2.6.1. Pénurie du personnel ecclésiastique (1909-1996)

Au moment de la donation de la Mission de Beni aux Assomptionnistes en 1929, le vaste territoire de 45 000 km² n’avait que trois Pères du Sacré-Cœur de saint Quentin. Avant cette date, la moyenne des missionnaires en pleine activité apostolique ne dépassa pas cinq religieux. Lors de la relève assomptionniste, six missionnaires se mirent à la tâche et leur nombre ne put s’accroître qu’au compte-gouttes. Lors de l’érection de Beni en Missio sui juris, en 1934, il existait quatre postes de mission établis et un autre en ses débuts. Ces postes étaient dirigés par neuf missionnaires.

L’effort des missionnaires, humainement parlant, paraissait comme une goutte de vin dans l’océan, expression que le Père Romanus Declercq traduit par un petit nombre de missionnaires devant un « bloc de païens, considérable et consistant 711  »non seulement à évangéliser mais à aussi à promouvoir. La situation semble avoir été alarmante comme nous le révèle cet écho :

« Quand je considère l’immensité de notre patrie africaine et que je compte sur les doigts le nombre des missionnaires qui doivent l’évangéliser, des Préfectures plus étendues que notre Belgique elle-même, je me demande comment ils pourraient suffire à la tâche. Leur travail, leur dévouement, leurs sacrifices apparaissent noyés dans la masse des intelligences à former et à convaincre, des âmes à élever, à consoler, à sauver, et aussi des misères physiques à soulager. Combien ils doivent s’attrister devant la marche pénible et lente de l’évangile, qui contraste de plus en plus avec la civilisation matérielle. Une plainte, toujours la même, s’entend dans les correspondances qui nous parviennent des missions : ‘Nous sommes trop peu nombreux. Priez Dieu afin qu’il suscite des vocations 712  ».

Dès le début de leur activité apostolique, les missionnaires assomptionnistes comme les Déhoniens, leurs prédécesseurs, sont donc confrontés au problème de la pénurie du personnel. Le Père Henri Piérard, après la description de leur voyage et ses premières impressions sur la Mission, écrit à ses amis qu’il faudrait chaque année au moins quatre missionnaires à Beni 713 .

En 1930, dix mois après son arrivée au Congo, le Père Conrad Groenen, Supérieur religieux de la Mission, termina la relation de ses premières impressions par un cri d’alarme : « la tâche est immense, envoyez-nous au plus tôt des collaborateurs 714  ». Cinq ans plus tard, dans une lettre du 7 mai 1935, le Père Henri Piérard, devenu Supérieur ecclésiastique de la missio sui juris de Béni en 1934, décrivait comment une région négligée mais fort peuplée venait d’avoir une fondation dénuée de ressources.

Il relate ensuite les réalisations accomplies dans l’espoir de trouver « un moyen de forcer la mains à nos supérieurs d’Europe pour obtenir du personnel 715  ». De son côté, le Père Gervais Quénard, Supérieur général des Pères Assomptionnistes, fit une visite canonique au Congo en 1935. Celle-ci lui permit de se rendre compte de l’ampleur du manque de personnel ecclésiastique comme aussi de celui des fonds pour aider au développement intégral du peuple.

À son retour en Europe, il se fit le propagandiste des missionnaires. Dans son article « Une vielle chrétienté de cinquante ans » écrit à Mombasa, le 9 janvier 1936, sur le chemin de retour, le Père suggéra :

« Recruteurs des missionnaires, trouvez leur aussi ces coadjuteurs qui sont souvent plus difficiles à remplacer que le plus zélé des prêtres. Suscitez aussi des aumônes : en plus de leur merveilleux apostolat, les Missions savent, avec des budgets dérisoires, remplir des vrais services d’État en ces pays où tout est à faire ; elles y forment, de beaucoup, les meilleurs centres de colonisation intégrale. Mais envoyez-leur surtout des ouvriers. Avec un capital humain suffisant, le reste vient toujours par surcroît 716  ».

Pour remédier à la pénurie du personnel, le Père Général envoya sept missionnaires au Congo et quatre religieuses Oblates de l’Assomption. Avec le développement des œuvres apostoliques, ce renfort était pratiquement insignifiant car après l’érection de la mission indépendante de Beni en vicariat apostolique en 1938, Mgr Henri Piérard voulait équiper les stations en personnel.

Il espérait par ce biais créer des œuvres pérennes afin d’y former des cadres, de les mieux organiser, et de les étendre jusqu’aux points les plus reculés de la station centrale. Cependant, malgré le nombre progressivement croissant, le vicaire apostolique ne pouvait atteindre cet objectif.

Le tableau décrit par le Père Romanus Declercq, en 1939, le fait mieux percevoir quand il s’exclame : « Hélas ! Nous sommes trop peu nombreux à la tâche : vingt missionnaires prêtres et quatre frères répartis sur sept postes ; et neuf religieuses Oblates de l’Assomption qui s’occupent, en ordre principal, des classes des filles et de deux hôpitaux, un dispensaire, deux petits orphelinats, une léproserie 717  ».

Devant ce nombre insuffisant de personnel en face de l’œuvre évangélisatrice, sociale et scolaire, Mgr Henri Piérard alerta la Congrégation toute entière en demandant au Père Gervais Quénard, Supérieur général, de l’aider dans les démarches qu’il venait d’entreprendre. Il lui adressa expressément cette la lettre :

‘« J’ai essayé d’entrer en relation avec les deux Amériques. Santiago m’a répondu mais il faut quatre mois par courrier ordinaire. J’avais demandé à nos Pères d’Amérique d’organiser ‘l’Assomption’ chez eux de manière qu’elle arrive un jour à nous fournir du personnel. Dans l’Amérique du nord, s’ils pouvaient ouvrir une maison de théologie et intensifier le recrutement, sans doute, arriveraient-ils à nous ravitailler en vocations. Si vous vouliez bien à l’occasion autoriser nos Pères de là-bas à ouvrir une maison de théologie et insister pour qu’ils intensifient le recrutement de l’Assomption, on envisagerait l’avenir avec sérénité 718  ».’

Ces démarches pour obtenir le personnel ecclésiastique n’eurent pas les résultats escomptés et la situation s’aggrava car une année après l’érection du vicariat (1938), la seconde guerre mondiale (1939-1944) éclata. Elle isola les missionnaires qui ne pouvaient pas non plus espérer du renfort. Après la guerre, le départ de deux missionnaires aggrava la situation : les Pères Marie-Jean Hennaut et André Dumon se décidèrent à rentrer définitivement en Europe. Néanmoins, ce dernier revint à sa décision et regagna la mission de 1954 à 1960.

Si Mgr Henri Piérard se démenait pour chercher un personnel ecclésiastique, la Province-mère Belgo-Batave se trouvait dans l’impossibilité d’y pourvoir. Après la guerre (1946) la surprise des missionnaires au Congo fut grande. Les missionnaires qui s’attendaient à un renfort suffisant afin de pouvoir mériter eux aussi un congé en Europe après la rude épreuve ne reçurent que deux confrères, les Pères Lambrecht Muermans et Renault Paulissen.

Cette situation peut se comprendre si l’on considère qu’à cette époque la Province Belgo-Batave, en pleine expansion, pensait à deux missions en Colombie et au Brésil. Selon le Père Lieven Bergmans, l’attrait pour l’Afrique pouvait diminuer.Les candidats pour le Congo pouvaient être orientés vers l’Amérique latine. Indépendamment de cette conjoncture, une seconde explication possible du manque du personnel dans le Vicariat de Beni résiderait dans un conflit de priorité entre le Provincial de la Belgique, le Père Rodrigue Moors, et Mgr Henri Piérard.

En effet, depuis leur arrivée au Congo, les Pères assomptionnistes n’ont pas dissocié la vie religieuse de la mission. Cet aspect de la vie religieuse missionnaire ne correspondait pas à celui du Père Rodrigue Moors. Bien qu’il s’intéressa à leur apostolat, le Père Provincial, lors de sa visite canonique au Congo en 1947, préférait qu’il y ait une dissociation entre la vie religieuse et la mission.

Pour ce faire, il demanda l’élaboration d’un statut entre le vicariat apostolique de Beni et la future vice-province du Congo-Belge. Cette perspective comportait également des implications économiques : l’autofinancement par l’exploitation rationnelle des concessions afin que le vicariat « plutôt que de vivre de la charité des bienfaiteurs belges devienne une source de revenus pour la Province-mère 719  ».

Après le passage du Père Provincial, le Père Romanus Declercq remplaça en 1948 le Père Conrad Groenen dans sa charge de vice-provincial. Il élabora les Statuts demandés : mais à leur publication, ils restèrent une lettre morte. Par conséquent, le vicaire apostolique ne reçut pas le personnel religieux et missionnaire qu’il souhaitait.

Selon le Père Lieven Bergmans, la mauvaise application des Statuts serait due au caractère de Mgr Henri Piérard quand il écrit : « Mgr Piérard acceptera malaisément une réglementation bien précise délimitant le pouvoir et les biens de l’autorité ecclésiastique d’une part et de l’autorité religieuse d’autre part. En vérité, jusqu’au jour qu’il abandonnera tout pouvoir, il mettra tout en oeuvre pour rester seul maître à bord 720  ».

Il laisse même entendre que le vicaire apostolique n’est pas un dictateur mais un sentimental à tel point qu’il est porté, à l’exemple de son ami Mgr Matthyssen, vicaire apostolique de Bunia, à monopoliser tout le pouvoir en sa personne. Il continue son argumentation en relatant que jusqu’en 1949, Mgr Henri Piérard s’occupait lui-même de l’économat du vicariat et qu’il admit à contre cœur le transfert de la procure du vicariat de Beni à Butembo 721 .

Ces affirmations semblent unilatérales et ne relèvent que de son auteur car personne n’y fait écho 722 . Ce portrait correspond-t-il à celui de la personne qui, en 1956, demanda que le Saint Siège lui adjoigne un coadjuteur ? Correspond-il aussi à l’autre portrait que l’auteur de ces affirmations trace quand il témoigne que le vicaire apostolique était modeste jusqu’à partager en tout la vie de la communauté 723  ?.

Quoi qu’il en soit, Mgr Henri Piérard était un homme attaché à la Congrégation comme l’atteste sa nombreuse correspondance avec ses Supérieurs religieux 724 . Cependant, il avait une vision beaucoup plus large que celle de son Provincial, à savoir la l’expansion et à l’implantation de l’Église locale. Le malentendu qui exista entre le vicaire apostolique et le Père Rodrigue Moors serait un conflit de priorité.

Dans la même perspective, en 1968, Mgr Henri Piérard, lors de sa retraite à Musienene, écrit au Père Wilfrid Dufault, son Supérieur général :

‘« Lorsque la Congrégation acceptait en 1929 la mission du Congo, elle acceptait naturellement son développement et par conséquent s’engageait à l’accroissement du personnel au fur et à mesure des besoins. Il y a eu pour la Belgique, depuis lors, la Colombie et pour la Hollande, le Brésil. Je n’ai pas à accuser le passé moi. C’est ainsi qu’il ne fut pas possible de nous assurer le nombre voulu de religieux missionnaires 725 .’ ‘Néanmoins, malgré cette conception différente de la mission entre Mgr Henri Piérard et le Père Rodrigue Moors, le vicariat apostolique de Beni reçut une vingtaine de religieux qui permirent, au vicariat apostolique, dans les années 1950, d’ouvrir des postes avec des religieux isolés, au détriment de la vie communautaire assomptionniste tant souhaitée par l’évêque.’ ‘Malgré ce renfort missionnaire, la tâche était toujours lourde pour les missionnaires. Le vicaire apostolique prévint le Père Wilfrid Dufault en lui écrivant que les années 1950 connaîtront un ralenti dans le ministère pastoral. En fait, continue la lettre, les retours en congé après cinq ans de service intense dans la vie pastorale s’avèrent nécessaires : « l’Afrique centrale met parfois les nerfs à bout, nous ne sommes pas faits pour vivre en altitude 726  ».’

Si on répugnait à accorder un légitime congé, réparateur des forces et de la santé des missionnaires, c’est parce que les missionnaires, absents durant ce temps qui variait de trois à cinq ans, créaient des vides dans la pastorale. En 1959, le Père Théodard Steegen, vicaire général du diocèse de Beni, donne la clef d’interprétation de ces plaintes quand il écrit au Père Wilfrid Dufault que le diocèse était « extrêmement serré » au point de vue du personnel. Il poursuit en faisant savoir à son Supérieur général que « Les retours en famille tous les cinq ans bouleversent tout » dans les circonstances actuelles où il fallait maintenir un contact étroit avec les chrétiens qui résidaient parfois à trente kilomètres du poste 727  »

De son côté, en 1960, le Père Edgar Cuypers, Supérieur religieux du Congo, attira la vigilante attention du Père Wilfrid Dufault et de la communauté assomptionniste sur les changements brusques et les réajustements fréquents nécessités par « le manque terrible du personnel ». Ces situations de fait, indépendamment des missionnaires, étaient occasionnées par les congés dont la fréquence devenait de plus en plus rapprochée.

Ils perturbaient tout projet à telle enseigne qu’ils provoquaent des critiques, comme nous pouvons le percevoir entre ces lignes : « Les congés en Europe se faisant dorénavant tous les trois ans pour les religieux enseignants et tous les cinq ans pour les religieux non enseignants viennent constamment changer le personnel des petits postes et bouleverser le bon fonctionnement des oeuvres d’action catholiques qui demande une certaine continuité 728  ».

Le problème de la pénurie du personnel se posait surtout dans le domaine de l’enseignement 729 . Mgr Henri Piérard, en 1950, projeta de faire appel aux Barnabites dans le cas où Bruxelles ne s’empresserait pas à envoyer du personnel qualifié pour les oeuvres de l’enseignement 730 . Devant l’urgence d’équiper en personnel les écoles, Mgr Henri Piérard sollicita en novembre 1956 le Gouvernement d’engager des laïcs. Il y trouvait un moyen d’empêcher l’école officielle de s’établir solidement et la possibilité de récupérer le personnel missionnaire pour l’apostolat.

Bien que les laïcs soient une aide appréciable, ils deviendraient aussi une charge car tous les frais incomberaient au vicariat : voyage, logement et traitement au moment où il avait à s’emprunter et où il avait besoin d’un million de Francs belges pour le roulement de la contrée 731 . En outre, la même année (1956), Mgr Henri Piérard chargea le Père Farne de la curie généralice de stimuler le Provincial de Belgique à envoyer du personnel au Congo.

Mais, les possibilités d’avoir du renfort étaient réduites surtout que le vicaire apostolique souhaitait recevoir des religieux solides prêts aux tâches de la mission 732 , ayant une « dose de surnaturel » et capables « renoncer aux satisfactions humaines 733  ». Le Père Conrad Groenen, supérieur religieux (1929-1947) partageait la même conviction. Dans ses lettres, il demandait de bons religieux, suffisamment doués et d’une santé ou du moins d’une résistance physique au-dessus de la moyenne. Pour lui, l’âge du missionnaire n’avait pas beaucoup d’importance 734 .

Aussi, pour remédier au problème du personnel enseignant, Mgr Henri Piérard sollicita, en 1957, les Frères des Écoles Chrétiennes par l’intermédiaire du Père Général Wilfrid Dufault. Ce dernier renvoya la question à l’Évêque afin qu’il contacte le Frère Philippe Antoon, Vicaire général des susdits Frères à Léopoldville avec son visiteur le Frère Ignace Veron, à Tumba 735 .

Cette démarche n’aboutit pas, ni celle des Frères maristes qui promirent vaguement de prendre une école de moniteurs et ne vinrent pas. Par ailleurs, le Père Wilfrid Dufault contacta un institut séculier qui désirait avoir Beni comme diocèse d’origine. Une fois de plus, ces démarches n’aboutirent nulle part parce que l’Opus Dei les avaient pris en charge 736 .

En 1961, Mgr Henri Piérard demanda à la Congrégation des Assomptionnistes de lui fournir du personnel qualifié pour le petit séminaire, le collège, les « Modernes » et l’école normale. L’insatisfaction à sa requête l’incita à se plaindre auprès du Père du Père Général :

‘« Mes appels aux Supérieurs Provinciaux ne sont pas attendus, je le crains à en juger par les réponses de Paris et New-York. Je comprends mais je crois que l’Assomption toute entière doit faire l’impossible pour nous sauver. Je ne demande qu’un prêtre ou deux par Province afin de maintenir notre Petit séminaire et nos établissements d’enseignement secondaire. Ces Pères ne viendraient-ils que pour deux ou trois ans, le temps de remettre aux mains du clergé local notre chrétienté que mon angoisse prendrait fin 737 . »’

Cette situation de 1961 perdura car les effectifs de la Vice-province du Congo en 1969, nous montrent que sur 53 missionnaires, onze s’occupaient de l’enseignement 738 .

Devant ce manque du personnel, certains Pères Assomptionnistes d’Europe étaient tentés de proposer à Mgr Henri Piérard de retirer de Rome ses trois abbés des études afin de suppléer à cette carence du personnel enseignant. Une telle proposition allait à l’encontre des objectifs du vicaire apostolique qui, dès 1955, se préoccupait d’avoir un clergé bien formé pour une bonne implantation de l’Église locale.

Il précisa ce dessein, en 1964, lors de son jubilé épiscopal: « C’est très important pour l’avenir. Je suis résolu à pousser ceux qui peuvent faire des études universitaires. Je préfère cette tendance à celle de bâtir des belles églises. Ce qui prime, c’est d’assurer l’avenir par un clergé et des religieux de qualité. L’effort financier devrait porter sur ce point en priorité 739  ».

Même en retirant les trois abbés des études, ce renfort restait toujours insignifiant devant l’immensité de la tâche. Nous pouvons comprendre cette attitude de l’Évêque à partir de la lettre du 21 juillet 1961 dans laquelle il relate les conseils de l’Évêque de Metz. Ce dernier, en effet, affirmait qu’il valait mieux priver pendant quelques temps les paroisses et les oeuvres de la présence sacerdotale que de renoncer à spécialiser des prêtres diocésains dans tous les domaines des sciences ecclésiastiques.

Mgr Henri Piérard préféra laisser ses abbés poursuivre leurs études et voulut forcer la main du Père général pour avoir du personnel : « Vous, mon Père, ne pourriez-vous pas, usant de votre autorité, demander que chaque Province de la Congrégation désigne d’office un prêtre pour le diocèse de Beni ou bien pourriez-vous lancer un appel aux volontaires, en précisant qu’il s’agirait de se consacrer à l’enseignement 740 ? ».

La carence du personnel qui se faisait sentir dans l’enseignement existait aussi dans le domaine pastoral. En 1958, préférant la vie commune, Mgr Henri Piérard déclara « qu’il n’y aura plus de fondation nouvelle aussi longtemps que les missions actuelles n’auront pas trois religieux ou abbés au moins 741  ».

En 1958, le diocèse comptait 22 postes et celui de Lukanga dut être fermé à cause de la pénurie du personnel. Certains postes comme Lubango, Lubero, Biambwe et Buisegha n’avaient qu’un seul Père. D’autres postes étaient desservis soit par deux Pères, soit par un Père et un Abbé, soit un Père et un Frère comme Luofu, Mbingi, Butembo-cité, Beni-Cité, Mavoya et Manguredjipa 742 . Ce personnel assez réduit fut confronté aux événements de l’indépendance (1960) qui diminuèrent sensiblement le nombre des missionnaires de douze éléments 743 .

Face à cette situation, le Père Martial Ronveaux, Provincial de la Belgique en 1963, mobilisa les énergies afin d’engager toute la Congrégation à fournir le personnel nécessaire pour le diocèse de Beni. Aussitôt, le diocèse reçut six nationalités constituées de Belges, (Flamands et Wallons), Hollandais, Italiens, Espagnols, Luxembourgeois et Irlandais.

Ces religieux furent placés sous l’obédience du Vice-provincial, le Père Edgar Cuypers, qui devait les établir, mais toujours ad nutum Episcopi 744 dans les postes qui leur étaient réservés. Cette diversité allait-elle créer une sorte de Tour de Babel ? Au contraire, l’entente qui régnait déjà en 1954 entre ses missionnaires poussa Mgr Henri Piérard à croire qu’il y avait là une « vie en catholicité ». Cette entente, pour lui encore, était une leçon pour les Noirs divisés par l’esprit clanique 745 .

Ce renfort international poussa la Congrégation des Augustins de l’Assomption à ériger, le 3 juillet 1969, la Vice-province du Congo qui dépendait directement du Père Général en Province. Cet acte avait trois objectifs : aider les religieux à constituer une équipe, éviter aux religieux de se référer constamment à leurs différents Provinciaux, et favoriser leur obéissance 746 .

Lors de son jubilé épiscopal, le 21 novembre 1963, entouré des évêques de la Congrégation, du Supérieur Général et de ses assistants, Mgr Henri Piérard, comme s’il faisait un bilan de sa vie, déclara : « La grande souffrance fut toujours la pénurie du personnel missionnaire. Je la ressentais d’autant plus que nous nous trouvions en face des mœurs saines et d’une terre disponible à l’évangélisation. Mais notre force fut toujours le travail en équipe malgré notre diversité ethnique 747  ».

À cette souffrance causée par la carence du personnel missionnaire s’ajouta celle de la rébellion en 1964 qui vida le diocèse des agents de l’évangélisation à l’exception de douze prêtres diocésains qui restèrent dans leurs postes respectifs. Lors de la tourmente (27 septembre 1964-mai 1965), le Père Edgar Cuypers, Vice-provincial et vicaire général; ad intérim du diocèse de Beni : 16 missionnaires se réfugièrent en Ouganda dans la Province du Lack Kalwe, 27 religieux retournèrent en Belgique et 15 en Hollande 748 .

Jusqu’aux années 1970, une accalmie régna dans le rang des missionnaires après leur retour d’Europe et de l’Ouganda. Mais bientôt les événements de la « zaïrianisation 749  », le poids de l’âge et de la vieillesse, les maladies et les décès diminuèrent fortement les agents de l’évangélisation en sorte que les renforts ne compensaient pas les retours en Europe.

En 1979, au cinquantenaire de la présence assomptionniste au Congo, le diocèse comptait en tout 40 missionnaires et 40 prêtres diocésains, 40 ans après de la fondation du petit séminaire. Aux yeux de certains missionnaires dont le Père Marc Champion, cette école de la formation sacerdotale a été « un petit séminaire de peu de rendement ».

Il explique ce phénomène par les événements de l’époque en notant que le séminaire était la seule école qui présentait des chances d’avenir dans les charges administratives. Au moment de l’indépendance, on aurait fait miroiter des places dans l’administration. L’attrait au gain fit que plusieurs quittèrent les séminaires 750 .

Par ailleurs, la valeur de la vie sacerdotale n’était pas suffisamment comprise par les familles chrétiennes. Ainsi, elles ne pouvaient pas tellement susciter les vocations sacerdotales qui étaient peu rentables à la vie matérielle familiale. A ce phénomène, s’ajoutaient les défections personnelles 751 .

Malgré un chiffre que le diocèse n’avait jamais atteint dans le personnel ecclésiastique, le diocèse cherchait toujours du personnel. Devant cette situation, Mgr Emmanuel Kataliko en son conseil de 1980 se trouva dans l’obligation de mandater auprès du Conseil de congrégation le Père Stéphan Smulders, second Provincial assomptionniste après le Père Marc Champion. L’évêque souhaitait que les Provinciaux lui donnent des missionnaires assomptionnistes ou à défaut qu’ils en cherchent dans d’autres congrégations religieuses. Mgr Emmanuel Kataliko, lui-même, se rendit en Europe pour contacter les Supérieurs Majeurs en Conseil de congrégation en vue d’implorer le personnel pour son diocèse.

Comme les Provinciaux de la Belgique et de la Hollande ne pouvaient plus envoyer du renfort, il proposa « l’interprovincialisation » du diocèse de Butembo-Beni. Il attendait par-là que toutes les treize Provinces de l’Assomption donne chacune un prêtre ou un religieux. Supposant que les Supérieurs Majeurs lui demanderaient de frapper aux portes d’autres Instituts religieux missionnaires, Mgr Emmanuel Kataliko intima au Conseil de Congrégation :

‘« Nous ne connaissons pas les autres Congrégations, à moins que vous nous donniez des tuyaux. Ceux qui ont commencé, fondé et pris en charge notre diocèse sont les Pères Assomptionnistes. L’Esprit qui règne dans le diocèse est un esprit assomptionniste, esprit d’entente, d’entraide même dans des difficultés. On est par conséquent homogènes. On se connaît en qualités et en défauts ; on est de la maison 752  ». ’

Si l’évêque craignait l’hétérogénéité, ce fut par précaution, prudence et peur de ce qu’il appelle dans la même allocution les « difficultés irréparables » car on ne sait quels qualités et défauts, quels tiraillements et exigences, et enfin quelles adaptations découleraient de la venue d’autres Congrégations dans le diocèse.

Ces craintes se dissipèrent dans les années 1980, quand le diocèse reçut les Pères Croisiers, les Carmes et les Pères Servites de Marie 753 . Ces nouveaux agents de la christianisation, non seulement desservent six paroisses cédées par les Assomptionnistes qui ne pouvaient plus les maintenir à cause du manque du personnel mais aussi recrutent parmi les jeunes des candidats pour leurs Congrégations respectives.

L’ouverture décidée par Mgr Emmanuel Kataliko, dans les années 1980, aux autres Instituts religieux, répondait à une situation critique dans le diocèse qu’il qualifie de « situation stagnante ». D’une part, il y avait un accroissement démographique et une forte immigration des populations. D’autre part, l’âge, les décès des missionnaires et les défections n’épargnaient pas les religieux comme le clergé diocésain. Les ordinations sacerdotales ne compensaient pas les vides que ces situations engendraient 754 .

S’adressant au même Conseil de congrégation de 1980, conscient du fait que l’Assemblée lui poserait la question de savoir pourquoi il ne formerait pas lui-même son propre clergé et un laïcat chrétien, Mgr Emmanuel Kataliko devança les participants en soulevant les difficultés financières dont le diocèse ne pouvait pas assumer la pleine responsabilité 755 .

Notes
711.

Romanus DECLERCQ, « Le bloc des païens, considérable et consistant », dans L’Afrique ardente (1956) n° 90, p. 12-17.

712.

Nom non identifié de l’auteur : L.D., « Missionnaire », dans L’Afrique ardente (1932) n° 2, p. 22.

713.

Henri PIÉRARD, « L’Assomption au centre de l’Afrique », dans L’Assomption et ses oeuvres (1930)n° 346, p. 266.

714.

Conrad GROENEN, « La mission du Congo », dans L’Assomption et ses oeuvres (1930) n° 349, p.319.

715.

Henri PIERARD, « Un nouveau poste de mission au Congo, Notre Dame des Anges », dans L’Assomption et ses oeuvres (1935) n° 409, p. 120.

716.

Gervais QUÉNARD, « Vieilles chrétientés de Cinquante ans », dans L’Assomption et ses oeuvres (1936) n° 418, p. 266.

717.

Romanus DECLERCQ, La mission apostolique de Beni, dans Missions des Augustins de l’L’Assomption (1939) n° 436, p. 377.

718.

Mgr Henri Piérard avec le Père Gervais Quénard. Beni, le 21 décembre 1940.

719.

Ibid., p. 101.

720.

Ibid., p. 101.

721.

Ibid., p. 101.

722.

Entretiens personnels avec le Père Edgar Cuypers et le Père Marc Champion.

723.

Lieven BERGMANS, op. cit., p. 102.

724.

On peut se référer aux documents archives dans la bibliographie.

725.

Correspondance de Mgr Henri Piérard avec le Père Wilfrid J. Dufault. Musienene, le 28 août 1968.

726.

APAR, 2 MI 22 : Mgr Henri Piérard au Père Wilfrid Dufault. Beni le 3 mars 1950.

727.

APAR, 2 MI 90 : Père Théodard Steegen au Père Wilfrid Dufault. Beni, le 11 décembre 1959.

728.

APAR, 2 MI 106 : Père Edgar Cuypers au Père Wilfrid Dufault. Butembo, le 30 mars 1960

729.

En 1957, il existait dans le Vicariat, pour 230 000 chrétiens et 170 000 païens environ, 60 Pères dont 5 autochtones. 18 missionnaires s’occupaient de l’enseignement, le reste de la pastorale auprès des chrétiens dans les villages. Dans ce restes d’autres missionnaires avancés en âge n’avaient plus le rendement d’autrefois. Cf. Henri Piérard, Rapport annuel, 1956-1957, p. 2.

730.

APAR, 2MI 22 : Mgr Henri Piérard au Père Wilfrid Dufault. Beni, le 3 mars 1950.

731.

APAR, 2 MI 67 : Mgr Henri Piérard au Père Wilfrid Dufault. Beni, le 29 août 1956.

732.

APAR, 2 MI 130 : Père Alfred Farne à Mgr Henri Piérard. Bruxelles, le 18 septembre 1956.

733.

APAR, 2 MI 125 : Mgr Henri Piérard au Père Wilfrid Dufault. Beni, le 6 juillet 1961.

734.

APAR, 2 LK 30 : Père Conrad Groenen au Père Gervais Quénard. Mulo, le 22 mars 1934.

735.

APAR, 2 MI 78 : Père Wilfrid Dufault à Mgr Henri Piérard. Rome, le 15 novembre 1957.

736.

APAR, 2 MI 48, 2 : Père Wilfrid Dufault avec Mgr Henri Piérard. Paris, 21 août 1956.

737.

APAR, 2 MI 125 : Mgr Henri Piérard avec le Père Wilfrid Dufault. Beni, le 21 juillet 1961.

738.

Willibrord MUERMANS, Rapport pour le chapitre de 1969, p.1.

739.

Wilfrid J.DUFAULT, « Jubilé épiscopal de Mgr Piérard », dans Missions Assomptionnistes (1963-1964) n° 562, p. 4.

740.

APAR, 2 MI 125 : Mgr Henri Piérard au Père Wilfrid Dufault. Beni, le 21 juillet 1961.

741.

APAR, 2 MI 85 : Mgr Henri Piérard au Père Wilfrid Dufault. Beni, le 23 juillet 1958.

742.

APAR, 2 MI 106 : Père Edgar Cuypers au Père Wilfrid Dufault. Butembo, le 30 mars 1960.

743.

Nous reviendrons sur ce point quand nous analyserons les évènements de l’indépendance.

744.

APAR, 2 MI 130 : Père Afred Farne à Mgr Henri Piérard. Rome, le 23 mai 1962.

745.

Henri Piérard, Lettre pastorale à l’occasion de l’année jubilaire d’or de la présence l’Assomptionniste au Congo. Beni, le 8 septembre 1954.

746.

Information du Père Marc Champion, premier Provincial des Assomptionnistes du Congo à partir des entretiens d’août 1995.

747.

Wilfrid J. DUFAULT, « Jubilé épiscopal de Mgr Piérard », dans Missions Assomptionnistes (1963-1964) n° 562, p. 3.

748.

Répartition des Augustins de l’Assomption. Rome, Éditions de la Maison généralice, 1963-1964, p.5-7.

749.

Nous avons déjà parlé de cet aspect quand nous parlions de la politique de l’authenticité. (mettre les références des pages)

750.

Correspondance du Père Marc Champion avec le Père Matthieu Sitone. Butembo, le 28 juillet 1994.

751.

Témoignage reçu des abbés Léonard Sidani et Philippe Muliantsenge à l’évêché en septembre 1997 ainsi que de Mgr Bernard Sokoni, historien de formation, dans nos diverses rencontres.

752.

Emmanuel KATALIKO, Allocution au Conseil de Congrégation. Rome, avril 1981.

753.

Ces congrégations sont relatées dans les paragraphes sur les congrégations missionnaires de ce travail.

754.

Emmanuel KATALIKO, Rapport quinquennal de 1977 à 1981, p. 15.

755.

Emmanuel KATALIKO, Allocution au Conseil de Congrégation. Rome, avril 1981.