3.1.1. La province assomptionniste au Congo (1929-1997)

Depuis 1929, les Assomptionnistes au Congo-Belge s’investirent d’abord dans les œuvres de christianisation. La question de l’implantation d’une vie religieuse assomptionniste qui associerait les autochtones à leur mission ne fut pas envisagée sérieusement jusqu’aux années 1970. La raison principale du long chemin de l’établissement de l’Assomption institutionnelle, c’est-à-dire les structures de la religieuse insérée dans la mission réside dans un problème d’option. Pour les missionnaires, en recevant une mission d’Église, les Assomptionnistes s’engageaient ipso facto à christianiser les terres dites païennes. Par conséquent, la Congrégation devait fournir le personnel et pourvoir aux fiances des religieux et de la mission 935 .

Cette question de la priorité à la mission fut, en 1947, à l’origine de divergences de vues entre le Vicaire apostolique, Mgr Henri Piérard, et le Supérieur de la province Belgo-Batave, le Père Rodrigue Moors. Pour le Provincial, l’Assomption ne devait pas être confondue avec la mission. Il fallait définir clairement la relation de religieux avec la mission et la Congrégation qui venait d’ériger, en 1946, la Province de la Belgique.

Ce souhait impliquait en même temps un soubassement économique par des ressources locales. La mission du Congo, juridiquement établie comme une communauté religieuse, devait chercher une certaine autonomie économique et contribuer financièrement aux nouvelles fondations assomptionnistes belges en Amérique latine 936 .

Malgré ces divergences, les deux autorités ecclésiastiques proposèrent des statuts qui régiraient la vie religieuse et missionnaire au Congo-Kinshasa. Il a fallu attendre l’année 1952 pour que le nouveau vicaire provincial, le Père Romanus Declercq, rédige ces statuts 937 qui sont restés lettre morte. La même question revint en 1965 avec la visite de l'assistant général, le Père Leander de Leeuw. Le Congo-Kinshasa était depuis 1964 érigé en Vice-province dépendante directement de la maison généralice de Rome.

Parmi les facteurs religieux qui présidèrent à cette création de la Vice-province du Congo se trouve le nombre relativement consistant en religieux. Par ailleurs, les sept nationalités des missionnaires qui constituaient ce groupe de missionnaires, se réclamaient parfois de leurs Provinces d'origine et rendaient ainsi l'exercice de l'obéissance religieuse difficile au supérieur religieux du Congo et à l’évêque 938 .

En outre, les évènements et les situations politiques exigeaient une autorité qui puisse prendre rapidement une décision selon les circonstances, sans se référer à une hiérarchie lointaine à laquelle il fallait du temps pour apporter une réponse à un problème, à cause des difficultés de communication entre la mission et la métropole.

Enfin, du point de vue missionnaire, en instituant une double hiérarchie nette dans la mission, supérieur ecclésiastique et supérieur religieux, l’évêque entrevoyait d’être privé du personnel missionnaire et des moyens pécuniaires pour l’édification de l’Église locale. Les missionnaires, eux-mêmes, se voyaient déjà contraints aux exigences de la vie commune respectant la règle de quatre religieux au moins dans une communauté 939 .

Ainsi, contrairement à Mgr Henri Piérard qui avait une préférence pour les grandes communautés 940 , les religieux qui avaient des attraits pour la solitude (solinauté) ou pour une vie à deux personnes; sans l’avouer explicitement, ne souhaitaient pas, « pour des raisons apostoliques », un dédoublement de l’autorité. Ces facteurs firent que la mission et la vie religieuse étaient considérée comme « une et une même réalité » (one and the same !).

Le Père Willibrord Muermans après le Père Edgar Cuypers dirigea cette Vice-province jusqu'en 1968. Entre temps, en 1966, une Convention bilatérale entre le diocèse et la Congrégation fut signée à Butembo et approuvée à Rome. Elle devait être amandée après trois ans pour revoir les qualités de relation entre les deux supérieurs ecclésiastique et religieux. Pendant ce temps, le Congo-Kinshasa était entré dans le processus qui allait l’ériger en Province.

Ce projet aboutit à son terme le 3 juillet 1968 quand le Supérieur général, le Père Wilfrid J. Dufault, en conseil, érigea la Vice-province du Congo en Province assomptionniste autonome. Le Père Marc Champion en fut le premier provincial. Il est l'unique au Congo-Kinshasa à avoir été proposé et à avoir accepté un triénat (1869-1978) comme provincial pour le bien de la mission et de la congrégation. Il fut même reconduit pour trois ans (1984-1987) pour une nouvelle nomination comme provincial.

En 1968, les facteurs qui pouvaient favoriser cette distinction nette entre les religieux et le diocèse, bien que tous collaborent à la même mission de l'Église, sont divers. Lors de la passation du pouvoir entre les religieux assomptionnistes et le diocèse avec l’élévation à l’épiscopat, en 1966, de l’abbé Emmanuel Kataliko, sorti du clergé diocésain, le diocèse souffrait d’un handicap grave : le manque de personnel et d’agents pastoraux. Par conséquent, le nouvel évêque ne pouvait pas apporter des amendements substantiels à cette fameuse « Convention bilatérale 941  ».

Par ailleurs, l'élévation de la Vice-province en Province ne changea pas le style de vie pastorale et religieuse des missionnaires. Ainsi, les religieux continuèrent leur vie d'antan et la Convention n’existait que sur du papier, hormis les accords sur le collège saint Pie X Kambali, industria propria de la province assomptionniste, et la paroisse de Bunyuka, à cause de son importance financière pour la vie du diocèse 942 .

Néanmoins, il ne faut pas en déduire qu’il n’existait aucune forme de vie religieuse. La vie de prière, les récollections, les retraites annuelles, et l'apostolat étaient organisés. Ce fut surtout l’aspect communautaire qui en pâtit quelque peu. Toutefois, de ces petits groupes, il résulta, dans les années 1950, la création d'une dizaine de paroisses. Mgr Henri Piérard était souvent mis devant le fait accompli. Aussi longtemps que les missionnaires ne lui demandaient pas de l'argent qu'il n'avait pour ces nouveaux postes destinés à devenir des paroisses à taille humaine, l’évêque tolérait ces initiatives.

En vue de parer à l'isolement et à la solitude des religieux, il fut organisé des rencontres périodiques et des communautés mixtes constituées des religieux et des abbés. Bien que les relations fraternelles et sacerdotales étaient harmonieuses, il n'y manquait pas des points de divergences culturelles. Cette situation se régularisa en 1982 avec quand les nouvelles constitutions insistèrent fortement sur la vie commune.

Cependant, le système de regroupement par région du Nord, du centre et du Sud ne changea en rien l’idéal communautaire poursuivi. La grande révolution fut la création des premières « communautés paroissiales assomptionnistes » qui furent, juridiquement, instituées à Mutwanga et à Mbao, depuis le 30 septembre et le 1er octobre 1986. La nouveauté de celle-ci résident dans le fait qu’il fallait privilégier une communauté religieuse apostolique au service de la paroisse.

Ces deux communautés religieuses 943 furent installées et inaugurées par le Père Hervé Stephan, supérieur général, le provincial et son premier assistant, les Père Marc Champion et Christian Blanc. Elles surmontèrent les premières difficultés des assomptionnistes européens vivant avec des assomptionnistes autochtones. Les résultats positifs de ces expériences furent encourageants et déterminants pour les cinq paroisses accordées définitivement aux Assomptionnistes par le diocèse de Butembo-Beni, aussi longtemps qu’ils peuvent les gérer : Kitatumba, Kyondo, Luofu, Mutwanga et Mbao.

En réalité, ces dernières communautés sont une réponse à ce désir ancien d'appliquer les Statuts rédigés par Romanus Declercq (1952) et la Convention bilatérale de 1964. Ces documents juridiques qui établissent les rapports entre la communauté religieuse assomptionniste et le diocèse culminèrent dans cette convention en 1986. Il en sortit une distinction nette entre les biens du diocèse et les biens de la Congrégation.

Mais, en 1993, après la cession de Mutwanga dans des conditions douloureuses au diocèse, deux missionnaires soucieux de l'avenir de l'Assomption nègre, les Pères Henri Schilder et Joseph Delvordre, de leur motu proprio, fondèrent successivement Kasando, Notre Dame de la Paix (1998), et Oicha, Saint Esprit (1998).

Ces paroisses, « communautés-pilotes 944  », furent aussitôt suivies par d’autres, dans le diocèse de Butembo-Beni, dans la mission ad intra à Kinshasa et dans la mission lointaine au Kenya à Nairobi (1988), à Kijenge Parish (1995/6) à Arusha, et enfin à Njiru Parish (2002) dans les périphéries de Nairobi au Kenya.

Ces fondations en Afrique de l’Est sont une réponse à demande du Père Hervé Stephan, Supérieur Général, qui dix ans auparavant, en 1977, dans sa lettre aux religieux du Congo, le Père Hervé Stéphan, encourageait les religieux du Congo à la mission lointaine. Il affirmait que l’esprit de la congrégation permet à la jeune province de prendre racine et de prospérer en terre africaine. Ce même esprit lui donne une spiritualité propre, à savoir une « spiritualité catholique et simplement catholique, avec une vie de fraternité fondée sur l’esprit de famille et d’amitié augustinienne et sur un amour de l’Eglise vécue comme un grain de folie pour le Royaume ».

Il conclut la même lettre adressée aux religieux du Congo par cette affirmation : « l’Assomption a besoin de la vitalité, de la foi, du sens du sacré, du sens de l’accueil, et de l’esprit de famille des zaïrois 945  ». Telles furent les valeurs ou le bagage spirituel dont les religieux africains avait besoin pour la mission. Il y revint en 1983 quand il exhortait les religieux congolais (zaïrois) dans ces sentences : « vous êtes enracinés dans ce bon diocèse de Butembo. Mais déjà, il parait que ses collines familières ne sont pas une prison. L’heure vient et il faut s’y préparer où il faudra aller plus loin, ailleurs 946  ».

Vingt ans plus tard, en 2001, cet « ailleurs » signifie s’ouvrir à l’universalité de l’Église et à l’internationalité de la congrégation. De fait, la Province du Congo (1969), devenue Province d’Afrique (1996) à cause des fondations en Afrique de l’Est, est présente en Afrique, en Amérique latine, à Riobamba (Equador), au Mexique, et à Santiago (Chili) en Espagne, à Bruxelles, à Rome 947 .

Cette évolution de l’Assomption de la Province d’Afrique est le fruit de l’ouverture de la congrégation qui forma les autochtones à la vie religieuse. Grâce à leur nombre croissant, ils prirent la relève des missionnaires dont le nombre était continuellement décroissant 948 depuis les années 1970.

Notes
935.

Wilfrid-J. DUFAULT, « Jubilé épiscopal de Mgr Piérard », dans Missions Assomptionnistes (1963-1964), p. 3.

936.

Lieven BERGMANS, Cinquante ans de présence assomptionniste au Kivu, op. cit., p. 101.

937.

APAR, 2 MI, 94 : Marie-Jules CELIS, Statuta pro missione aa in Congo belgico, Septembre, 1950.

938.

Correspondance du Père Marc Champion avec le Père Matthieu Sitone. Butembo, le 23 avril 1994.

939.

Entretiens informels avec le Père Marc Champion (1993-1998).

940.

Lieven BERGMANS, op. cit., p. 110-116.

941.

Cf. infra.

942.

Notes du Père Morand Kleiber au Père Matthieu. Lorgues, février 2003.

943.

Ces nouvelles communautés étaient composées à Mutwanga des Pères Damian Van Deynen et Edmond Bamptupe avec des Frères René Mihigo et Gaspard Majo ; et à Mbao par les Pères Edgar Cuypers, Matthieu Sitone, les Frères Jérôme-Faustin Tembo Mughongo et Angelus Mutsopi, qui, six mois après, abandonna la vie religieuse.

944.

« Paroisses-communautés assomptionnistes et communauté-pilotes » sont des désignations qui proviennent de l’auteur de ce texte. Elles veulent distinguer les paroisses dirigées par les missionnaires mais qui appartiennent au diocèse d’avec les paroisses qui furent perçues depuis 1986 comme des communautés apostoliques, conformément à la Règle de Vie des Augustins de l’Assomption, n°13-22, op. cit., p. 43-46.

945.

Hervé STEPHAN, « Assomption zaïroise », dans Documents-Assomption (1977) n° 2, p. 81.

946.

Hervé STEPHAN, « Lettre aux religieux du Zaïre », dans Documents-Assomption (1983) n° 83, p. 574.

947.

Cette répartition ne tient pas compte des religieux en formation au Québec, aux Etats-Unis, et en France. Cfr aussi la Répartition des Religieux 2005, p. 70.

948.

Des 40 missionnaires en 1979, il n’en reste plus que trois, hormis les Américains qui vinrent pour une fondation anglophone en Afrique de l’Est, dépendante des Etats-Unis, mais en coloration avec des Congolais. Depuis 1997, cette nuance s’est estompée avec l’unification de la Province d’Afrique. Néanmoins, Il ne reste plus que six missionnaires.