Au Congo-Belge, le pouvoir colonial préférait avoir des nationaux belges car les autres puissances européennes avec leurs missionnaires semblaient peu favorables à la petite Belgique. Un des collaborateurs du roi Léopold II écrit en 1888 : « Les missionnaires établis au Congo sont presque tous des étrangers ; les uns baptistes, les autres évangélistes, (...), sont dévoués aux idées anglaises ; ceux dépendant du cardinal Lavigerie ne sont généralement pas animés de sentiments favorables à l'influence de la Belgique 321 ».
En effet, le cardinal Lavigérie en 1880 rédigea un mémoire secret qu'il envoya à Rome 322 . Dans ce mémorandum, le cardinal dénonçait l'action de l'Association Internationale Africaine 323 (AIA) qui épaulait Léopold II ainsi que l'entreprise des protestants et des libres penseurs auxquels il proposa d’opposer ses propres missionnaires 324 .
Mais quand le roi, en 1881, lui suggéra un secteur à évangéliser au Congo, le cardinal refusa cette offre royale et semblait céder, à son tour, au nationalisme religieux quand il déclarait : " La croix est le seul drapeau des apôtres, et pour les Français, à côté de la croix, celui de la France, sa patrie 325 ". C’est pourquoi, le roi Léopold II observait une grande réserve à l'égard des missionnaires étrangers de toute confession religieuse et souhaitait une majorité belge parmi congrégations religieuses 326 .
Il n'y eut que la congrégation anglo-hollandaise des Prêtres de Mill-Hill, que le roi Léopold II appela d'Angleterre, pour répondre à la campagne menée contre l'Etat indépendant du Congo. De ce fait, bien qu'étrangère, cette congrégation eut le privilège d'être considérée comme une mission nationale 327 . Ce nationalisme religieux, similaire au droit de patronat, se renforça en 1886 quand le Pape Léon XIII accorda au roi le monopole de l'évangélisation de l'État Indépendant du Congo.
Afin de réaliser ce dessein, le roi proposa la fondation d'un séminaire africain à Louvain en 1886 en vue de former des missionnaires belges destinés pour le Congo. Il obtint la permission d'ouvrir ce séminaire en 1886 par l'entremise de l'archevêque de Malines et grâce à la collaboration des évêques belges. Par ailleurs, le roi sollicita la collaboration des Pères de Scheut et des Jésuites qui étaient plutôt orientés vers l'Inde. Grâce à l'intervention du pape Léon XIII, Léopold II obtint gain de cause auprès des Scheutistes qui, dans leur chapitre général de mai-juin 1887, acceptèrent la mission du Congo. Cette dernière fut érigée par le pape en Vicariat apostolique du Congo Indépendant le 11 mai 1888.
Le vicariat comprenait toute la colonie à l'exception de la partie orientale entre le Lualaba et le Tanganyika confiée aux Pères Blancs qui devraient y placer un personnel religieux belge 328 . Les Jésuites, quant à eux, cédèrent aux sollicitations royales et s’implantèrent, en 1893, dans la Mission du Kwango 329 .
Le roi souhaita, enfin, une collaboration religieuse, humanitaire et politique avec des Missions nationales 330 . Bien qu'étrangères, ces missions seraient placées sous la responsabilité du roi. Elles auraient leur siège en Belgique et seraient dirigées par des Belges qui enverraient au Congo un personnel suffisant parmi les Belges, membres de ces associations étrangères.
Dans l’Etat Indépendant du Congo, les missionnaires jouissaient d’une liberté religieuse dans leurs œuvres. Toutefois, cette indépendance n’excluait pas une franche collaboration entre l'Église et l'Etat qui atteint son paroxysme dans la Convention du 26 mai 1906 qui ressemble à un concordat.
‘« Les Missions catholiques s'engageaient à créer des écoles indigènes sous le contrôle du Gouvernement ; elles assureraient dans la mesure de leur personnel disponible et moyennant traitement équitable, le ministère sacerdotal dans les centres ; elles notifieraient au Gouvernement général la nomination de chaque supérieur de Mission ; enfin les missionnaires entreprendraient pour le compte de l'Etat et moyennant indemnité, certains travaux d'ordre scientifiques rentrant dans leur compétence, tels que les reconnaissances ou des études géographiques, ethnographiques, linguistiques (...) ’ ‘De son côté, l'Etat promettait d'allouer à chaque poste ou 'station' de Mission, dont l'établissement serait décidé de plein accord, 100 à 200 hectares de terres cultivables. Ces terres seraient concédées à titre gratuit et en propriété perpétuelle, mais elles ne pourraient être aliénés et devraient rester affectées aux œuvres de Mission (...).Si néanmoins des difficultés venaient à surgir entre missionnaires et agents de l'Etat, elles seraient réglées à l'amiable par les autorités locales respectives. Si l'entente ne pouvait s'obtenir, les autorités locales en référeraient aux autorités supérieures 331 ». ’Ce fut dans ce contexte que le Père Léon Déhon, fondateur des Pères du Sacré-Cœur de Jésus (Déhoniens), dans une lettre du 12/02/1897 écrite à Rome, demandait une mission au Préfet de la Propagande. La congrégation religieuse qu'il venait de fonder en 1877 venait d'obtenir le Bref laudatif en 1888 à la demande de vingt-cinq évêques. Cette congrégation avait aussi suffisamment de religieux animés d’un élan apostolique pour s'engager dans la mission ad gentes en Afrique. En 1897, elle comptait deux cent religieux dont soixante-cinq prêtres de différentes nationalités : France, Allemagne, Luxembourg, Hollande et Belgique.
Parmi les divers facteurs 332 qui dirigèrent les Déhoniens au Congo-Kinshasa figure la fermeture de deux missions à l'Équateur à cause de la Révolution maçonne de 1897. Il y avait, en plus, le désir apostolique de la plupart des jeunes religieux attirés par la mission lointaine. Cette demande d'une mission au Congo fut bien accueillie et encouragée par le cardinal Ledochowski qui, dans sa réponse du 18/05/1897, demandait aux Déhoniens de coopérer aux missions sous la direction de Mgr Corneille van Ronslé, vicaire apostolique dans l'État Indépendant du Congo belge (EIC). Il nourrit, en outre, l’espoir d'obtenir dans quelques années leur indépendance si leur mission se développe rapidement.
La pénétration des Déhoniens dans l'État Indépendant du Congo fut enfin favorisée par le baron Van Eetvelde, secrétaire d'État du roi Léopold II. Parti à Rome pour demander des missionnaires pour cet immense territoire du Congo que la Belgique venait d'acquérir à la Conférence de Berlin (1885-1886), il rencontra, le 25 mars 1897, le Père Léon Déhon. Le Père était venu solliciter auprès des autorités romaines une terre de mission. Cette heureuse coïncidence se conclut par un accord qui offrit au Père Léon Déhon une mission pour évangéliser au Congo belge dans la province orientale de Stanley-Falls.
Lettre du Frère Orban de Xivry à Lambermont cité par K-T. MASHAURY, Dynamique de l’action missionnaire catholique chez les Yira occidentaux (1906-1959). Méthodes apostoliques, mutations sociales et interactions culturelles. (Thèse de doctorat). Lubumbashi, Université de Lubumbashi, 1983, p. 188-193. Nb. Nous pouvons aussi nous rendre compte de cette situation dans la correspondance que le cardinal Lavigerie entretint avec le pape Léon XIII dans les années 1880 : AL, E, 3, 916-919 : Fonds Tournier : Lettres du cardinal Lavigerie au pape Léon XIII, et AL, E, 3, 920 : Rapport du cardinal Lavigerie au pape Léon XIII, 1883.
AL, C, 10, 1-6 : Mémoire secret à la Propagande. Mémoire corrigé.
AL, C, 10, 7 : Comptes rendus de l’Association Internationale Africaine.
R. AUBERT, « L'Eglise catholique de la crise de 1848 à la première guerre mondiale », dans Nouvelles histoire de l'Eglise, t.5. Paris, F.Didot, 1975, p. 453.
BAUNARD, Le cardinal Lavigérie, t.2. Paris, 1896, p. 275.
D.F. De MEEUS et D.R. STEENBERGHEN, op. cit., p. 25-26.
Ibidem, p. 29-30.
Ibidem, p. 27.
Nous ne relaterons pas ici les pourparlers qui aboutirent à la fondation de la Mission du Kwango. Pour plus de renseignements, on pourra se référer à l'ouvrage de Ferdinand MUKOSO NG'EKIEB, Les origines et les débuts de la mission du Kwango (1879-1914). Kinshasa, Facultés Catholiques de Kinshasa, 1993, p.33-44.
D.F. De MEEUS et D.R. STEENBERGHEN, op. cit., p. 39.
Ibidem, p. 38.
ED 17 : Rapport du Père Grison à la Propagande. Saint Gabriel, le 17/06/1898, dans PALERMO Savino, Pour l'amour de mon peuple. Cent ans d'évangélisation au Haut-Zaïre (1897-1997). Textes et documents. Edizioni Dehoniane Roma, 1897, p. 90.