2.5.3. Convention bilatérale (1966-1996) : le temps du partenariat

Après la passation du pouvoir qui marque la fin du jus commissionis, la situation nouvelle exigea une nouvelle réglementation ecclésiastique des relations et des rapports de collaboration entre la Congrégation missionnaire et le diocèse de Butembo-Beni. Cette réglementation intitulée Convention bilatérale entre le Diocèse de Beni et la Congrégation des Prêtres de l'Assomption, signée le 14 mars 1965 par Mgr Henri Piérard, et approuvée après les amendements nécessaires le 29 mars 1965 pour une durée de trois ans de péremption par le Père Wilfrid J. Dufault, Supérieur général de la Congrégation des Augustins de l'Assomption avait déjà connu en 1947 une préparation lointaine.

A cette date, le Père Rodrigue Moors, Supérieur provincial de la Belgique, demanda la rédaction des 'Statuta pro missione a.a. in Congo Belgico' qui régiraient les rapports entre la vie religieuse et la mission qui étaient difficilement perceptibles. Ces statuts se réalisèrent par cette convention dans laquelle l'Assomption, en recherche d'une structure propre en pays de mission, retrouva son identité religieuse tandis que Mgr Henri Piérard eut l'impression que les Supérieurs religieux étaient plus préoccupés de la Congrégation que de la mission 703 .

Membre de la Congrégation, il trouvait que la distinction entre les deux institutions ecclésiastiques n'était pas absolument nécessaire aussi longtemps que la présence de l'Assomption au Congo était un mandat que l'Église confia à la Congrégation pour la mission.

Dans une telle perspective, la question de l'obéissance et des finances ne posait pas de problèmes majeurs au Supérieur ecclésiastique et religieux qui, bien qu'autonomes, se dévouent au service d'une même cause, l'Église et le Royaume de Dieu, et la mission. Après quelques amendements qui n'altérèrent pas sa substance, Mgr Emmanuel Kataliko, à son tour, signa cette convention en 1968 au moment où la précédente arrivait à expiration 704 .

Au sujet des personnes et des œuvres, la convention donne la liberté à l'Évêque d'ériger de nouvelles œuvres et d'agir en commun accord avec le Supérieur religieux dans le cas où cette œuvre demanderait de nouvelles charges à la congrégation. Il lui demande de notifier clairement s'il s'agit de la desserte d'une œuvre ou s'il la confie à la congrégation servatis caeteris de jure servandis, c’est-à-dire « étant sauves les autres (choses) décisions qui doivent être conservées selon le droit 705  ».

Par ailleurs, la convention accorde à l'évêque la liberté d'ériger son conseil de consulteurs où le Supérieur religieux peut être membre en vue d'une collaboration harmonieuse et éviter d'être vicaire général pour ne pas confondre les rôles dans les deux institutions, et la liberté d'affecter à une fonction déterminée au service du diocèse un religieux qu'il sollicite ou qui lui est présenté par le Supérieur religieux.

Quant aux biens, le diocèse a droit à tous les terrains concédés par le Gouvernement pour l'établissement des postes de mission ou pour d'autres œuvres, à tous les bâtiments construits sur ces terrains, à tous les biens mobiliers qui s'y trouvent, aux plantations et aux troupeaux, aux subsides des Œuvres pontificales missionnaires entre autre celles de la Propagande de la Foi, de la Sainte Enfance, et de Saint Pierre Apôtre.

En outre, les dons de certaines sociétés philanthropiques ou commerciales, ceux du gouvernement destinés pour le ministère des âmes, les bâtiments, les écoles ou pour toute autre mission appartiennent aux diocèse. Enfin, les ressources financières que l'Ordinaire recueille par lui-même ou par l'intermédiaire d'un missionnaire, l’offrande ou la contribution des chrétiens ainsi que les aumônes des donateurs destinés au diocèse reviennent à l’évêque et à son Église locale.

Hormis l'industria propria qui se trouve dans ces clauses, la Congrégation garde toutes les propriétés qui, par convention spéciale, lui sont ou seront concédées par le diocèse. Il s’agit notamment de tous les bâtiments construits sur ces terrains, tous les biens mobiliers de ces bâtiments, ainsi que des plantations et le bétail des postes cédés.

En outre, toute rétribution pour un travail personnel d'un membre de la Congrégation, les honoraires de messes et toute pension reçue par le religieux à titre personnel, les droits d'étoles, les subsides annuels que l'Ordinaire doit verser pour l'entretien des religieux, les dons et les aumônes des donateurs destinés à un poste ou à une œuvre des religieux appartenant à la Congrégation.

A propos des charges 706 , la Convention demande à l'Ordinaire de supporter les dépenses occasionnées par l'apostolat ainsi que les frais de voyage pour le ministère, d'entretenir les religieux qui sont au service des œuvres du diocèse, et d'assurer les frais de voyage des religieux rentrant au pays ainsi que leur retour en mission. Bien plus, à l’évêque incombe la charge d'entretenir les immeubles appartenant au diocèse et leur mobilier, de pourvoir au budget des œuvres, du culte et des dépenses tant ordinaires qu'extraordinaires en cas de maladie ou de vieillesse pour les missionnaires qui restent au Congo.

De son côté, la Congrégation prend en charge les frais d'entretien des jeunes religieux pendant leur formation première jusqu'à leur destination à un poste missionnaire ou à une œuvre dans une mission. Elle soutient aussi ses œuvres propres et entretient les religieux qui y sont affectés. Les dépenses faites par les maisons de la Congrégation, les frais pour les religieux qui, épuisés par les travaux ou l'âge avancé, résident en Europe sans espoir de retourner en mission, et les frais de retour au pays d'un religieux rappelé par son Supérieur majeur reviennent à l’Institut religieux.

Par ailleurs, la Convention examine les détails concernant la nomination des personnes, la disponibilité de l'Évêque à accorder à la Congrégation la permission d'ériger des maisons religieuses et des œuvres propres, et le souhait de promouvoir les deux clergés. En cas de différends, ce documentlaisse prévaloir la décision de l'évêque en matière des sanctions dans le domaine de l'apostolat, mais donne aussi la possibilité à tous de recourir à une autorité plus compétente en cas de désaccords.

Le but premier poursuivi par les deux autorités ecclésiastiques dans la Convention bilatérale est de prévenir les conflits de compétences et l'ingérence des deux Supérieurs dans le style de vie propre à chaque clergé, chacun ayant son organisation interne, ses obligations, ses devoirs, ses droits, ainsi que un idéal spirituel et apostolique propre. En outre, ce document cherche à établir les bases de respect du patrimoine matériel de chacun, et les lignes directrices qui inspire les deux autorités à développer une collaboration harmonieuse à la même œuvre dans une même entité ecclésiastique.

Sauf les concessions, en 1965, sur la donation de la paroisse de Bunyuka 707 à l'Assomption et la permission d'ériger un collège avec un couvent 708 , les archives, à notre portée, restent muettes jusqu'en 1970. La paroisse de Bunyuka avec la menuiserie, la briqueterie et la tuilerie a été cédée par Mgr Henri Piérard pour trois ans en vue de la construction du collège. Voyant que cette paroisse continuerait à construire pour le diocèse et pour l’Assomption, l’évêque prolongea cet usufruit jusqu’à la fin des constructions. Néanmoins, les Assomptionnistes, jusqu’en 1987, continuèrent à desservir cette paroisse pour le diocèse.

En réalité, les signatures des accords de la Convention bilatérale n'ont jamais signifié une séparation de juridiction ni de biens entre les deux clergés diocésain et religieux. A la cession d'une œuvre propre, les Pères Assomptionnistes se montrent toujours désintéressés et en laissant leur patrimoine à leurs successeurs.

Du point de vue économique, la Procure des Missions à Bruxelles et celle du diocèse à Butembo sont restées indistinctes. Du point de vue pastoral, les problèmes autour de l'obéissance lors des nominations des religieux à d’autres postes restent imperceptibles. De ces faits, nous pouvons bien conclure que les signatures de la Convention bilatérale ont été initialement une affaire bureaucratique entre les deux autorités ecclésiastiques.

Bien plus, à la passation du pouvoir en 1966, la Congrégation et les missionnaires ressentirent un appel à une collaboration beaucoup plus profonde. Pour les missionnaires, indépendamment de leur statut qui venait de changer, la différence entre la mission et la collaboration n'existait pas. Travail en mission, travail dans le diocèse pour le clergé ou les religieux demeuraient une et une même réalité.

En fait, lors de la signature de la Convention bilatérale en 1965, le nombre restreint du clergé diocésain (25 abbés sur 65 missionnaires) était encore insuffisant pour prendre la relève. Il a fallu attendre l'année 1986, vingt ans plus tard, pour que le clergé diocésain prenne en mains 16 sur 25 paroisses ; l'Assomption ne garda que cinq, deux autres furent confiées aux Pères Croisiers (1984), les Carmes (1986) et les Servites (1986) assurèrent leur ministère dans les deux paroisses restantes.

À cause de cette pénurie du personnel diocésain, les autorités ecclésiastiques ont permis l'existence des « communautés mixtes » dans les paroisses de Kitatumba, de Mavoya, de Masereka, de Bingi, de Beni, de Mulo et au petit séminaire. Malgré les éventuelles incompréhensions culturelles, dans ces communautés, les prêtres diocésains suivaient en tout le style de vie missionnaire et le règlement des religieux bien qu'ils assurent la direction de l'école normale, du petit séminaire, de la coordination des écoles catholique, soit qu’ils ou dispensent des cours dans les différentes écoles de la place.

Par ailleurs, les missionnaires favorisèrent l'éclosion du clergé diocésain en promouvant les vocations diocésaines. Cette option était en partie due à un préjugé sur les vocations africaines. Les missionnaires craignaient que les candidats fuient les basses conditions matérielles de leurs villages pour se réfugier dans la congrégation religieuse. La crainte de voir les vocations sacerdotales affluer dans les communautés religieuses au détriment du diocèse explique les réticences à les accepter dans la congrégation.

On soupçonnait les candidats à la vie religieuse de ne pas être capables de vivre fidèlement le vœu de chasteté, d’être des « profiteurs » des biens de la congrégation ou des chercheurs des diplômes universitaires 709 . En 1972, la congrégation n'avait que deux Pères Assomptionnistes, Jérôme Tsongo Masumbuko (1959) et Charles Kambale Mbogha (1972), pendant que le diocèse avait 29 prêtres y compris les grands séminaristes.

En définitive, le véritable problème pressenti dans la proposition des Statuta pro missione a.a. in Congo Belgico et par la suite dans la convention bilatérale entre le diocèse de Beni et les prêtres de l'Assomption était celui de la gestion du personnel missionnaire et diocésain ainsi que celui des finances en vue des relations harmonieuses entre les deux clergés au service du diocèse. Pour les deux juridictions ecclésiastiques, ainsi que pour le Gouvernement congolais, il n'existe pas de séparation entre le diocèse de Butembo-Beni et l'Assomption, tous deux étant légalement considérés comme une seule Association Sans But Lucratif (ASBL) représentée par l'évêque 710 .

Notes
703.

APAR, 2 MI 94 : Ces statuts datant de 1950 furent composés par le Père Romanus Declercq après la consultation des juristes et des Supérieurs religieux d'autres Congrégations missionnaires. Comportant 103 articles, après les considérations générales de sept articles, la première partie traite des personnes en parlant des candidats missionnaires, du Vice-provincial, de l'Ordinaire du lieu, des rapports entre le Supérieur local et le Supérieur ecclésiastique, et des missionnaires religieux tandis que la seconde partie composée de cinq chapitres se penche sur les questions matérielles. Cfr. Romanus DECLERCQ, Statuta pro missionne a.a; dans Congo Belgico, 1950, p. 14.

704.

Cette convention contient dans sa première partie 24 articles traitant du personnel et des œuvres tandis que la seconde partie examine la distinction des biens dont 10 articles portent sur les biens du diocèse, 9 articles sur ceux de la congrégations, 6 articles sur les charges à supporter par le diocèse et 5 autres à supporter par la congrégation.

705.

Cette traduction littérale de l’auteur peut être périphrasée par : « doivent être conservées les autres décisions qui ont été prises selon le droit ». Il s’agit des biens propres de l’Église locale et de la congrégation, ainsi que des œuvres que le diocèse peut mettre à la direction des religieux sans pourtant que ces derniers les considèrent comme une œuvre de la congrégation mais plutôt une œuvre de collaboration.

706.

APAR, 2 LO 130 : Convention bilatérale entre le Diocèse de Beni et la Congrégation des Prêtres de l'Assomption signée à Butembo le 14 mars 1965 par Mgr Henri Piérard et à Rome le 27 mars 1965 par le Père Wilfrid J. Dufault lors du Conseil de congrégation, dans BOA (1965), p. 58-63.

707.

APAR, 2 MI 24 : Convention bilatérale entre le Diocèse de Beni et la Congrégation des Prêtres de l'Assomption signée à Butembo le 14 mars 1965 par Mgr Henri Piérard et à Rome le 24 mars 1965 par le Père Wilfrid J. Dufault en son Conseil de congrégation.

708.

« Convention bilatérale », dans Bulletin Officiel de l’Assomption, 1965, p. 63-64.

709.

Propos entendus et vécus par l’auteur depuis les années 1976 jusqu’en 1990. Bien que les mots « études ou profiteurs » ne reviennent plus dans le langage des anciens, l’attitude est restée la même sous les vocables : contribution, pauvreté, province prise en charge ».

710.

Leander De LEEUW, Visite canonique au Congo, 1972, p.13-14.