3.3.2. Implantation des Orantes au Congo-Kinshasa (1969)

Dans les années 1930, Mgr Henri Piérard projetait d’avoir dans son vicariat un haut lieu de prière où vivraient des adoratrices sur les sommets de la Ruwenzori. Il envisageait d’y construire une basilique votive à la Vierge Marie dans laquelle les pèlerins séjourneraient et s’associeraient à la prière permanente des religieuses. Ainsi, leurs invocations à la Vierge Marie, qui avait des similitudes culturelles avec la déesse Nyavingi, vénérée par les autochtones sur cette montagne, feraient descendre les bénédictions divines et maternelles sur le vicariat. Jusqu’en 1952, ce désir de bâtir cette basilique ne s’était pas réalisée à cause de la précarité financière. 1012 .

Cependant, il fut partiellement satisfait par l’arrivée des Petites Sœurs de Jésus, fondées par Charles de Foucauld, qui fondèrent une fraternité à Mutwanga en 1956. Par ailleurs, Mgr Henri Piérard fit une requête explicite à la Mère Marie Madeleine de la Croix, Supérieure générale des Sœurs Orantes. Les archives à notre disposition ne nous révèlent pas la suite de cette correspondance.

Si la première fondation d’une communauté religieuse orante date de 1939 en France, nous pouvons présumer que la congrégation, à cette période n’avait pas un personnel suffisant. Bien plus, la mission ne demande pas seulement des ressources humaines mais aussi financières. L’arrivée de la première Sœur congolaise, Emma-Francesca Kaswera Kakinda, en 1958, suivie de plusieurs autres religieuses dans les années suivantes, attisa le désir de fonder une communauté Orante au Congo.

Mgr Emmanuel Kataliko, en 1967, renouvela cette requête d’avoir un Institut de vie contemplative dans son diocèse de Butembo-Beni. Ce souhait répondait non seulement au désir du peuple mais aussi aux exhortations post-conciliaires qui stipulaient une église n'est complète que quand la vie contemplative s'y épanouit 1013 . Le 18 mai 1967, Mgr Emmanuel Kataliko, accompagné du Père Jean Thomas.Schoof, visita la communauté des Sœurs Orantes à Bonnelles.

L’objet de sa visite en Europe consistait à recruter du personnel ecclésiastique à cause de la pénurie du personnel sacerdotal devant les besoins immenses de son diocèse. A l’occasion, il exprima son désir d’avoir toutes les branches de la famille de l’Assomption. En ce qui concernait les Sœurs Orantes, il manifesta son dessein d’avoir un institut religieux ‘uniquement contemplatif’, c’est à dire ‘une maison de prière, une maison d’Orantes’. Ce bref séjour chez les Orantes, lui permit aussi de rencontrer les sœurs Orantes congolaises avec lesquelles il eut une large entrevue avant de rencontrer toute la communauté 1014 .

En 1968, la réflexion déboucha sur le désir d’implanter la vie contemplative au Congo. Fallait-il envoyer directement des religieuses ou plutôt une équipe qui étudierait d’abord la future implantation ? En janvier 1968, la Mère générale Marie Dominique Guyon accompagnée de la Sœur Yolande de Champagny, maîtresse de novices se rendirent au Congo pour un séjour de prospection et d'étude.

Entre temps, les Orantes de l’Assomption venaient d’entrer en contact avec M De Rochemontex, agent consulaire de France, qui leur proposait une de ses propriétés dans le Masisi, dans le diocèse voisin de Goma. Le Père Jean Boon, Procureur du diocèse de Butembo-Beni, de passage à la maison généralice, le 7 septembre 1969, dissuada les Orantes et leur proposa Bikara dans la zone de Lubero, un centre éloigné d'environ 150 kilomètres de Butembo.

En juillet 1969, les atouts pour une fondation étaient presque réunis. D’une part, nous pouvons relever l’invitation de Mgr Emmanuel Kataliko et la promesse du lieu d’implantation. D’autre part, la congrégation connaissait à cette période une floraison grandissante des vocations missionnaires constituées des religieuses volontaires et disponibles, des candidates provenant de l’Italie, l’Argentine, du Vietnam et de l’Afrique. Par ailleurs, les religieuses congolaises manifestaient leur intention de partager leur charisme avec leur peuple. Un Rescrit de la Propagande (7octobre 1969) autorisait les Sœurs Orantes à fonder un monastère à Beni et à y ouvrir un noviciat. En outre, le désir de répondre à l’appel post-conciliaire du renouveau spirituel des Instituts religieux qui invitait les ordres de vie contemplative dans les jeunes Églises à implanter leur charisme dans les jeunes Églises fut un stimulant favorable à la mission en Afrique.

Enfin, la présence des Augustins et des Oblates de l’Assomption constituait une motivation supplémentaire. En juillet 1969, le Chapitre général des Orantes de l'Assomption approfondit sérieusement cette question et unanimement les capitulantes se montrèrent favorables à la réalisation de la nouvelle fondation au Congo :

‘« Un peu partout, au sein de cette Afrique immense et captivante, de jeunes âmes saisies par la Transcendance et l’absolu de Dieu, désirent se donner en plénitude. Elles aspirent à mener une vie de prière et de don d’elles-mêmes dans la simplicité. Depuis de longues années, la jeune Église du Nord-Kivu (Congo-Kinshasa), privée de monastères contemplatifs, appelle les Orantes. Etablir un foyer d’adoration eucharistique, de prière liturgique, de vie évangélique : voilà ce qu’on attend de nous. L’adoration du Saint Sacrement, spécialement, attire les âmes. Ne voit-on pas des chrétiens parcourir 30 à 40 kilomètres à pied pour participer à une journée d’adoration ? Déjà l’Assomption travaille à l’A.R.T. (Adveniat Regnum Tuum, Que ton Règne vienne) depuis des années dans ce diocèse fervent. De nombreuses religieuses européennes et autochtones se livrent à leur mission d’enseignantes et d’hospitalières. Mais, ne faut-il pas que la Vie Contemplative également s’implante dans cette région où elles est désirée, attendue 1015 ? »’

L'implantation des Orantes de l’Assomption dans le diocèse de Butembo-Beni n’était pas pure intention extérieure. Dès 1958, la Congrégation avait reçu une congolaise, Emma-Francesca Kaswera Kakinda. Elle prit comme nom de religion celui d’Emma Stella du Christ et elle fut suivie par d’autres, à tel point qu’en 1967, l’Institut comptait deux professes. La première arrivée avait déjà émis les vœux perpétuels. La communauté comptait aussi quatre postulantes et une aspirante 1016 .

Le désir des Sœurs congolaises de vouloir « orantiser » leurs congénères se dévoila publiquement, le dimanche 23 novembre 1969, lors de la cérémonie d’envoi en mission, quand les deux premières autochtones du groupe des fondatrices à Beni, les Sœurs Emma-Stella du Christ et Kavira Mwengesyali Denyse-Agnès de l’Eucharistie, professèrent successivement en réponse à ce questionnaire :

‘« Depuis longtemps, vous aspirez à retourner dans votre pays pour rendre accessible aux Wanande qui ont faim de Dieu notre vie consacrée à la prière d’adoration et de louange. Etes-vous prêtes à aller porter le témoignage qu’ils attendent de vous ? (…). Avec la grâce de Dieu qui m’a choisie, appelée et consacrée à Lui, je suis prête à repartir dans mon pays pour y apporter le témoignage de notre vie sous toutes ses formes, selon ce que l’Esprit a enseigné aux Fondateurs, et selon l’enseignement de l’Eglise et l’attente du peuple des Wanande » ( ). « Dans la joie, je réponds à la volonté du Seigneur pour aller vivre notre vie d’Orantes adoratrices chez nous (…) dans la simplicité, l’accueil (…) et le partage de notre vie de prière et de communauté fraternelle 1017  ».’

La congrégation adjoignit à ces congolaises deux Soeurs religieuses de nationalité française, les Sœurs Sénevet Marie Jacques de la Croix et Yolande De Champagny pour constituer la première équipe missionnaire, fondatrice du monastère Orante à Beni. Partie le 25 novembre 1969, elles parvinrent le 7 janvier 1970 à Beni où elles furent accueillies par Mgr Emmanuel Kataliko, dans l’ancien évêché de Mgr Henri Piérard.

Cette première communauté des Orantes de l’Assomption Congo fut inaugurée le 10 janvier 1970, en la fête de Notre-Dame de Lourdes, sous le nom de « Bibi wetu wa amani » (Monastère Notre-Dame de la Paix), en présence de toutes les congrégations religieuses oeuvrant dans le diocèse et une représentation des chrétiens. Elle n’avait que quatre petites pièces dont l’une servait de chapelle.

Après un court repos et de petites visites, le 13 janvier 1970, les deux soeurs françaises accompagnées du Père Champion, Supérieur provincial des Augustins de l'Assomption, se rendirent à Bikara à la recherche de leur terrain. La concession leur parut trop grande. Elles désiraient quelque chose de plus simple et plus proche des gens. Le choix se fixa alors sur Beni, tant préférée par la Sœur Yolande, tandis que les Congolaises étaient peu enthousiastes pour ce lieu à cause de la malaria permanente qui sévit dans la contrée.

Mais, après trois semaines de recherche d’un terrain propice aux environs de Beni, après plusieurs propositions aussi, celle de M Germain qui suggéra sa concession en pleine cité de Beni à un hectomètre de l'église paroissiale fut la plus attrayante. En attendant leur établissement définitif dans leur petit monastère dont la pose et bénédiction de la première pierre fut en septembre 1970, les premières Sœurs Orantes fondatrices au Congo habitèrent à Beni-Paida 1018 dans l'ancienne petite maison de Mgr Henri Piérard, retraité à Musienene.

Cette communauté est l’unique dans le diocèse de Butembo-Beni à avoir montré dès son implantation son caractère international à la population locale. Cinq ans après leur établissement, en 1975, l’une des Sœurs fondatrices au Congo, la Sœur Yolande de Champagnyfut élue Supérieure générale de la Congrégation. Le regret d’avoir une missionnaire qui se destinait à d’autres charges s’accompagnait aussi de la joie de communauté.

Ce caractère international s’est aussitôt renforcé quand les Congolaises en collaboration avec les Françaises ouvrirent successivement les missions de la Côte d’Ivoire (1985), du Madagascar (1992), du Togo (1997), du Tchad (2000), au Niger (2002), et dernièrement avec l’appui financier de la Maison généralice, la fondation en Afrique de l’Est, en Tanzanie (2001), au Kenya (2004), pendant que celle de Kinshasa, au Congo, est encore en projet 1019 . Ce fait est dû au nombre croissant des religieuses.

Graphique n° 3 : Évolution numérique des Orantes de l’Assomption (1970-1998)
Graphique n° 3 : Évolution numérique des Orantes de l’Assomption (1970-1998)

Répartitions des Orantes de l’Assomption (1970-1997)

Notes
1012.

Henri PIERARD, « Un fief de Notre-Dame au cœur de l’Afrique », dans Foyer Assomption (1955) n°5, p. 3-4.

1013.

VATICAN II, Ad Gentes, n° 18.

1014.

« Visite épiscopale », dans En Esprit et en Vérité (1967) n° 2, p. 13-14.

1015.

« Première présence des Orantes en Afrique », dans En Esprit et en vérité (1968) n°2, p. 1.

1016.

Ibidem, p. 1-2.

1017.

« En route vers le Congo », dans En Esprit et en Vérité (1970) n°1, p. 16.

1018.

Jubilé d'argent des Sœurs Orantes de l'Assomption, Butembo, 1995, p.1-3.

1019.

Jeanine GINTREY, « En route vers d’autres horizons », dans Info-Orante (avril 2004), n° 40, p. 4. (4-5)