2.2.1. Activités apostoliques des Déhoniens à Beni (1906-1929)

Une fois fixé sur l’emplacement du site qui sera le poste de mission de Beni, le Père Gabriel Grison, avec l'aide des agents de l'État, se mit à entreprendre quelques constructions en roseaux : une chapelle, deux cases d'habitation, un réfectoire, un magasin, un atelier de menuiserie, des étables et, à quelques distances de ces installations, des huttes pour le catéchuménat et l'enseignement scolaire 372 .

Carte 7 : Mission chrétienne proposée aux Déhoniens à Beni en 1906
Carte 7 : Mission chrétienne proposée aux Déhoniens à Beni en 1906

Source : AIMO : M, 614.

Ces premières installations font penser aux fermes-écoles ou aux chapelles-écoles. La création de cette ferme-école à Beni répondait aux décisions du décret royal du 4 mars 1892 qui exigeait dans l’Etat Indépendant du Congo la création des colonies agricoles et professionnelles pour les enfants autochtones et des orphelins que les associations religieuses rassembleraient pour leur fournir une formation religieuse et humaine 373 .

Les Pères Léon Farinelle de Namur, Léon Cambron de Malines, Joseph Lens de Gand, Pierre Fernan Germaind de Tournai et le Frère Paulus Manderscheid de Trèves, constituèrent le premier groupe des cinq missionnaires belges des Prêtres du Sacré-Cœur désignés pour le poste de mission de Beni. Ils quittèrent Bruxelles le 15 octobre 1906 pour rejoindre le Père Gabriel Grison à Beni le 24 décembre de la même année dans ces installations des plus rudimentaires pour un occidental.

Aussitôt, ils se mirent à la tâche en prenant connaissance de la contrée et de ses habitants. Dans les années 1900, Beni et Irumu faisaient partie de la zone administrative du Haut-Ituri. Ce n’est que vers 1902 que Beni fut rattaché à Rutchuru dans le Kivu et définitivement séparé d’Irumu à cause de la révolte qui avait fait fuir la population vers l’Ouganda laissant à la nature de reprendre son droit de boucher la route.

Par ailleurs, les limites des juridictions ecclésiastiques n’étaient pas encore définies selon les délimitations administratives. Ainsi, le Père Léon Farinelle décida de faire une excursion à Irumu avec une escorte de 64 personnes constituées de onze soldats sous les ordres d’un agent militaire, de boys, et de porteurs de vivres. Partis de Beni le 13 mai, ils arrivèrent à Irumu le mardi 21 mai 1907, soit après neuf étapes.

À sa grande surprise, des chrétiens venus d’Abakubi y faisaient déjà du prosélytisme et venaient d’y constituer un groupe de chrétiens et de catéchumènes que le Père Léon Farinelle rencontra 374 . Ces catéchumènes venaient régulièrement à la prière du matin et du soir et assistaient deux fois par jour au catéchisme. Selon le Père Léon Farinelle, cette organisation proviendrait de l’intelligence et de l’activité des agents de l’administration de la place et de la bonne politique de l’Etat qui a conservé les chefs dans l’administration de la région.

Ces chrétiens et ces néophytes attendaient depuis longtemps un missionnaire mais ils furent surpris de voir le Père installer deux catéchistes, un pour la population civile et un autre pour les soldats. Cependant, le Père Léon Farinelle et M. Siffer décidèrent de placer le futur poste de mission non loin du poste de l’Etat afin de permettre aux gens de se rendre au travail ou au catéchisme.

Ce choix de l’emplacement du centre de mission fut apprécié de la population qui ne disposait pas de temps suffisant pour le repos. Soudain, des installations provisoires s’élevèrent avant que les Pères ne viennent s’y établir. Ces initiatives poussèrent le Père Léon Farinelle à leur promettre l’arrivée des missionnaires. Après son séjour à Irumu, le Père Léon Farinelle se rendit à Kilo en 1907 où il constata dans les trois camps de la mine la présence de chrétiens et de catéchumènes recevant des instructions chrétiennes. Ils récitaient l’alphabet enseigné des personnes venues de Stanleyville. Il se rendit aussitôt compte que la situation était semblable à celle d’Irumu, mais il ne put promettre ni à l’agent de l’administration M. Mertens, ni au chef Goti, l’arrivée des missionnaires et leur installation dans leurs villages 375 .

Dès son retour à Beni Saint-Gustave, le Père Léon Farnille pensa qu’il fallait dédoubler les missionnaires pour fonder un nouveau poste à Irumu. Cette perspective, qui répondait au souhait du Père Gabriel Grison de voir s’établir ses missionnaires à Irumu 376 , s’avérait possible depuis que les cinq premiers missionnaires des Pères du Sacré-Cœur de Saint-Quentin attendaient, en 1908, le renfort d’un religieux, le Père Théodore Lambert, qui leur permettrait d’être à trois dans chaque poste 377 . Si le Père Gabriel Grison tenait à l’ouverture de ce nouveau centre, c’était pour faire barrage, comme à Beni, à l’avancée du protestantisme 378 .

Le Père Pierre Fernand Germain, attendant sa lettre d’obédience du Père Gabriel Grison, se préparait déjà à aller à Irumu commencer des constructions plus décentes 379 dont il venait de constituer les plans 380 .

Image n° 2 : Croquis de la maison de Pierre Fernand Germain
Image n° 2 : Croquis de la maison de Pierre Fernand Germain

Source : Pierre Fernan GERMAIN, « À Beni », dans Le Règne du Sacré-Cœur (1908), p. 7

Dans sa lettre du 5 avril 19O7, il promit d’y aller avec l’espoir qu’en ouvrant de nouveaux centres de mission, ils pourront évangéliser cette vaste région. En fait, il venait de tenter cette expérience à Mubanga et à Makora où le fils du chef devint catéchumène.

Partout, il parle de la bonne réception des chefs. Les relations avec les chefs et la conversion de ces derniers incluaient aussi la collaboration de leurs sujets directs et de la population de leur village. Ainsi, la conversion des chefs, garants de la tradition ancestrale, signifiait pour le peuple l’abandon de la culture traditionnelle.

Malheureusement, les Pères Joseph Lens et Pierre Fernan Germaind prirent la direction du sud près du lac Edouard. Le Père Pierre Fernan Germaind tomba malade et se rendit à Kasindi où il espérait trouver un médecin qui ne pouvait pas longtemps soigner sa pleuro-pneumonie car il vint à mourir après quelques jours. Ce premier décès d’un des Pères du Sacré-Cœur de Saint-Quentin ne permit pas l’ouverture immédiate du centre d’Irumu 381 .

Le Père Léon Cambron quitta Beni saint-Gustave le 26 janvier 1908 pour se dirigea à Irumu où il demeura trois semaines après onze jours de marche à pied. Il y rencontra deux cents catéchumènes avides d’avoir des chapelets, des médailles, des scapulaires, et des images. Ce groupe de néophytes lui donna envie d’y fonder une station de mission et lui-même espéra que les Pères s’y installeraient définitivement 382 .

Il y institua un catéchiste marié, père d’un enfant, avec qui il était parti et se rendit à Kilo, comme son prédécesseur, et enregistra 400 catéchumènes parmi les travailleurs de la mine et les indigènes. À la demande des missionnaires ou, à défaut, d’un catéchiste, le Père répondit en demandant de la patience car il espérait que du renfort viendrait d’Europe. Néanmoins, il constitua un rapport pour encourager Mgr Gabriel Grison et lui proposer de bien vouloir, dans l’avenir, mettre ce centre sous le patronage de la Mère de Miséricorde 383 . Après la guerre, en 1919, les Déhoniens remarquent que « Irumu crie jusqu’aux plut des cieux son abandon spirituel 384  ». Ce cri ne retentira plus à leurs oreilles car, en 1922, le centre appartiendra aux Pères Blancs, installés à Kilo depuis 1909.

Outre cette partie minière au Nord de Beni, aussitôt après l’arrivée des Déhoniens à Beni, en 1906, le Père Léon Farinelle ainsi que ses confrères se rendaient aussi à Rutchuru, dans le sud du district, à neuf jours de Saint-Gustave pour visiter les chrétiens et les catéchumènes.

Carte n° 8 : La Mission des Dehoniens Des Falls et de Beni
Carte n° 8 : La Mission des Dehoniens Des Falls et de Beni

Source : Archives des Pères Assomptionnistes à Rome : cartes sans numeros de classement. Cf. Dossier Congo. Le territoire des Déhoniens au Congo et leur champs d’apostolat à Beni

Cette région était du ressort des Missionnaires d’Afrique, les Pères Blancs du Tanganyika, qui se trouvaient dans l’impossibilité de desservir cette région. C’est pourquoi ils demandèrent aux Déhoniens de les remplacer pour quelque temps. Comme partout ailleurs, il y rencontra des chrétiens et des catéchumènes dont il régularisa la situation chrétienne 385 . Après la première guerre mondiale, les archives restent muettes sur l’activité des Déhoniens en cette contrée.

Pendant que se poursuivaient les démarches d’une mission juridiquement autonome, à cause de l’expansion déhonienne dans le territoire même de Beni, les Pères du Sacré-Cœur étendaient leurs activités apostoliques parmi lesquelles la création du poste de mission Kimbulu Saint-Joseph, dans la zone de Lubero. Les Pères Léon Cambron et Piet Verheul vinrent s'installer en 1924, laissant dans la solitude le Père Joseph Lens, un malade au milieu d’une population atteinte par la maladie du sommeil. Après quatorze ans d'absence à Beni, le Père Modeste D'Hossche, vint rejoindre ce Père vivant dans la solitude, malade au milieu d’une population atteinte par la maladie du sommeil.

Le choix de l’emplacement du poste de Kimbulu fut fortement conditionné par l'exploitation minière de la compagnie Minière des Grands Lacs (M.G.L.), par le poste d'État de Lubero, et enfin par la forte densité de la population ainsi la présumée fertilité du sol qui pourvoirait aux besoins du poste. Certes, les Pères n'étaient pas à la recherche de l'or ni du platine mais de la sécurité en présence du groupe d'Européens qui y travaillait et de l'Etat qui, éventuellement, dans une contrée encore insoumise offrirait une protection aux missionnaires.

Une fois de plus, cette fondation nous dévoile la « trinité coloniale 386  » dont les trois pôles sont la présence de l'État, les grandes compagnies et le poste de mission. En effet, l’État et les compagnies défendaient avec acharnement l'occupation effective du Congo par l'action organisée presque exclusivement à partir de la Belgique, et la mission ayant pour rôle d’apporter une civilisation chrétienne 387 .

Au début, à Kimbulu, les missionnaires se heurtèrent à la méfiance de la population montagnarde, très timide et fermée. Cependant, quand la population locale remarqua que les Pères, hommes de Dieu, étaient tout autres que les militaires et les exploitants Belges, et qu'ils utilisaient un autre langage et également d'autres méthodes de travail, elle s'attacha à eux et leur prêta une forte collaboration en sorte que le Père Piet Verheul s'exclama : « A Beni, ils bavardent beaucoup, mais ne réalisent rien ; ici l'on se tait mais on travaille 388  ».

Les missionnaires, notamment le Père Léon Cambron, installèrent à Kimbulu un moulin et y introduisirent la culture du froment. La région, une fois pacifiée, les deux Pères reçurent un troisième, le Père Thomas De Westerlinck. Ils se mirent à parcourir la région, à recruter des catéchumènes, à installer des catéchistes dans les villages, à créer une école et à évangéliser la population. Cependant, l’occupation de ce poste de mission Kimbulu Saint-Joseph n'était qu’éphémère : les Pères n’y restèrent que durant environ cinq ans (1924-1929) car les assomptionnistes annonçaient leur arrivée.

Notes
372.

Romanus DECLERCQ, op. cit., p. 5.

373.

D.F. De MEEUS et D.R. STEENBERGHEN, op. cit. , p. 131.

374.

Lettre du Père Léon Farinelle au Père Léon Déhon, dans Le Règne du Sacré-Cœur (1907), p. 83-85.

375.

; Léon FARINELLE, « Un voyage à Irumu », dans Le Règne du Sacré-Cœur (1907), p. 146-151.

376.

ED 83, Lettre du Père Léon Farinelle au le Père Léon Déhon, Beni 1907.

377.

; Léon FARINELLE, « Un voyage à Irumu », dans Le Règne du Sacré-Cœur (1907), p. 135-140. 146-151.

378.

ED 88 : Correspondance du Père Léon Déhon avec la Congrégation de la Propagation de la foi. Saint-Quentin, le 8 janvier 1908.

379.

Lettre du Père Pierre Fernan Germaind, Beni, le 20 août 1907, dans Le Règne du Sacré-Cœur (1907), p. 166.

380.

Chaque case d’un missionnaire serait de 13 mètres avec un toit de 9 mètres : les deux chambres du Père seraient chacune de 4 m2 séparée par une barza de 5 m. Celle-ci, dans chaque village, servirait à accueillir les chrétiens au lieu de les recevoir en plein au milieu de toutes les intempéries, et à y donner les instructions nécessaires aux chrétiens, aux catéchumènes ou servirait de salle de classe. Cf. Pierre Fernan GermainD, À Beni, dans Le Règne du Sacré-Cœur (1908), p. 7.

381.

ED 100 : Lettre du Père Léon Cambron avec le Recteur du scolasticat Notre-Dame du Congo, Saint Gustave, le 14 février 1910.

382.

Lettre du Père Léon Cambron à une bienfaitrice. Irumu, le 26 janvier 1908, dans Le Règne du Sacré-Cœur (1908), p. 75-76.

383.

ED 100 : Lettre du Père Léon Cambron avec le Recteur du scolasticat Notre-Dame du Congo. Saint-Gustave, le 14 février 1910.

384.

ED 146 : Lettre du Père Victor-Remy au Supérieur général. Beni, le 23 juillet 1919.

385.

Saint-Gustave, le 14 février 1910.

386.

R. CORNEVIN, Histoire de l'Afrique. Des origines à la deuxième guerre mondiale. Paris, Payot, 1970, p.23.

387.

Robert CORNEVIN, Histoire de l’Afrique. Des origines à la deuxième guerre mondiale. Paris, Payot, 1970, p. 23 ; Joseph KI-ZERBO, Histoire de l’Afrique noire. Paris, Hatier, 1972, p. 329.

388.

Cette citation est recueillie par R.DECLERCQ, op. cit., p. 8.