3.5.1. Les catéchistes dans le vicariat de Beni

Dès le début de l'évangélisation de la région de Beni (1906), les missionnaires des Pères du Sacré-Cœur et les Augustins de l'Assomption associèrent à leur oeuvre des laïcs, à savoir catéchistes, car ils trouvaient que leur apostolat était fort limité ne pouvant pas être partout en même temps. Dix mois après son arrivée, le Père Conrad Groenen, Supérieur religieux des Assomptionnistes dans la mission de Beni, pensa qu'il était urgent de fonder une école des catéchistes vu que les catéchumènes étaient disséminés un peu partout dans la circonscription ecclésiastique de Beni 1057 . Cependant, certaines questions restaient en suspens. Quelle formation fallait-il leur donner ?L’œuvre des catéchistes serait-elle nuisible au recrutement du clergé indigène ou frayerait-elle la voie aux vocations sacerdotales 1058  ?

Les Assomptionnistes optèrent d’abord pour une formation des catéchistes qui avait trois grands axes : la formation profane, intensive, et apostolique 1059 . La ‘formation profane’ des catéchistes consistait en un apprentissage de la lecture qui devait faciliter l’accès aux livres religieux, perfectionner leur instruction religieuse, et nourrir leur piété. Cette instruction devait aussi leur permettre d'être en mesure de tenir les registres des catéchumènes et des baptêmes qu'ils administreraient en danger de mort.

D'autre part, ce que les missionnaires appelèrent « formation intensive et plus développée aux catéchistes » consistait en une compréhension du catéchisme. Le but poursuivi dans cette formation n’était pas de former les catéchistes à expliquer le contenu du catéchisme à leur auditoire, mais de former à une lecture correcte du mot à mot du texte du catéchisme. Pour ce faire, les catéchistes se rendaient trois à quatre fois par an à la mission. Ils y passaient huit jours de préparation du programme du trimestre suivant. Les catéchistes reçurent enfin, une formation apostolique. Elle avait pour objectif de développer leur ferveur apostolique et leur dévouement envers ceux dont ils avaient la charge 1060 .

Pour atteindre ces objectifs, les Assomptionnistes recrutèrent parmi les élèves ou les anciens élèves des écoles centrales des candidats catéchistes qui désiraient se dévouer au salut de leurs compatriotes 1061 . Ces catéchistes recevaient une minime et symbolique rémunération en compensation des corvées de l'État et de l’impôt annuel dont ils étaient exemptés. À partir de 1936, avec la création de l'école normale de Mulo et avec la fondation de l'École d'Apprentissage Pédagogique de Muhangi en 1947, le vicariat de Beni se dota d'instituteurs catéchistes. Au cours du second semestre de leur deuxième année de formation pédagogique, les dimanches, la matinée, les élèves étaient formés au travail de catéchiste.

Le catéchiste est d'abord un témoin de la vie chrétienne par sa conduite exemplaire, sa bonne vie et ses mœurs, sa piété irréprochable. ‘Homme du Père’ dans le village, il est en quelque sorte son suppléant et son prolongement. Aux dates fixées, les catéchistes se rendaient au poste de mission pour recevoir des consignes et des instructions, pour renseigner le Père sur leur travail, leurs difficultés et la vie religieuse de leur communauté chrétienne.

Ensuite, le catéchiste s'attelle à l'enseignement de la lettre du catéchisme qui est minutieusement contrôlé par le Père lors de son passage dans les villages durant ses randonnées apostoliques en brousse. La moindre transgression était sanctionnée par le renvoi du catéchiste. Le Père Jean Rogiers explique cette mesure par la crainte de bâtir le christianisme sur un syncrétisme religieux : « Nos chrétientés sont si jeunes, il peut se mêler à leur croyance tant de superstition, que nous préférons pécher par excès prudence, plutôt que d'être trop confiants 1062  ».

Par son enseignement du mot à mot du catéchisme, le catéchiste prépare les païens ainsi que le chrétiens à recevoir les sacrements. Il préside aux prières matinales et vespérales, au chapelet journalier du mois de mai et d'octobre, au chemin de croix, à la liturgie 1063 et aux autres exercices spirituels. Par ailleurs, le catéchiste instruit brièvement les adultes en danger de mort et les baptise. Il administre le baptême in articulo mortis aux enfants des chrétiens et aux païens si on ne peut atteindre un prêtre. Ce fait nous aide à comprendre le nombre élevé des baptêmes dans les registres paroissiaux. Il veille à la pratique de la vie chrétienne dans son village 1064 .

Le catéchiste s'efforce enfin de nouer des relations cordiales non seulement avec les chrétiens, mais aussi avec les païens afin d'attirer leur sympathie. Selon son influence sur la population, il pouvait avoir la possibilité d'intervenir dans les affaires du village et d’y suggérer des propositions d’inspiration chrétienne 1065 .

Après la seconde guerre mondiale, Mgr Henri Piérard désira que les catéchistes soient formés dans des centres et non plus dans leurs postes de mission. Il ouvrit trois centres afin de pourvoir à une formation plus spirituelle. Les candidats étaient recrutés parmi les hommes mariés qui pouvaient séjourner avec leurs familles à la mission pendant six ou huit mois.

Ces candidats recevaient une formation spirituelle et pédagogique dans la matinée, et s’initiaient, dans l'après midi, à certains travaux manuels de menuiserie ou de maçonnerie. L’évêque espérait obtenir ainsi, non des profiteurs qui attendraient quelques avantages de la mission, mais des apôtres dévoués, menant une vie fervente et exemplaire. Ils constitueraient de la sorte un barrage au protestantisme auquel l'État voulait désormais donner quelques subsides 1066 .

Cette formation était complétée par un fascicule hebdomadaire, Kengele Yetu (Notre Cloche), composé en swahili par le Père assomptionniste, Marie-Jules Celis. Il avait pour but de resserrer les liens entre chrétiens en les tenant au courant de toutes les nouvelles religieuses locales 1067 . Ce fascicule, dont on tirait trois cents exemplaires et qui avait même des abonnés en dehors du vicariat, contenait aussi des directives chrétiennes, des causeries sur l'agriculture et sur l'élevage, et un supplément trimestriel sur l'enseignement chrétien (mafundisho), la prière (sala) et les résolutions (makusudi). Une rubrique récréative figurait également sur ses pages 1068 .

Les catéchistes étaient les diffuseurs de ce bulletin dans leurs dialogues et même dans leurs initiatives au milieu du peuple. Selon Mgr Henri Piérard ce fascicule devait occuper utilement les chrétiens et les catéchistes en les empêchant de perdre inutilement leur temps dans des conversations interminables 1069 .

Les postes de mission distribuaient aussi aux catéchistes l'hebdomadaire 'Hodi', édité à Katana (Bukavu). L’imprimerie de cet hebdomadaire utilisait une presse que les Pères assomptionnistes avait reçue dans les années 1936-1937. Cette machine qui a été prêtée au vicariat de Bukavu n’a plus été rendue 1070 . Cet hebdomadaire avait l’avantage de donner aux catéchistes des nouvelles générales et locales, des articles d'intérêt général, et des explications sur l'un ou l'autre sujet religieux. Enfin, les catéchistes les plus doués avaient d'autres manuels dont le sermonnaire paru entre 1939 et 1949 au moment où la ferveur chrétienne était, selon l'expression du Père Lieven Bergmans, « au point mort 1071  ».

Mgr Henri Piérard mentionne, en effet, qu’en cette période, les sacrements étaient moins fréquentés, et que certains chrétiens de la brousse semblaient ignorer le centre de la mission, attendant que le missionnaire arrive chez eux pour recevoir les sacrements. Les chrétiens et les catéchumènes ne fréquentaient plus beaucoup les instructions chrétiennes. Les uns se complaisaient dans leurs situations matrimoniales irrégulières, d’autres chrétiens manquaient facilement au repos dominical. D’autres encore, et non pas les mêmes, n'assistaient plus aux assemblées dominicales présidées par les catéchistes. D’autres, enfin, considéraient que la messe du dimanche n'était plus obligatoire.

Cette inertie était due, en partie, à la pénurie du personnel missionnaire, aux situations difficiles de la guerre, et surtout au manque de contacts réguliers des missionnaires avec les chrétiens. C’est pour remédier à cette lassitude que le sermonnaire fut mis en usage chez les catéchistes. D'allure doctrinale, il prévoyait une instruction pour chaque dimanche afin qu'au cours d’un cycle de deux ans, toutes les vérités chrétiennes soient transmises aux néophytes ainsi qu'aux chrétiens 1072 .

Notes
1057.

Conrad GROENEN, « La mission du Congo », dans LAssomption et ses oeuvres (1930) n°349, p. 319.

1058.

Victor ROELENS, « Les catéchistes dans les Missions », dans L’Afrique ardente (1932) n°4, p. 4.

1059.

« Quelle formation faut-il donner aux catéchistes », dans L’Afrique ardente (1934) n°3, p.18.

1060.

Marie-Jean. HENNAUT, « Travail missionnaire dans les Postes », dans L’Afrique ardente (1946) n°38, p. 14.

1061.

Ibidem, p. 12-13.

1062.

Julien ROGIERS, « Admission au baptême », dans L’Afrique ardente (1948) n. 48, p. 6.

1063.

Cette liturgie est une pratique religieuse qui correspond, en Europe, aux Assemblées Dominicales en l’Absence du Prêtre (ADAP).

1064.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1935-1936 ; Julien ROGIERS, op. cit., p. 5-6 ; Marie-Jean HENNAUT,« L'École d'Apprentissage Pédagogique de Muhangi »i, dans L’Afrique ardente (1955) n°88, p.19.

1065.

Marie-Jean HENNAUT, « Travail missionnaire dans les Postes », op. cit., p. 14 ; Gervais QUÉNARD, Lettres africaines, dans L’Assomption et ses oeuvres (1936) n°418, p. 265.

1066.

Lieven. BERGMANS, Cinquante ans de présence assomptionniste au Nord-Kivu. Bruxelles, Woluwe-Saint -Lambert, 1979, p.167.

1067.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1941-1942.

1068.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1942-1943.

1069.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1944-1945.

1070.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1936-1937.

1071.

Lieven BERGMANS, op. cit., p. 167.

1072.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1942-1943.