2.5.1. Le diocèse de Butembo-Beni

L'érection du Vicariat de Beni en 1938 fut accueillie comme un appel à un nouvel élan missionnaire. Mais soudainement, cet élan apostolique fut frappé par la seconde guerre mondiale (1940-1945). L'isolement de la métropole, certaines maladies subites comme l'hématurie et l'infection rénale, la mort brutale du Père Artus Léopold (1908-1942), foudroyé au confessionnal avec un pénitent, et l'épuisement physique engendraient une fatigue psychologique chez les missionnaires qui ne pouvaient plus espérer du renfort, d'avoir un congé en Europe pour refaire leurs forces 634 .

L’hospitalité fut offerte à de nombreux missionnaires d'autres vicariats notamment d'Équateur et d'Isangi qui furent accueillis dans les postes de Beni, de Mulo, de Bunyuka et de Kyondo pendant le temps nécessaire pour refaire leurs forces en vue de l'apostolat dans leurs régions. Cet « apostolat de charité » intégrant ces visiteurs dans le ministère pastoral et la vie commune aurait fait qualifier les Assomptionnistes de « géants de la charité ».

Ce bon souvenir aurait même poussé certains missionnaires étrangers à souhaiter une nouvelle guerre pour pouvoir revoir la contrée et les Pères dans leurs randonnées apostoliques où ils connaissaient les sentiers et les personnes 635  ! Pour les Assomptionnistes ces rencontres furent l’occasion de développer la charité fraternelle et s'intéresser à toutes les missions du Congo dans une dilection et solidarité ecclésiale 636 .

Durant la seconde guerre mondiale, le pusillus grex de missionnaires restés à la tâche dans un vaste champ apostolique, poursuivait la christianisation 637 du vicariat dans les domaines de la pastorale, de l'enseignement et de l'assistance médicale dont voici le tableau général :

Postes 7 Pères 21 Frères 5
Abbé 1 Maisons des Sœurs 3 Religieuses 11
Églises 9 Chapelles 913 Catéchistes 827
Moniteurs 374 Chrétiens 71 994 Néophytes 26 427
Petit séminaire 1 Séminaristes 19 Fermes-écoles 2

Cependant, dans ce contexte de guerre, les missionnaires ne pouvaient plus entreprendre de nouvelles conquêtes. Ils s'attachèrent plutôt aux oeuvres existantes en les organisant et en pourvoyant aux nécessités spirituelles des chrétiens au nombre incessamment croissant, mais à un rythme moins rapide qu'avant la tourmente 638 .

Il a fallu attendre la fin de la guerre (1940-1945) pour entreprendre de nouvelles conquêtes grâce à l'arrivée d'une vingtaine de missionnaires. Elle permit aux religieux qui avaient enduré le poids de la guerre de se rendre en Europe pour un repos réparateur. Avec ce renfort, Mgr Henri Piérard et ses missionnaires ouvrirent en trois ans (1945-1948) quatre postes de missions : Musienene Sacré-Coeur (1945), Butembo-Kitatumba, Immaculée Conception de Marie(1946) avec la Procure du Vicariat (1946) et le poste de mission à Biambwe, Mutwanga Notre Dame des Neiges (1947) et Buisegha Notre Dame de l'Assomption (1948) chez les Batalinga à la frontière du Congo et de l'Ouganda.

La grande expansion du christianisme dans le vicariat de Beni se situe dans les années 1950-1960 durant lesquelles Mgr Henri Piérard ouvrit dix nouveaux postes grâce au nouveau renfort missionnaire et surtout au renouvellement de la méthode de christianisation. Elle consistait en des contacts étroits avec le peuple afin de constituer des postes dominicaux importants en petites paroisses à taille humaine. Elle consistait, en outre, en un essai d'acculturation du message évangélique en prenant les valeurs positives de la tradition dans sa théodicée et son éthique, d’où l'intérêt porté par les missionnaires à la culture nande 639 .

La nouvelle méthode nécessita une adaptation des Instructions des Ordinaires du Congo-Belge et du Rwanda-Urundi de 1955 et fut à l'origine en 1959 du Directoire pastoral à l'usage des Prêtres du vicariat de Beni. Ce directoire exhorte d'abord à la dilection sacerdotale, à l'union et la collaboration entre les membres du clergé diocésain et les missionnaires, et définit les orientations pastorales du vicariat 640 .

Cependant, ces fondations et implantations avec des moyens de fortune 641 ont parfois contraint les missionnaires à vivre géographiquement et psychologiquement dans l'isolement à deux ou même dans la solitude et dans la misère à cause de la pénurie financière permanente dans le vicariat. Le problème financier ne permit pas à Mgr Henri Piérard de réaliser son désir de bâtir une basilique votive à la Vierge Marie sur les sommets des monts de la Ruwenzori en 1952 dans laquelle résideraient des adoratrices et prieraient les pèlerins de passage.

Image n° 5 : Basilique aux Monts Ruwenzori
Image n° 5 : Basilique aux Monts Ruwenzori

Source : Romanus DECLERCQ,
Source 2 : Henri PIÉRARD : Un fief de Notre Dame

Avec ce renouvellement de méthode, les œuvres paroissiales ont toujours été accompagnées par les œuvres sociales, en particulier l'enseignement scolaire qui est aussi au service de la formation à la vie chrétienne et à l'évangélisation i . Pour les missionnaires, l'instruction profane était un des facteurs du développement d'une nation et un moyen d'exercer une influence plus profonde sur le peuple que la simple catéchisation 642 .

Animés de cette conviction, les religieux et les religieuses fondèrent des écoles primaires dans leurs postes et ouvrirent deux Écoles d'Apprentissage Pédagogique pour la formation des moniteurs-catéchistes, des écoles secondaires à Mulo et à Bunyuka, des écoles à la vie pratique en vue du développement de la contrée à savoir les écoles artisanales de menuiserie, de maçonnerie et de mécanique qui ont contribué à l'amélioration de l'habitat.

En outre, des foyers sociaux, des centres d'alphabétisation, et une École Technique Agricole et Vétérinaire (1952) ouvrirent leurs portes à la population locale. Aux activités scolaires, les religieuses ajoutèrent aussi l’action pour soulager les misères physiques du peuple dans les léproseries, les dispensaires, les maternités et les hôpitaux, aidaient les enfants dans des pouponnières et des ouvroirs, et ouvrirent des écoles d’auxiliaires infirmières.

Devant l’accroissement d'œuvres pastorales, scolaires et médicales, avec un personnel missionnaire diversifié, renforcé par les congrégations indigènes, les agents évangélisateurs autochtones laïcs allant des chrétiens, des membres des mouvements d'action catholique jusqu'aux catéchistes et les catéchumènes, le pape Jean XXIII (1958-1963) dans son décret De mutatione nominis diocesis 643 érigea en 1959 le vicariat apostolique de Beni en diocèse de Beni, suffragant de Bukavu 644 dans le Sud-Kivu.

Mais, cette élévation du vicariat en diocèse de Beni à la veille de l'indépendance du pays (30 juin 1960) se situe dans un contexte de décolonisation. L'Église semble avoir devancé de peu la politique coloniale belge dans le processus d'accession à l'indépendance. Elle montre que les colonisés deviennent capables de diriger leur propre destinée, de collaborer activement au bien général, et de prendre part à la conduite des affaires publiques de leurs pays. Toutefois, elle ne veut pas se prononcer sur les modalités ou le moment de l'émancipation d'un peuple. Cependant, elle s'efforce de promouvoir le clergé autochtone et son autonomie 645 .

Ainsi, depuis la fin de la seconde guerre mondiale (1945), Rome nommait des évêques des belges au Congo et, dans les années 1950, commença à ériger des diocèses avec des évêques autochtones depuis 1956 montrant ainsi progressivement le caractère transitoire des missions européennes et détachant peu à peu l'organisation locale des cadres métropolitains 646 .

Dans ce contexte, Mgr Henri Piérard qui était le premier supérieur ecclésiastique de la mission de Beni en devint le vicaire apostolique et finalement le premier évêque résidentiel. Avec ce nouveau statut juridique, la mission de Beni qui recevait les directives de Stanley-Falls (Kisangani dans la Province Orientale du Congo) aura désormais le regard tourné vers la métropole dans le Sud Kivu.

À l'érection du Vicariat de Beni en diocèse, le christianisme venait de se répandre dans presque tous les coins du diocèse : la zone de Beni comptait six paroisses tandis que la zone de Lubero, la plus peuplée, en avait quatorze. Par conséquent, pour des raisons pastorales et administratives, afin de mieux coordonner les activités apostoliques et de faciliter les contacts du Pasteur avec sa chrétienté tout entière, Mgr Henri Piérard, en 1965, transféra son siége épiscopal à Butembo 647 .

La position stratégique de ce centre de Butembo fut avantageuse car elle diminua les distances des postes éloignés d'au moins cinquante kilomètres. Elle favorise non seulement la coordination et l'unification des activités apostoliques mais aussi les échanges humains et communautaires entre les paroisses ainsi que le partage des expériences pastorales entre les trois régions pastorales comptant, à cette période, 21 paroisses réparties en trois régions en nombre inégal selon la densité chrétienne de la population.

Notes
634.

Romanus DECLERCQ, « L'après-guerre immédiat (1945-1948) », dans Afrique ardente (1956)n°95, p; 4.

635.

Lieven BERGMANS., Cinquante ans de présence Assomptioniste au Nord-Kivu, op. cit., p. 97-98.

636.

Henri Piérard, Rapport annuel 1940 1944, p. 3.

637.

Ibidem, p. 3.

638.

Romanus DECLERCQ, « L'après-guerre immédiat (1945-1948) », op. cit, p. 4.

Matthieu SITONE., Facteurs défavorables à l'évangélisation du diocèse de Butembo-Beni. Kinshasa, 1997, (Notes personnelles inédites).

639.

A part les traductions du catéchisme et des livres de prières, les missionnaires dont Lieven Bergmans, Leo Bergmans, Marcel Joniaux, Baudet Guibert (1960)s'intéressant à la culture commencèrent à composer des livres qui parurent bien tardivement. Ces 13 ouvrages recensés vont de la grammaire bilingue (français-kinande), en passant par les proverbes (emisyo), les contes, la significations des noms propres et l'art, la méditation sur le chemin de la Croix jusqu'à l'histoire du peuple dont certains ouvrages se retrouvent dans la bibliographie à la fin de ce travail.

640.

Le Directoire pastoral à l'usage des prêtres du Vicariat de Beni encore en usage aujourd'hui compote cinq parties présentant des lignes directrices aux agents de l'évangélisation sur les thèmes de la vie spirituelle et intellectuelle des Prêtres, la discipline du clergé, l'organisation de l'apostolat, la discipline des sacrements, et les problèmes pastoraux.

641.

Pour ne citer qu'un exemple parmi tant d'autres, dans un dialogue informel à Namur Saint Gérard, le vendredi saint 18 avril.2003, le Père Marc Champion (85 ans), missionnaire Assomptionniste au Congo-Kinshasa racontait qu'en janvier 1955 il ouvrit la paroisse de Lubango avec une somme équivalente à 30 dollars américains et que les constructions d'une église en pisé en trois mois grâce à la contribution des chrétiens.

i.
642.

Gabriel GRISON., Lettre circulaire.Stanley-Falls, le 8 novembre 1932 ; Marie Jules CELIS. Rapport sur la Mission Assomptionniste au Congo-Belge. Louvain, le 29 décembre 1934 ; « Les Ecoles en Afrique », dans L’Afrique Ardente (1937)n°4, p. 2.

643.

Acta Apostolica Sedis 52(1960), p. 913-914.

644.

Ibidem, p. 373.

645.

M. MERLE (dir)., Les Églises chrétiennes et la décolonisation. Paris, Libr. Armand Coldans, 1967, p. 30-32.

« Au seuil de l'dansdépendance », dans L’Afrique ardente (1960)n°115, p. 7-10.

646.

M. MERLE (dir)., op. cit., p. 42-46.

647.

Acta Apostolica Sedis n°59 (1967), p. 167.