2.4.2. L’arrivée des Assomptionnistes au Congo (1893-1929)

La grande expansion des missionnaires Assomptionnistes dans les terres considérées comme païennes, l'Amérique et l'Afrique, se réalisa au temps du Père François Picard qui prépara la pénétration de l'Assomption en Afrique pour se dévouer à la conversion des Noirs 552 . En effet, durant trois ans (1893-1896), le Père François Picard entra en relations avec le Comte Raymond du Chastel-Anderlot. Ces contacts aboutirent à la promesse du Comte au gouvernement belge de bâtir un collège avec son église pour environ deux cents enfants, de fournir un fonds de mobilier avec un subside pour chaque enfant, et d'accorder une donation, à perpétuité et sans condition, d'environ 5000 hectares pour les cultures 553 .

Cette concession belge pour une mission au Congo-Belge provient des relations humaines. En effet, le Comte Raymond du Chastel-Anderlot, capitaine de la cavalerie de la maison militaire du roi Léopold II, était ami et bienfaiteur de la congrégation. Son poste stratégique lui permit de parler de l'Assomption au roi qui cherchait partout des missionnaires pour sa vaste colonie, l'État Indépendant du Congo. Le roi vint à être favorable à la requête du Comte.

Mais l'Assomption, à cette période (1893-1896), n'avait qu'un seul religieux belge, le Père Anselme Catoire et la fondation au Congo demandait à ses débuts cinq missionnaires dont au moins trois seraient de nationalité belge 554 ? Il a fallu attendre l'après guerre (1914-1918) pour que l'Assomption reconsidère la question d'une mission au Congo.

En 1920, l'Assomption désirait avoir un champ apostolique en Afrique et ne l'obtint qu'après neuf ans de patience. Le Père Joseph Maubon (1849-1932), Vicaire général de la Congrégation et Le Père Possidius Dauby (1883-1975), Supérieur de la maison d'études à Louvain entrèrent en contact avec Mgr Rollin des Pères Dominicains dans l'Uélé-oriental.

La même année 1920, le Père Joseph Maubon entreprit des pourparlers avec Mgr Derickx des Prémontrés de Tongerloo dans l'Uélé-occidental ; par ailleurs, le 16 mai1922, le Saint Siège par le biais de la correspondance du cardinal G.M. Van Rossum, Préfet de la congrégation de la propagation de la foi, et de Mgr Fumasoni-Biondi, son secrétaire, proposa le partage du Haut-Katanga avec les Spiritains (1907).

Enfin, les Pères Dominicains, en 1923, ouvrirent la possibilité du partage de leur mission à d’autres congrégations religieuses, et sollicitèrent la collaboration des Assomptionnistes. Mais les Augustins de l’Assomption ne parvinrent pas au bout de toutes ces démarches.

Les causes qui peuvent aider à comprendre ces échecs dans le partage des territoires des missions religieuses au Congo entre 1920 et 1929 sont d’ordre personnel, institutionnel et interne aux congrégations religieuses concernées par la cession et la réception du champ apostolique. En 1920, lors des tractations des Assomptionnistes avec les Pères Dominicains (1920), ces derniers préféraient que la subdivision de leur territoire se fasse entre leurs différentes communautés. Bien plus, ni Rome, ni le Supérieur général des Dominicains, ni l'État belge n'avaient pris aucune décision sur ce territoire de l’Uélé-oriental. Les accords de partagent se sont passés entre les contractants sans avoir eu l’autorisation de leurs supérieurs.

Il en fut de même en 1920 entre les Assomptionnistes et les Prémontrés. Quand Rome demanda les données juridiques qui orienteraient une décision, les deux congrégations ne savaient pas les présenter car elles n’existaient pas. Les pourparlers se déroulaient entre des missionnaires zélés 555 et non des juristes. En outre, pendant que le Père Joseph Maubon s'évertuait, en 1922, à contacter les Spiritains, l'Assomption s'occupait des tractations sur l'organisation interne de l'Institut et sur l'approbation définitive de ses Constitutions. Elle ne pouvait pas, par conséquent accepter la proposition du Saint Siège, ni celle des Spiritains.

C’est pourquoi, en 1923, le Supérieur général des Assomptionnistes, le Père Gervais Quénard, dans son procès verbal du 10 juillet 1923, lors du conseil de congrégation, pour ne pas manquer de délicatesse à l'égard du Saint Siège qui venait de proposer le Haut-Katanga, récusa la proposition des Dominicains. Cependant, indépendamment de ces raisons, le problème majeur qui résidait dans l'Assomption résidait dans la pénurie du personnel et des moyens financiers pour la mission.

Finalement, en 1925, la Congrégation de la Propagande proposa à l’Assomption une seconde mission au Congo. A cette occasion, l'Assomption ne voulut plus décevoir Rome ni décourager les candidats volontaires pour la mission. L’heure de la mission semblait avoir sonné pour l’Assomption. En effet, la congrégation venait d’ériger depuis 1923 la Province Belgo-Batave qui regroupait les Belges et les Hollandais. Les vocations y étaient devenues florissantes à tel point que le rapport 556 du Père Remy Kokel, Supérieur provincial (1923-1929), durant l’exercice de l’année 1928-1929, relève un nombre assez considérable de religieux: 57 prêtres, 44 scolastiques, 21 frères convers et 16 novices.

Bien plus, ces religieux étaient enthousiastes à l’idée d’une mission lointaine. D’autres volontaires imploraient leur Supérieur provincial de leur accorder cette faveur comme nous le montre cette lettre du Père Henri-Joseph Piérard qui écrit : « Mon père, je vous supplie de m'envoyer au Congo avec le premier départ. Quand même je serais sûr de faire naufrage en route, faites moi partir pour la mission 557 . La suite favorable à sa requête fut pleine d’avenir. Ce Père devint le premier supérieur ecclésiastique depuis la mission indépendante de Beni jusqu’à son érection en diocèse.

En 1928, le Père Remy Kokel entra en relation avec M. De Boeck, Directeur des œuvres missionnaires belges, à propos de la mission assomptionniste au Congo. Ce dernier lui conseilla de contacter son frère Mgr De Boeck qui désirait une recevoir une collaboration dans son vicariat apostolique d’Anvers (nord de l’Equateur). Dès que le Père Remy Kokel s’entretint avec lui, Mgr De Boeck manifesta sa disponibilité à venir en aide à l’Assomption si elle ne venait pas à avoir un champ apostolique dans le Vicariat de Stanley-Falls. En effet, depuis les années 1920, Mgr Gabriel Grison aux Falls demandait au Saint Siège et à sa Congrégation du secours qu’il n’obtenait pas.

Le Père Remy Kokel s’exécuta aussitôt et demanda à Mgr Gabriel Grison, dans sa lettre du 03 avril 1928, la suite des premiers contacts qu’il venait d’avoir avec lui.. Mgr Gabriel Grison lui répondit directement par un télégramme codé : « D’accord, si Rome et notre Général acceptent ; et si je n’avais pas les mains liées». Il expliqua cette brève réponse dans sa lettre du 14 mai 1928 en rappelant au Père Rémy Kokel que la question de la scission de son entité ecclésiastique était depuis trois ans entre les mains de ses Supérieurs religieux et ecclésiastiques. Par conséquent; il ne pouvait plus agir sans eux.

C’est pourquoi, Mgr Gabriel Grison poursuit dans sa lettre que, s’il n'avait les mains liées, il aurait directement demandé au Provincial assomptionniste de faire promptement ses préparatifs et d’envoyer aussitôt ses missionnaires. Il promit ensuite qu’il ne donnerait pas la partie ouest de la Lomami mais l’est qui est meilleur et qui a déjà deux postes de missions et souhaita que l’Assomption obtienne sans tarder soit une mission indépendante 558 soit une préfecture 559 . Enfin, il lui assura que « si la situation restait inchangée » à cause du manque du personnel, Rome répondrait favorablement à cette requête des Assomptionnistes 560 .

Le Père Rémy Kokel vit en ces promesses une récompense divine des prières, des jeûnes et des mortifications des Sœurs des Pauvres Claires auxquelles il avait recommandé la demande de la mission au Congo. Par ailleurs, le procureur qui avait répondu, en 1925, au Saint Siège lors de la proposition de la mission pour l’Assomption au Congo : « C’est ce que nous désirons depuis longtemps et je me demande quand nous pourrons enfin nous y mettre 561  » vit poindre à l’horizon la réalisation du souhait des autorités romaines. L’heure avait donc sonné pour s’employer à la pénétration de l’Assomption en Afrique centrale.

En effet, depuis le mois de novembre 1928, selon une source non officielle du Saint Siège, des informations d'une mission possible pour le Congo circulaient dans les communautés religieuses. Celles-ci se confirmèrent en janvier 1929 quand le Père Gervais Quénard et la Congrégation se préparant au Chapitre général reçurent du Saint Siège l'annonce que l’Assomption recevrait la partie sud-est du Vicariat apostolique de Stanley-Falls.

A cette occasion, le Père Rémy Kokel fit chanter le Magnificat dans toutes les communautés de la Province Belgo-Batave car le rêve de la mission au Congo était devenu une réalité. Le Père lui-même venait d’être nommé assistant général à Rome. Il chanta son Nunc et dimittis et confia à son successeur le Père Norbert Claes la responsabilité d’organiser le départ des religieux et chercher les ressources nécessaires pour la mission naissante au Congo 562 .

Cependant, comment comprendre le fait que Mgr Grison ait cédé la meilleure 563 partie de son vicariat avec les deux postes de Beni et de Kimbulu au lieu de l’ouest de la Lomami selon la suggestion que M De Boeck confia au Père Rémy Kokel. Quand Mgr Gabriel Grison apprit que les Assomptionnistes venaient prendre la relève des Déhoniens, il se rendit à Beni pour accueillir les nouveaux missionnaires. À bout de patience, il écrit une lettre du 4 août 1929 dans lequel il présentait la situation de la mission de Beni. Dans cette lettre, comme dans celle du 3 septembre 1935 adressée au Père Henri Piérard, Mgr Gabriel Grison souligna que cette mission a été pour lui une source d’ennuis 564 .

Les conditions climatiques, les problèmes de communication à cause de l’isolement, la pénurie du personnel accentuée par les décès de missionnaires étaient autant de facteurs qui rendaient la mission insoutenable 565 . Dans ce sens, il prévenait ainsi les nouveaux missionnaires :

‘« Déjà si éprouvée par ces transferts successifs, cette mission l’a été davantage par son personnel. Bien que la région soit la plus saine de mon Vicariat, nous y avons perdus six Pères. Il nous a été impossible de la soutenir comme nous l’avions voulu, à cause de son isolement, de la difficulté presque insurmontable des communications et de la pénurie du personnel 566 . Lorsque vous êtes arrivés, je n’avais plus que trois missionnaires là-bas et si vous n’étiez pas venus, il n’y en aurait pas davantage aujourd’hui. Ce qui justifie l’empressement avec lequel j’ai accueilli la requête des Pères de l’Assomption. Au temps des caravanes, Beni était si loin et surtout, si isolé 567  ».’

Ce fut dans ce même contexte que Mgr Gabriel Grison affirmait qu’il était plus facile d’aller de Beni à Bruxelles que de Stanvelyville à Beni qui est à plus ou moins 860 kilomètres.

Cependant, il serait difficile de souscrire à la note de la Sœur Tournellec affirmant que les postes de Beni et de Lubero présentaient un climat trop frais pour le tempérament de Mgr Gabriel Grison, adapté au climat chaud des Stanley-Falls. La raison climatique reste ambiguë pour les missionnaires Déhoniens comme nous le soulignions dans les paragraphes précédents, et son appréciation dépendait du contexte soit de l’évolution des œuvres soit des interlocuteurs. Néanmoins, l’affirmation de cette religieuse sur le climat semble en contradiction avec les témoignages du vicaire apostolique.

Mgr Gabriel Grison affirmait que la partie orientale de son vicariat était la plus saine de son territoire et qu’il la préférerait pour sa retraite quand il écrivait successivement le 23 octobre 1930 et le 21 juillet 1935 aux Pères Conrad Groenen et Henri Piérard :

‘« Les commencements seront sont doute un peu durs comme il arrive presque toujours d’autant plus que vous arrivez en pleine saison pluvieuse. Mais les ennuis grands et petits sont assez habituellement la condition d’un apostolat béni. Du moins, vous n’avez pas à souffrir du climat : à Lubero il est européen et il fait très bon à Beni. Vous occupez la partie la plus saine de mon Vicariat 568 . Vous savez combien elle (la mission) m’est chère. Si elle nous était restée, j’y aurais sans doute pris ma retraite. La première fois que je suis allé là-bas, en 1906, j’ai été séduit par la beauté du pays et la bonne volonté de ses habitants 569  ».’

Les difficultés consécutives aux changements successifs de l’emplacement du poste de Beni, à la pénurie du personnel, aux décès et aux difficultés de communication, à l’isolement de la contrée s’entremêlent avec des motivations humaines, spirituelles et pastorales, dont le but était de « hâter l’évangélisation 570  ».

Les relations entre les Assomptionnistes et les Déhoniens, en France, peuvent avoir aussi favorisé la collaboration à la même mission au Congo-Belge. Dans les années 1870, le jeune prêtre Léon Déhon de Saint-Quentin, fondateur des Pères du Sacré-Cœur, partit recommander son projet de fondation de sa congrégation à la prière du Père d'Alzon, le fondateur des Augustins de l'Assomption.

A son tour, Mgr Gabriel Grison, pendant qu’il était un jeune prêtre, se rendit en 1886 à Lourdes pour y remercier la Vierge Marie d'avoir obtenu de son évêque, la permission d'entrer dans un Institut missionnaire. A cette occasion, il rencontra le Père François Picard, le premier supérieur général des Assomptionnistes après le fondateur.

Ce dernier lui permit de célébrer à la grotte réservée uniquement aux évêques pendant le National 571 . Cette faveur marqua positivement Mgr Gabriel Grison qui exprima en ces termes ses sentiments de gratitude à l'égard de l'Assomption au Père Henri Piérard dans sa correspondance du 26 février 1936 :

‘« Je ne connaissais les Pères de l'Assomption que par le bien qu'ils ont fait en France et par votre Père Picard de qui j'ai eu en 1886, pauvre et humble petit religieux, la faveur réservée aux seuls évêques et aux directeurs des pèlerinages. Mais, si aujourd'hui nous avons en France une presse vraiment catholique, absolument dévouée au Saint Siège et assez puissante pour combattre celle du diable avec succès, c'est à Louis Veuillot et aux Pères de l'Assomption que nous sommes redevables. Et puis, vous êtes consacrés à la Sainte Vierge et c'est pour cela, cher Père, que j'ai regardé votre arrivée dans mon Vicariat comme une bénédiction de cette bonne Mère 572  ».’

De cette lettre se dégage non seulement la sympathie et l'affection d’un français, Mgr Gabriel Grison, à l'égard de l'Assomption qui est d'origine française, mais surtout une motivation spirituelle : les bénédictions de la Vierge Marie sur une partie de son Vicariat. Ainsi, les liens humains et spirituels entre le Père Léon Déhon et le Père Emmanuel d'Alzon, entre Mgr Gabriel Grison et le Père François Picard se concrétisèrent dans un apostolat spécifique, la collaboration à une même oeuvre dans la mission du Congo-Belge, en Afrique noire.

Notes
552.

Romanus DECLERCQ, Le Vicariat apostolique de Beni, dans Lovania 1946, p. 1.

553.

APAR, FE, 548 : Lettre du 26 juillet 1893 de M. du Chastel au Père Picard.

554.

APAR, 2 MI 17 : Mission du Congo. Reccueil de lettres sur la question du Congo, p. 1.

555.

Lieven BERGMANS, Cinquante ans de présence assomptionniste au Nord-Kivu, Butembo, Éditions Assomption Butembo-Beni, 1979, p. 17

556.

APAR, 2 MI 17 : Mission au Congo, op. cit., p. 3.

557.

Romanus DECLERCQ, op. cit., p. 9.

558.

APAR, 2 LN 108, 7 : Mgr Gabriel Grison au Père Rémy Kokel. Stanleyville, le 14 mai 1928.

559.

APAR, 2 LN 108, XI, 2 : Lettre du Père Christen, procureur des Prêtres du Sacré-Cœur. Staneyville, le 2 avril 1928.

560.

APAR, 2 LN 108, XI, 1 : Mgr Gabriel Grison au Père Remy Kokel, Stanley-Falls, le 14 mai 1928.

561.

APAR, 2 LN 108, XI, 1 : Mgr Gabriel Grison au Père Rémy Kokel. Stanleyville, le 14 mai 1928.

562.

Romanus DECLERCQ., op. cit., p. 9.

563.

APAR, 2 LN 108, XI, 1 : Mgr Gabriel Grison avec le Père Remy Kokel, Stanley-Falls, le 14 mai 1928 ; Correspondance de Mgr Gabriel Grison avec le Père Conrad Grœnen. Saint Gabriel, le 23 octobre 1933.

564.

Mgr Gabriel Grison au Père Henri Piérard. Stanley-Falls, 3 septembre 1934.

565.

Mgr Gabriel Grison à ses missionnaires. Beni le 15 juillet 1931.

566.

Mémorandum de Mgr Gabriel Grison à ses missionnaires. Beni, le 4 août 1929.

567.

Correspondance de Mgr Gabriel Grison avec le Père Henri Piérard. Stanley-Falls, 3 septembre 1934.

568.

Mgr Gabriel Grison au Père Conrad Grœnen, Saint-Gabriel, le 23 octobre 1930.

569.

Mgr Gabriel Grison au Père Henri Piérard. Stanley-Falls, 21 juillet 1934.

570.

« Une vaillante figure d’apôtre », dans Le Règne du Sacré-Cœur (1934) n°5, p.26.

571.

Henri PIÉRARD, "Un fief de Notre Dame de l'Assomption au cœur de l'Afrique", dans L’Afrique ardente (1954) n° 82, p. 4 ; Correspondance du Père Gervais Quénard. Stanleyville, le 12 novembre 1935 ; Gervais QUENARD, Le miracle des Eglises noires, op. cit., p. 27.

572.

Mgr Gabriel Grison au Père Henri Piérard. Stanley-Falls, le 26 février 1936.