut et l’intégration dans la société. Quand ils concernent la vie communautaire et sa destinée, les rites corollaires à la vie agraire, jouent un « rôle d’équilibre social 309  », selon l’expérience de M-J. Wierztbichi, applicable chez les Nande.

De ce fait, intervient le rôle indispensable du chef qui revêt un caractère sacré car son statut qui le met en relation avec le monde des ancêtres et celui du divin. Intermédiaire entre le Dieu-Nyamuhanga, les vivants et les morts, il est le premier grand sacrificateur du royaume, le « souverain universel », et le défenseur de la tradition ancestrale.

Ce pouvoir fortement décentralisé s’exerce auprès d’une population constituée essentiellement d’agriculteurs mais qui pratique aussi l’élevage, la chasse et la pèche. Ainsi, pour établir l’équilibre et l’harmonie entre la société et la nature dont il dépend pour sa subsistance et sa survie, le Nande pratique ce que M-J. Wierztbichi appelle les « rites d’intensification 310  » de la vie. Ils peuvent s’exprimer en action de grâce pour la prospérité reçue du Dieu-Nyamuhanga et des ancêtres ou en prières de supplications lors de différentes circonstances de la vie, entre autres, la sécheresse, les inondations, les épidémies.

Il est difficile de dissocier chez les Nande la religion de la vie quotidienne, de la vie personnelle et sociale, et de la culture. Tout est un. En fait, comme l’affirme J. Maistre, « La religion - comme complexe d’idées et de valeurs qui procurent une vision particulière de la vie - constitue une réalité typiquement culturelle 311  ».

La religion se manifeste chez les Nande comme chez tous les autres peuples dans un ensemble de croyances relatives à un univers surnaturel, dans une disposition subjective de la part de ceux qui adhèrent à ces croyances, et dans une communauté organisée qui regroupe tous ceux vivent et pratiquent ces croyances 312 . La religion est ainsi perçue comme « le reflet d’une expérience vécue’ 313  »qui nous fait comprendre le sens des cérémonies religieuses et de différents rites qui sont des comportements religieux qui jouent « un rôle important d’intégration sociale’ 314  » et « d’équilibre social 315  ».

Malgré son monothéisme intransigeant, la religion traditionnelle Nande admet une multitude d’esprits qui ne sont pas considérés comme des dieux mais comme des intermédiaires et des instruments de Dieu dans la vie quotidienne du peuple, dans les événements de son histoire, et dans le gouvernement de l’univers. Par ailleurs, ces esprits sont souvent des attributs de Dieu par rapport à son mode d’existence et à son rôle de créateur et de providence.

La pratique traditionnelle de la religion chez les Nande semble être une réponse aux différentes situations de l'homme qui vit un « face-à-face » avec le monde visible, le cosmos, et invisible en entrant en relation avec les ancêtres, les esprits afin de s’assurer grâce à eux une parfaite harmonie et une vie d’abondance dont Dieu est la source ; les ancêtres, les transmetteurs, et les hommes, les propagateurs 316 . Les éléments religieux ont un impact sur le vécu social qui traduit, à son tour, les aspirations profondes des hommes et leurs attentes dans leur relation avec le Dieu-Nyamuhanga.

Ces relations réciproques entre l'homme et Dieu font du Dieu-Nyamuhanga, l'Être suprême avec lequel il faut se concilier car de lui dépend, à travers ses intermédiaires, les bons esprits, portants les attributs divins 317 , les ancêtres, souvent considérés comme « les yeux de Dieu 318  », et la destinée humaine. Cette préoccupation de la vie quotidienne et du sort de l'homme après sa mort donne un caractère anthropologique 319 à la religion traditionnelle nande.

A l'opposé des religions hénothéistes qui confessent un monothéisme sous un soubassement polythéiste, et des croyances animistes de certaines religions africaines 320 qui personnifient Dieu dans la nature, la transcendance de Dieu-Nyamuhanga ne lui enlève pas son unicité et son immanence. Cette conception de Dieu explique le fait que le seuil entre le social, l’économique, le politique, le religieux, et l’éthique soit parfois imperceptible. Cependant, à la fin du XIXe siècle et au début du siècle dernier, ces distinctions proviendront de l’ouverture de cet univers nande au monde occidental.

Les Nande ne sont pas restés clos à leur univers dans lequel le seuil entre social, l’économique, le politique et le religieux est imperceptible. Ils s’est ouvert à d’autres cultures : africaine, asiatique et européenne. Dans ces contacts avec les étrangers, envahisseurs, les résistances passives et actives de la population autochtone cédèrent place, après les échecs réitérés, à la méfiance.

Malgré l’opposition à la colonisation, les Nande s’ouvrirent progressivement à la civilisation occidentale après leur complète soumission en 1938. Depuis la fin du XIXe siècle, ce fait est à l’origine, de leur évolution culturelle. Du point de vue social, il s’opéra de nouvelles catégories sociales selon les nouvelles professions qui s’accompagnèrent de nouvelles formes de solidarités selon les groupes et selon l’esprit culturel nande. Ainsi, au sein de même peuple, on rencontre, entre autres, des paysans et des citadins, des analphabètes et des lettrés, des chômeurs et des salariés.

Du point de vue politique, par contre, l’évolution a été lente à tel point qu’il subsiste deux formes d’administration : celle de l’État cohabite avec le gouvernement tradition dont le pouvoir fut amoindrit lors de l’occupation coloniale, bien qu’amoindrit lors de l’occupation coloniale. Cette situation est à la source de deux jugements dans les tribunaux : la coercition dans les prisons de l’État, la réconciliation au bout de la palabre dans le tribunal traditionnel.

Après l’aspect social, le domaine économique semble perceptible grâce à l’introduction de nouvelles cultures vivrières, maraîchères et industrielles qui se côtoient avec les cultures traditionnelles. L’industrie traditionnelle de la forge, de la vannerie, du textile à partir des fibres de raphia, des peaux de chèvres, et écorces d’arbres des faux-figuiers (omulumba) meurt d’asphyxie devant la technologie moderne. Les moyens de communications et l’introduction de la monnaie et des banques qui supprimèrent le système économique basé sur le troc, l’importation et l’exportation, la propagation et l’amélioration de l’élevage dans les fermes, ainsi que les coopératives asphyxient le mode vie économique traditionnel.

Enfin, du point de vue religieux, des changements notoires sont manifestes. La religion chrétienne fut introduite avec la colonisation. Elle faisait partie du plan global d’ensemble de l’occupation : l’amélioration des mœurs et des conditions de vie des indigènes. Quand les Européens évoquaient la « civilisation », les missionnaires y ajoutaient la « civilisation chrétienne », qui implique le développement humain et le salut en Jésus-Christ. Ce fut cet objectif du missionnaire qui le différencia, en quelque sorte, du colonisateur dans l’instruction chrétienne, l’enseignement scolaire, les œuvres sanitaires et de développement.

Notes
309.

M-J. WIERZTBICHI, « Rites et pratiques dans un village polonais », dans ASSR 56(1983)n.1, p. 80-81.

310.

Idem, p. 81.

311.

J. MAITRE, La religion et l’intégration sociale, dans ASSR 11(1959), 77.

312.

Ibidem, p. 77.

313.

C.FONESCA, La religion dans la vie quotidienne d’un groupe populaire brésilien, dans ASSR 73(1991/1), p. 126.

314.

C MULLER, Nouvelle enquête et pratique religieuse en Basse-Normandie, dans ASSR 72(1990/1), p. 157.

315.

M-Z., WIERZTBICKI op.cit. p. 80-81.

316.

N. TSHIAMALANGA, « Mythe et religion en Afrique », dans CRA 18(1984) n.36, p. 195.

317.

G. HULSTAERT, « Le Dieu des Mongo, dans Religions africaines et christianisme. Colloque international de Kinshasa du 9-16 janvier 1979 », dans CERA 2 (1979), p. 59-67 ; G GUARIGLIA., « L’Être suprême et le culte des esprits, des ancêtres et le sacrifice expiatoire chez les Igbo du Sud-est Nigeria », dans CRA 8 (1970) n.4, p. 230-240 ; Oscar BIMWENYI, op. cit., p. 74.

318.

AthanaseWASWANDI, op.cit., p. 254-255.

319.

Charles MBOGHA, op.cit., p. 297.

320.

L.V THOMAS, op. cit., p. 73.