3.4.3. Ordres religieux et nouvelles congrégations féminines (1980-1996)

Les Ordres religieux sont une réalité récente dans le diocèse de Butembo-Beni qui accueillit les Croisiers en 1982. Cet Ordre religieux trouve ses origines après la troisième croisade de l’Église catholique contre les hérétiques et les musulmans en Orient. Théodore de Celles lez Dinant, en collaboration avec l’évêque Raoul de Zahringen, fonda l’Ordre des Croisiers à Clairlieu, dans la chapelle de saint Thibault à Huy. Il avait pour but d’animer le côté spirituel des croisades. Il fit prévaloir la Croix du Christ qui fut l’âme de l’apostolat des Chanoines Réguliers de l’Ordre de la Sainte Croix, communément appelés Croisiers.

En choisissant la Croix du Christ, les Croisiers ne veulent pas privilégier l’aspect dolororiste de la passion du Christ, mais son sens positif de salut, de rédemption, et de vie divine. Chercher à dégager le sens paradoxal de la Croix du Christ dans le quotidien est l’objectif des membres de l’Ordre. Ainsi font-ils de la parole de l’apôtre leur leitmotiev : notre seule fierté est la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ (Ga, 6).

Cet objectif se réalise par la vie de prière, l’entraide fraternelle, et la recherche de l’union à Dieu. La prière liturgique, la célébration de l’Eucharistie, l’office solennel du bréviaire en communauté ou en public ont pour but la recherche de la bénédiction divine sur l’Église et la communion des hommes avec Dieu 1047 .

Au Congo, les Croisiers hollandais exercèrent d’abord leur ministère pastoral dans le diocèse de Bondo où ils souffrirent des méfaits de la rébellion de 1964, des exactions militaires des années 1970, et de la pénurie des candidats à la vie religieuse. Depuis 1982, ils se sont implantés au diocèse de Butembo-Beni depuis 1982 dans les paroisses de Mulo et de Musienene, oeuvrent au projet de développement par l’adduction de l’eau potable, et les moulins à farine de mil, de maïs ou de manioc. Ils ont ouvert aussi une centre polyvalente pour l’encadrement culturel et spirituel de la population locale de Musienene, et de Katwa-Kabakwe à Mulo.

Après les Croisiers, en 1988, le diocèse de Butembo-Beni reçut l’Ordre des Carmes de la Stricte Observance qui remonte aux croisades en Terre Sainte. Il est né en Palestine, au Mont Carmel, au début du XIII° siècle. Cet ordre n’a pas de fondateur historique. La première communauté des Carmes serait formée par des ermites qui avaient décidé de se réunir. Ils demandèrent alors au patriarche de Jérusalem, saint Albert Avogadro, de leur composer une règle de vie conforme à l’idéal ermitique. Celle-ci apparut entre 1204 et 1214 et fut approuvée par le pape Innocent IV en 1247.

Par ce fait, les Carmes se mirent au service de l’Église en suivant l’idéal commun des Ordres mendiants tout en conservant ce qui leur est propre : la dévotion à la Vierge et le recours au prophète Elie. Le Carmel se veut une Fraternité Orante au milieu du peuple. Ils veulent vivre leur obéissance religieuse au Christ en cherchant le visage de Dieu dans la Fraternité et le service. Ainsi unissent-ils la contemplation à l’action 1048 .

Les Carmes de la Stricte Observance, constitués d’Italiens, sont arrivés au Congo en 1973 et s’implantèrent dans le diocèse de Bunia à Djiba avec une station à Aboro, puis à Koko, dans la paroisse de Fataki, aux environs du grand séminaire qui fut un ancien couvent de carmélites. Cette implantation à Koko fut temporaire (1982-1984) car cette communauté religieuse, composée de Carmes et d’Assomptionnistes, était conditionnée par les étudiants qui suivaient les cours au grand séminaire diocésain. Lors du transfert du grand séminaire à Bunia cette maison dans laquelle les religieux vivaient à l’étroit fut abandonnée et reprise par le diocèse qui l’avait acquis d’un colon belge 1049 .

Depuis 1988, les Carmes sont implantés au diocèse de Butembo-Beni. Les causes lointaines de cette fondation résident dans un malentendu entre l’Évêque de Bunia et le Père Archangelo Mauri, curé de la paroisse de Djiba. Le Père fixa la confirmation de ces catéchumènes après la période de Pâques. Comme l’évêque ne vint pas au rendez-vous, le curé décida d’administrer ce sacrement. Cela lui valut l’expulsion du diocèse.

Entre temps, les étudiants en philosophie suivaient leurs études au scolasticat assomptionniste de Butembo, selon la convention de 1982, signée entre les Assomptionnistes et les Carmes. Dans une close de cette convention, il fut question de l’accueil des d’étudiants en théologie ou en philosophie qui suivent les études au grand séminaire.

Les Assomptionnistes envoyèrent quatre religieux en théologie à Bunia pendant que les Carmes furent reçus au scolasticat de philosophie à Butembo. Ce fait fut le résultat des conférences épiscopales qui exigeaient un religieux professeur dans les séminaires quand les congrégations avaient des étudiants dans cette maison de formation.

Outre la question de ne pas avoir la main-mise sur les religieux étudiants, la question économique était de poids car les religieux étaient envoyés dans les grands séminaires de commun accord entre le Supérieur et l’Evêque. Un autre enjeu non déclaré réside dans le traitement des religieux qui avaient parfois un surplus de pécule et suivaient les études sur le dos des procures des diocèses.

Ainsi, les motivations spirituelles cachèrent les problèmes liés aux finances, à l’obéissance ainsi qu’à la discipline. Ces aspects dirigèrent à la décision d’avoir des maisons de formation séparées et autonomes, bien qu’unies par les études. Les plaintes réciproques des étudiants Carmes et Assomptionnistes aboutirent au même résultat vécu au sein des conférences épiscopales : le regroupent, dans la mesure du possible, des étudiants dans leurs maisons religieuses selon leur spiritualité et leur Règle de vie 1050 .

Ce fut dans ce contexte que les Carmes entreprirent des démarches d’implantation à Butembo où les étudiants vivaient depuis 1982. Mgr Emmanuel Kataliko, ouvert aux congrégations religieuses les accueillit les Carmes à l’unique condition qu’ils contribuent par leur charisme à l’édification de l’Église de Butembo-Beni 1051 .

C’est pourquoi, en 1988, il leur permit au Père Archangelo Mauri, revenu d’Italie, de fonder la paroisse de Mukuna, Notre Dame du Mont Carmel, dans la ville de Butembo, aux environs du scolasticat de philosophie des Assomptionnistes à Bulengera. Outre la maison de formation pour les scolastiques, les novices, et les postulants, et les activités apostoliques, cette paroisse est devenue aussi un centre spirituel.

Elle développe, enfin, une pastorale sociale dans le domaine du développement en supervisant une école primaire avec des succursales, un centre de santé constitué d’un dispensaire et d’une maternité, et contribue à l’adduction d’eau potable dans les environs de la résidence presbytérale.

La même année 1988, les Frères Serviteurs de Marie ou Servites s’installèrent dans le diocèse de Butembo-Beni. Cette Congrégation religieuse fut fondée à Florence (Italie) vers 1233 par sept laïcs dans une période tumultueuse des fins des Croisades et de mutations sociales en Europe 1052 .

Aux activités paroissiales, dans la paroisse de Bunyuka ils associèrent une pastorale et rurale dans les œuvres du développement agro-alimentaire pour lutter contre la malnutrition, les services hospitaliers et du transport ambulancier des malades jusqu’aux grands hôpitaux de Kyondo, et de Matanda, des œuvres scolaires, de l’alphabétisation et de l’amélioration de la condition féminine.

Cet apostolat avec de grands moyens comportait en même temps des faiblesses : la difficulté d’identifier les pauvres et de répondre à leurs besoins. Cet aspect engendra dans leur ministère une certaine instabilité. Le point déterminant qui mit fin à leur ministère, qui dura cinq ans, de1988 à 2003, fut leur méthode de recrutement.

Avides des vocations religieuses, ils accueillirent tout candidat qui se présentait. Ce fait ne favorisa guère le discernement dans l’encadrement de leurs vocations. Ils pouvaient même accueillir dans candidats qui ont abandonné la vie religieuse d’autres provinces ecclésiastiques et congrégations religieuses.

Le scandale éclata lors du refus d’admission des Frères aux vœux à cause de leur méconduite, de leur absentéisme de la communauté, et du manquement au vœu de chasteté dont certains Pères étaient soupçonnés. Les Frères voulurent éliminer leur formateur à coup de machettes. Il échappa de justesse avec sa tête fendue. Ce scandale précipita l’expulsion du diocèse les membres de l’Ordre, les Pères ainsi que les Frères 1053 .

Par contre, les Sœurs Servites de Marie, fondées en 1845, à Cuves, dans le village de la Haute-Marne, par Marie Guyot, arrivées au diocèse de Butembo-Beni, en 1988, constituent une fraternité mariale au service de l’Église et spécialement des plus pauvres, des opprimés et des souffrants. Suite à la révolution de 1848 en Italie, et à la mort de la fondatrice (1821-26 juin 1849), elles partirent en Angleterre. C’est pourquoi, elles sont aussi nommées Sœurs Servites de Marie de Londres.

Dans le diocèse de Butembo-Beni, ces religieuses exercent leur ministère apostolique dans un centre de récupération nutritionnelle en fournissant des soins aux enfants mal nourris, en dispensant des cours d’alphabétisation dans deux classes pour les enfants guéris du kwoshiorkor 1054 . Elles initient, en outre, à la danse liturgique, contribuent à la formation des novices et des futurs formateurs.

Enfin, l’Institut des Sœurs Missionnaires Comboniennes, installée à dans la paroisse de Bulema, est la dernière famille religieuse missionnaire arrivée, en 1995, dans le diocèse de Butembo-Beni 1055 . Cette congrégation de droit pontifical est entièrement vouée à la mission ad gentes. Elle se consacre à la première évangélisation des peuples, se dévouent au service des nécessiteux.

Par ailleurs, les Soeurs donnent, conformément au projet de leur fondateur Comboni, la priorité à la formation des responsables et des laïcs engagés. Elles travaillent aussi à l’animation missionnaire et vocationnelle, s’insèrent dans le projet pastoral des diocèses, et privilégient la promotion de la femme dans leur apostolat.

Dans la paroisse de Bulema, les quatre religieuses sont engagées dans l’apostolat paroissial, l’animation des jeunes dans les différents mouvements des Anges du ciel, des Croisés, des communautés ecclésiales vivantes des jeunes, du groupe vocationnel, et de l’animation des femmes dans l’Association Femme-Famille 1056 .

Notes
1047.

Dieudonné CHELO, L’engagement au service de l’Église dans le diocèse de Butembo-Beni. Kyondo, mai 1991, p. 25-24. Ce fascicule de 48 pages sert à la présentation de différentes Institutions religieuses dans le diocèse de Butembo-Beni, lors de l’animation vocationnelle des jeunes.

1048.

Le diocèse de Butembo-Beni, 1998. Ce document n’est pas classé dans les archives diocésaines ni celles des Assomptionnistes. C’est une présentation générale du diocèse à la veille de l’ordination sacerdotale de Mgr Melchisédech Sikulu Paluku, Evêque de Butembo-Beni, successeur de Mgr Emmanuel Kataliko Kinigha (+ 2000) lors de sa nomination comme Archevêque de Bukavu le 17 mai 1996, jour de son intronisation, en la fête de Pentecôte et jour de la prise de Kinshasa par Laurent Désiré Kabila, nouveau président du Congo-Kinshasa.

1049.

Témoignage de l’auteur de ce texte qui a vécu deux ans dans cette maison. Elle fut transformée, dans les années 1980, en un Foyer social dirigé par la paroisse. Une salle de classe fut transformée en chapelle. Une autre fut subdivisée en quatre chambrettes délimitées par des rideaux transparents. Ces chambrettes dans le dortoir servaient aussi de vestiaire et de lieu d’étude pour les religieux.

1050.

Vécu de l’auteur de ce texte lors de sa formation première en philosophie à Beni puis Bukavu (1978-1981), et en théologie (1982-1986), interrompue par le noviciat (1981-1982). Nous prenons les dates de l’année académique.

1051.

Mots d’accueil de Mgr Emmanuel Kataliko dans le Conseil presbytéral du diocèse de Butembo-Beni où nous représentions en août 1988 la paroisse de Mbao.

1052.

Dieudonné CHELO, op. cit., p. 30-32.

1053.

Notes personnelles lors du Conseil presbytéral présidé par Mgr Emmanuel Kataliko, Evêque du diocèse de Butembo-Beni. Commentaires du Père Marc Champion, fort affecté par ce scandale, dans ses divers conseils aux religieux assomptionnistes. À Bunyuka, lors de notre passage (août 1993), deux catéchistes interrogés témoignèrent de l’infidélité de certains membres de la communauté aux vœux.

1054.

Mot technique médical désignant la maladie qui provient de la malnutrition.

1055.

Le diocèse de Butembo-Beni, op. cit, p. 30.

1056.

Nous reviendrons sur cet élément en parlant des œuvres diocésaines de développement.