3.5.3. Naissance d’une congrégation féminine autochtone :
les Petites Sœurs de la Présentation

Depuis l'arrivée des Oblates de l'Assomption en 1935, plusieurs jeunes filles Nande manifestèrent leur désir de se consacrer à Dieu. Mais cette spontanéité à répondre à l’appel à la vie religieuse suscita le doute sur le sérieux de leur vocation. Les missionnaires en vinrent même à croire qu'elles fuyaient les conditions de vie très simples de leur milieu d'origine. C'est pourquoi ces jeunes filles furent éprouvées pendant de longues années bien qu'elles aient déjà surmonté plusieurs obstacles. Il faut en effet savoir qu’elles n’obtenaient que difficilement le consentement de leurs parents 1099 .

Dans un contexte où le christianisme et la vie religieuse étaient peu connus de la population locale, l’entrée dans la vie religieuse était impensable pour les personnes encore imprégnées de la culture traditionnelle. Le choix de la vie religieuse pour des filles destinées au mariage constituait, en quelque sorte, une rupture avec la tradition ancestrale. Dans un contexte où la dot versée par le conjoint à la belle-famille solidifiait les liens claniques, accorder la permission à une fille de devenir religieuse était presque perçu comme insensé, a fortiori quand la famille n’avait qu’une fille (Kyusa) 1100 .

L’obstacle familial semble avoir été fréquent chez les filles, à telle enseigne qu'une religieuse écrivait : « Les familles constituent le principal obstacle à vaincre, surtout à cause de la fameuse dot. Il arrive alors que Monseigneur se substitue au fiancé absent pour fournir les chèvres traditionnelles, et souvent tout s'arrange ainsi 1101  ».

La maman, quant à elle, devrait accepter le sacrifice d'une aide précieuse dans ses travaux champêtres et ménagers. Il fallait aussi braver l'opposition des proches parents dans le milieu. Ce qui fait que certaines filles, parmi les plus vaillantes, allèrent au couvent malgré l’absence de consentement de leurs familles 1102 . En outre, au village, les aspirantes étaient, pendant plusieurs années soumises à la surveillance du missionnaire et de ses auxiliaires afin qu'elles se montrent des filles de bonne vie et mœurs. La réussite de ce test leur permettait de se présenter chez les religieuses 1103 et de confirmer les motivations de leurs desseins.

En dépit de tout, un certain doute subsistait sur la vocation des futures religieuses autochtones surtout parce qu'elles venaient, selon les missionnaires, de basses conditions sociales, et qu’elles étaient encore incultes et proches du paganisme. C’est pourquoi, les religieuses leur imposaient de terminer leur école primaire avant d’être reçues dans la communauté comme postulante, et « pour apprendre à renoncer à leur liberté du village auprès de leurs mamans 1104  ».

Les postulantes occupaient, aux côtés des religieuses, des tâches accaparantes dans les orphelinats : soigner les bébés de tout âge, leur donner le biberon, les changer. Par ailleurs, elles nettoyaient les salles, lessivaient, repassaient et raccommodaient le linge. A l’intérieur de la communauté, elles préparaient les repas, ciraient la chapelle, les salles du couvent ainsi que les souliers des religieuses, et s'initiaient à la cuisine européenne.

Afin de ne pas les déraciner de leur milieu culturel, les travaux des champs faisaient aussi partie de leur besogne journalière pendant des semaines, des mois et des années. Ces postulantes avaient en tout comme unique distraction une heure de repos et une promenade surveillée le dimanche 1105 .

En vue de leur apostolat futur, les postulantes recevaient, en plus des travaux domestiques, une formation élémentaire. Les plus douées dispensaient un enseignement aux petites filles de la mission. D'autres accompagnaient les Sœurs Oblates auprès des malades ou étaient initiées aux oeuvres paroissiales, à savoir le catéchuménat. Pour leur formation spirituelle, les Sœurs Oblates leur inculquaient le goût de la méditation matinale, de l'examen de conscience à midi et le soir, de la visite au Saint Sacrement, du chapelet et de la prière dont les intentions sont exprimées à haute voix.

Une fois par semaine, le Père de la mission leur donnait une conférence qui consistait en une explication détaillée et approfondie du catéchisme ou des vertus religieuses de pauvreté, d’obéissance et de chasteté. Outre les exercices réservés aux Oblates de l’Assomption, les postulantes partageaient la vie des religieuses européennes et s’habituaient à une vie réglementée faite des heures, du petit et du grand silence, de la prière, du travail, et des récréations occupées par le tricotage ou les classes des chants 1106 .

Les motivations qui incitèrent Mgr Henri Piérard à ouvrir un noviciat sont multiples. D’abord, l’arrivée d’un nombre suffisant d’aspirantes nécessitait un encadrement spirituel et communautaire. Ensuite, devant le courage, la patience, le zèle et la piété des postulantes indigènes, Mgr Henri Piérard se trouva dans l’obligation d'ouvrir un pré-postulat à Muhangi en 1939.

Par ailleurs, les vocations religieuses florissantes de part et d’autre du vicariat furent à l’origine de la création de plusieurs maisons de formation des futures religieuses. Deux ans après l’ouverture d’un pré-postulat, trois aspirantes se présentèrent en 1941 à Manguredjipa pour y approfondirent leur vie chrétienne. Cette initiative suscita chez les religieuses le souci d’une formation commune des candidates à la vie religieuse.

Le facteur le plus déterminant pour la création d’une maison de formation, qui rassemblerait toutes les candidates à la vie religieuse dans le vicariat, fut surtout la formation aux divers services auxquels elles étaient appelées : les orphelinats et l’enseignement de la puériculture. Ces activités apostoliques des religieuses et des postulantes stimulèrent Mgr Henri Piérard à ouvrir un noviciat après la guerre 1107 . Ce projet ne fut réalisé qu’en 1948, probablement en raison du renfort missionnaire qui ne pouvait venir durant la seconde guerre mondiale et à cause des religieuses reparties en congé pour refaire leurs forces physiques et morales.

Il fallait donc trouver un emplacement propice à la formation religieuse. C’est pourquoi, en 1948, dès que les constructions de l'orphelinat de Bunyuka furent achevées, l'Évêque fusionna les deux groupes des postulantes de Muhangi et de Manguredjipa et les transféra à Bunyuka pour débuter le noviciat si fortement attendu, depuis douze ans, par les plus anciennes et les plus persévérantes.

Le 26 juillet 1948, la Congrégation de la Propagande autorisa la fondation des Petites Sœurs de la Présentation de Notre-Dame, sous l'égide de Marie-enfant et de la Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Mgr Henri Piérard érigea alors, par le décret du 3 octobre 1948, la petite Congrégation des Petites Sœurs de la Présentation Notre-Dame 1108 . A cette date, un postulat canonique débuta sous la direction de la Mère Joseph-Marie de Bruyne, Oblate de l'Assomption. L’année suivante, le 26 avril 1949, les douze premières religieuses indigènes reçurent l'habit religieux en entrant au noviciat sous la direction de la Mère Joseph-Marie de Bruyne 1109 .

L'ouverture de ce noviciat répondait effectivement à l'attente de plusieurs aspirantes. En effet, le 15 décembre1947, l'aspirante Katarina Bambu, au nom de toutes ses consœurs, rédigea une lettre à un missionnaire en Europe. Après avoir mentionné le nombre des postulantes qui s'élevait à soixante et parlé des changements opérés dans la mission après le départ du Père, elle conclut : « Nous vous demandons de nous aider pour obtenir le noviciat. Nous demandons votre bénédiction 1110  ».

Mgr Henri Piérard ouvrit le noviciat en 1949. Deux ans plus tard, le 26 avril 1951, elles prononcèrent leurs premiers vœux entre les mains de Mgr Henri Piérard 1111 . Six des premières Sœurs de la Présentation ont célébré, le 21 novembre 2001, leur jubilé d'or de vie religieuse à l’occasion du jubilé de la Congrégation. Cet institut comptait alors plus de 300 membres.

Notes
1099.

Témoignage des Sœurs Rose Kahambu et de Madeleine Mirivulo, infirmières au dispensaire de Mbao (1983-1989).

1100.

Témoignage reçu de Françoise Kanhindo Siviholya, mère d’une fille, qui a refusé à sa fille Soki Vyambwera de devenir Oblate de l’Assomption en août 1995. Hormis les raisons sentimentales liées au besoin de compagnie dans la vie familiale, nous n’avons pas obtenu d’autres raisons, hormis la question de la dot et de la progéniture.

1101.

MISSIA, « L'éducation de la femme en pays Kivu », dans Le Royaume (1954) n°11, p. 20.

1102.

En guise d'illustration, prenons l’exemple de la Soeur Marie-Céline. Le jour de ses premiers voeux allait devenir un jour de larmes. Sa maman, au nom de la famille, est venue remettre une lettre de protestation contre la vie religieuse de sa fille à la Mère Joseph-Marie, maîtresse des novices et future cofondatrice des Petites Sœurs de la Présentation. Selon la tradition qui permet que les amis solidifient leurs liens par le mariage de leurs fils, Marie-Céline aurait été mariée sans son consentement à un jeune homme.

Malgré l’intervention des sorciers pendant les vacances ainsi que les conseils décourageants de sa maman, Marie-Célina s’obstina. Cette désobéissance se durcissait par sa pratique chrétienne car le christianisme ne permet pas de telles unions matrimoniales sans le consentement des conjoints. La Mère Joseph-Marie garda et protégea l'innocente. Si les deux familles venaient témoigner que la dot avait déjà été versée pour Marie-Céline, la maîtresse référerait le cas aux Pères de la mission qui arrangeraient la question ou même rembourseraient les dix chèvres qui constituent la dot pour une fille. Cf. JOSEPH-MARIE, « Chez nos Sœurs indigènes »,dans L’Afrique ardente (195O) n°58, p. 12-13.

1103.

Henri PIÉRARD, « Les Petites Sœurs Noires », dans Missions de l'Assomption (1952) n°17, p. 36.

1104.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1936-1937.

1105.

APAR, JEC 63 : Etienne CHARON, Notice sur la Congrégation des Petites Soeurs de la Présentation. Bunyuka, le 8 février 1970, p. 1.

1106.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1941-1942 ; Dominique VERMEY, « Les Soeurs indigènes », dans L’Afrique ardente (1946) n°37, p. 8-10.

1107.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1936-1937.

1108.

Henri Piérard, Rapport annuel. 1948-1949.

1109.

Henri PIÉRARD, « Les Petites Sœurs de la Présentation Notre-Dame », dans L’Afrique ardente (1954) n°82, p. 59-60.; Etienne. CHARON, op. cit., p. 1.

1110.

KATARINA BAMBU, Lettre à un missionnaire. Beni, le 15 décembre 1947, dans La Lettre à la famille, décembre 1947, p. 7.

1111.

P.A.B., « Les Petites Soeurs de la Présentation Notre-Dame au Nord-Kivu », dans Le Royaume (1965) n°53, p. 16.(Intitiales non identifiées).