3.6.1. Le clergé diocésain (1965-1996)

Dans chaque paroisse du diocèse de Butembo-Beni existe, depuis 1965, un groupe d'animation des vocations au sein duquel tous les jeunes des deux sexes désireux d'embrasser la vie religieuse ou sacerdotale cultivent leur vocation par des rencontres mensuelles. Les responsables de ces groupes, -prêtres, religieuses et religieux-, leur prodiguent des instructions soit en groupe soit dans les contacts personnels, selon les besoins de chacun.

Au sein de ces groupes et lors de ces contacts, les candidats sont amenés à discerner leur véritable appel par des récollections, des causeries, des rencontres de prières, des homélies, des conférences, une initiation à l'apostolat dans les mouvements d'action catholique, et par des entretiens personnels avec leurs responsables.

L'année 1965 a vu la fin la rébellion muleliste (1964-1965). Une campagne pour les vocations était désormais possible car les missionnaires ainsi que les membres du clergé venaient de reprendre leurs postes. Malgré cela, le nombre d’éducateurs des séminaristes restait toujours insuffisant. Il a fallu recourir aux laïcs et aux « coopérant belges et américains » pour dispenser les enseignements. C’est ainsi qu’à partit les années 1970, les laïcs contribuent à la formation sacerdotale.

C’est aussi la raison pour laquelle le Père Marc Champion affirme, non sans regret, que « Le petit séminaire risquait de devenir un collège dirigé par des laïcs à cause du manque du personnel ecclésiastique encadreur de la jeunesse 1133  ». Il a fallu attendre les années 1980 pour voir les fruits de cette animation des vocations.

La campagne pour les vocations fut poursuivie, dans les années 1980, par Mgr Emmanuel Kataliko. Elle consistait à « redynamiser » les communautés chrétiennes, et de revaloriser les mouvements des jeunes et des adultes, supprimés lors de la zaïrianisation en 1972. Elle s'étendait aussi à la formation de catéchistes et, enfin, à une action directe dans les écoles primaires et secondaires du diocèse 1134 . Par-là, toute la chrétienté du diocèse fut mobilisée pour les vocations religieuses et sacerdotales.

L’animation des vocations dans le diocèse de Butembo-Beni trouvera son aboutissement dans l'ouverture de la propédeutique en 1985. Celle-ci reçut, pendant deux ans, les candidats au sacerdoce provenant de différents cycles d’humanité en dehors du petit séminaire. Elle avait pour but de consolider leur foi et leur vocation, de remédier à certaines lacunes religieuses et scientifiques, et surtout de les tremper dans le bain de la spiritualité sacerdotale.

Mgr Emmanuel Kataliko expliqua, dans sa lettre pastorale de 1984, la nécessité d'une telle formation propédeutique. Il la reprit ainsi dans son rapport quinquennal :

‘« Suite aux recommandations du Saint Siège et à la constatation de fait d'une insuffisance de formation tant spirituelle qu'humaine des candidats séminaristes venant d'autres Instituts autres que le Petit Séminaire, même si ces candidats ont été suivis et dirigés par un prêtre pendant quatre ou cinq ans, le diocèse a ouvert, dès l'année 1985-1986, l'année propédeutique 1135  ».’

En fait, cette décision provenait du conseil des consulteurs, en 1984, et avait un double avantage : d’une part les formateurs pouvaient suivre de près l’évolution des candidats non-séminaristes ; d’autre part, ceux qui avaient déjà un grade universitaire, tout en suivant leur formation préparatoire au grand séminaire, pouvaient pallier au problème de pénurie de personnel ecclésiastique enseignant dans le petit séminaire.

Les résultats de cette campagne ne se firent pas attendre. En 1982, les Évêques du Kivu ouvrirent un grand séminaire interdiocesain à Beni parce que le grand séminaire saint Pie X à Murhesa (Bukavu) n'était plus en mesure d'héberger tous les candidats au sacerdoce et d’encadrer un nombre grandissant de séminaristes.

Bien plus, le 31 octobre 1991, les mêmes évêques ouvrirent, à Butembo, un théologat interdiocesain, saint Octave, sous la direction de l’abbé Janvier Kataka jusqu’à sa nomination comme évêque du diocèse de Wamba en 1997. Quoi qu’il en soit, les institutions ecclésiastiques établies au milieu de la population trouvent un écho favorable. Les séminaires, perçus comme des exemples et des modèles pour les jeunes, trouvent des imitateurs. Ainsi, depuis 1985, le diocèse de Butembo-Beni a une moyenne annuelle de douze ordinations sacerdotales qui élève, en 1996, le nombre total des membres du clergé diocésain avait triplé depuis 1980. Il était monté à 126 prêtres, sans compter les religieux prêtres, les missionnaires, et les grands séminaristes.

Graphique n° 4 : Evolution numérique du clergé diocésain (1944-1998)
Graphique n° 4 : Evolution numérique du clergé diocésain (1944-1998)

Tableau établi en collaboration avec le Père Marc Champion et l’Abbé Matabishi Telesphore.

Néanmoins, le diocèse souffre toujours du manque de personnel ecclésiastique et d’agents pastoraux de christianisation. Certaines paroisses, notamment Buisegha, ont été fermées. Des centres urbains ainsi que des stations éloignées de la route nécessiteraient la présence d’un prêtre. Cette carence se ressent aussi dans les communautés paroissiales constituées en moyenne de trois prêtres car certains doivent ménager leurs forces physiques pour conserver leur santé, tandis que d’autres sont accablés par le poids de l’âge ou de la maladie.

Il faut noter encore que les membres du clergé diocésain ne sont pas cantonnés dans les paroisses. Certains s'occupent d’œuvres paroissiales, d'autres se consacrent aux oeuvres diocésaines. Les œuvres interdiocésaines, la mission lointaine, et les études diminuent sensiblement le personnel au service du diocèse, elles le réduisent à moitié.

Le diocèse de Butembo-Beni souffre aussi d’un problème d’autoformation des membres de clergé diocésain. En 1982, le scolasticat des Assomptionnistes a ouvert sa bibliothèque à toutes les personnes désireuses de se cultiver. Hormis les étudiants et les professeurs, cette bibliothèque reste inexploitée. Mgr Emmanuel Kataliko, en 1996, ouvrit le Centre d’Etudes Théologiques et Pastorales (CETHEP) au sein de l’Université Catholique du Graben (UCG).

Ce centre a pour but d’aider les chrétiens à approfondir leur foi. Il veut contribuer au ressourcement spirituel des laïcs et des ecclésiastiques, mais il tourne à vide, sans personnel ni bibliothèque. En 1978, les Sœurs Orantes avaient déjà ouvert un centre d’accueil pour répondre à ce besoin des chrétiens. Hormis les invitations explicites de l’évêque, le CETHEP et le centre d’accueil restent peu fréquentés par les ecclésiastiques et encore moins par les laïcs 1136 .

Plusieurs obstacles s’apposent à l’autoformation. D’une part, l’éloignement des centres, et d’autre part, le manque de moyens financiers pour acheter les ouvrages instructifs de première nécessité. À ces problèmes s’ajoute la surcharge de travail du clergé et des laïcs intéressés. Mais, ces raisons sont souvent des alibis brandis pour masquer le manque de goût personnel pour une formation permanente ou une tendance à « l’activisme apostolique 1137  ».

Il résulte de cette situation la tendance à introduire plusieurs types de prêtres. Il y a des « prêtres de la périphérie », c’est-à-dire ceux qui sont éloignés des centres urbains, ceux qui œuvrent dans la ville, ceux qui ont pris la conscience d’être des professionnels de la mission et de l'apostolat, des techniciens et des professeurs, des supérieurs et des économes, ainsi que des aumôniers des mouvements catholiques.

Les membres du clergé qui exercent leur ministère dans la campagne, à leur tour, à force d’être consultés par la population locale pour tout problème, - d’élevage, d’agriculture, de commerce, de politique, de construction, de mariage, de divorce, et autres – encourent le danger de considérer leur ministère paroissial comme de « petits royaumes » dans lesquels ils ont toutes les compétences. Ces attitudes restent ambiguës : elles peuvent, d’un part, stimuler le dévouement, et d’autre part, entraîner une fermeture d’esprit à d’autres réalités 1138 .

Mgr Emmanuel Kataliko dénonça ses dangers dans sa lettre pastorale de 1967 quand il soulignait :

‘« On risque d'oublier le seul nécessaire : vivre, pâtir avec le Christ, dans le Christ. On est devenu un homme de l'apostolat, un fonctionnaire; on a cessé d'être un homme baptisé vivant son baptême, un prêtre vivant son sacerdoce; on annonce le Christ, mais on est plus relié que faiblement à lui, et par intermittence 1139  ».’

Par ailleurs, depuis les années 1980, l’Église locale de Butembo-Beni commença à recevoir au sein du clergé les candidats qui n’avaient pas fréquenté le petit séminaire. Cette ouverture favorisa l’accroissement du nombre des membres du clergé. Cependant, selon les observations de certains professeurs des Instituts Supérieurs, on remarque une hétérogénéité qui provient de la formation reçue dans les humanités secondaires.

Il y aurait, d'une part, ceux qui sont sortis du petit séminaire. Conscients de leur vocation et de leur mission dans l'Église locale, ils embrassent la vie sacerdotale et s'acquittent, sans compensation, de leurs obligations. D'autre part, il y aurait ceux qui, bien que conscients des engagements que requiert l'état de leur vie, ambitionnent sciemment ou inconsciemment, le sacerdoce à la manière purement humaine. Le sacerdoce devient alors comme une carrière professionnelle 1140 . Les chrétiens ont stigmatisé cette attitude par l’expression swahili « kazi ya kipadiri », c’est-à-dire le « métier sacerdotal ».

L’analyse de François Houtart est transférable au Congo quand il observe que l'appartenance au clergé devient, aux yeux du prêtre et des chrétiens, un « moyen d'ascension d'un statut social et religieux » jouant pour le prêtre lui-même et pour sa famille 1141 . Afin de maintenir l'unité de cœur et d'esprit dans la dilection sacerdotale, le diocèse a constitué l'Union des Prêtres Séculiers (U.P.S.) dont Mgr Emmanuel Kataliko, premier membre de droit, à la suite du droit canon définit ainsi l'objectif :

‘« Du fait de leur ordination sacerdotale et de leur affectation au service d'un diocèse en dépendance de l'Évêque local, les prêtres sont intimement liés entre eux. Chaque prêtre est donc uni à ses confrères par un lien de charité, de prière et de coopération sous diverses formes. C'est dans cet esprit fraternel que les prêtres s'entraideront pour le développement de leur vie tant spirituelle, intellectuelle que matérielle afin d'améliorer leur coopération dans le ministère et d'éviter les dangers que peut entraîner l'isolement 1142  ».’

Cette interpellation soulève une question majeure sur la vie spirituelle du clergé et de l’attitude de ses membres. En vue de pallier ce problème, les vicaires apostoliques et les Supérieurs ecclésiastiques avaient déjà élaboré des instructions destinées aux missionnaires ainsi qu’aux membres du clergé. La première édition de ces instructions parut à Kisantu en 1907 sous le titre de Missions catholiques au Congo.

C’était un condensé sur certaines questions traitées dans la réunion tenue à Léopoldville en février 1907. Elles étaient le fruit des travaux de la première Assemblée des Supérieurs ecclésiastiques et des religieux dont Mgr Victor Roelens avait été l'animateur dans l'État Indépendant du Congo Belge et du Rwanda-Urundi. Dans la suite, ces instructions s'enrichirent dans les Assemblées de Stanleyville (1910), de Kisantu (1913) avec la contribution notoire du canoniste jésuite, le Père Arthur Vermeersch. Ces mêmes instructions furent constamment revues en 1919 et 1923 à Kisantu et finalement en 1928 à Stanleyville.

Après 1930, les Instructions ne furent plus éditées. En 1945 et 1951, à la troisième et quatrième Conférence plénière, les Ordinaires exprimèrent de nouveau de désir d'éditer les Instructions afin d'enrichir de leur expérience les nouveaux missionnaires et les prêtres indigènes. Les Actes des Assemblées ainsi que les Instructions qui en résultaient furent approuvées en 1951 par les Supérieurs religieux et la Congrégation de la Propagande de la foi 1143 .

Du point de vue spirituel et intellectuel, les Instructions recommandaient aux prêtres l'exercice de certaines vertus comme la piété et le zèle. Avant tout, les agents de l'évangélisation devaient avoir, dans leur apostolat, une étroite union au Christ qui les associe à son oeuvre de Rédemption. Cette intimité avec le Christ, se manifeste par la célébration de l’eucharistie et de l'office divin, par l'oraison quotidienne, la confession fréquente, la pratique de l'examen de conscience et les visites au Saint Sacrement, par la récollection mensuelle et la retraite annuelle, ainsi que par la récitation journalière du chapelet.

La mission étant reçue de l'Église, l'activité apostolique du prêtre, continuent les Instructions, est orientée vers l'obéissance et la charité qui lui permettent d'étendre sa sollicitude pastorale non seulement aux chrétiens qui lui sont proches ou éloignés dans les chapelles-écoles, mais aussi aux païens et aux Européens. En plus, les prêtres sontt conviés à ne pas perdre leur temps et à le mettre à profit au service de Dieu et des hommes. Cette bonne gestion de l’emploi du temps peut permettre au prêtre d'organiser ses activités apostoliques et de se former par l'approfondissement de ses connaissances théologiques, ethnologiques, pédagogiques et sociales 1144 .

Les Assomptionnistes ont pris à leur compte ces Instructions. Ils se mirent à l’étude des langueslocales dans le dessein de mieux connaître le caractère et la vie culturelle du peuple qu'ils évangélisaient 1145 . Dans le vicariat de Beni, Mgr Henri Piérard ajouta aux Instructions les principes et les implications de la charité sacerdotale, en vue d’unifier son clergé diocésain et régulier. Ces points furent développés dans son Allocution d'ouverture lors d'une réunion de son clergé diocésain et missionnaire tenue à Butembo le 28 août 1958, en la fête de saint Augustin.

Le but de cette rencontre était de finaliser la méthode d'évangélisation dorénavant employée et de l'adapter aux situations nouvelles. Elle fut à l'origine du Directoire pastoral à l'usage des prêtres du vicariat de Beni qui est encore en vigueur au début de ce troisième millénaire. Le directoire a pour avantage d'assurer l'unité de vue et d'action dans la pastorale dans le diocèse. Il permet aux prêtres et aux chrétiens de se sentir partout chez eux dans la même circonscription ecclésiastique.

Le nombre croissant des prêtres autochtones a permis aux chrétiens qui ne comprenaient pas facilement les missionnaires à cause de la distance culturelle d'avoir des contacts individuels et communautaires plus étroits avec leurs pasteurs. Ce fait permit aux agents locaux de christianisation de rendre leur message plus accessible au peuple par un effort d'inculturation.

Enfin, depuis 1963, pour les Petites Sœurs de la Présentation, et depuis 1985 pour le clergé diocésain, la disponibilité de l'Église locale de Butembo-Beni à devenir, à son tour, une Église missionnaire 1146 à Kasese en Ouganda (1985), en Côte d’Ivoire (1989), à Chiusi en Italie (1980), à Noto en Italie (1989), à la Curie romaine (1990), en France (1994), à Wamba au Congo/Kinshasa (1992), au Centre Interdiocésain de Kinshasa (depuis les années 1975), et en Afrique du sud (2002) montre non seulement sa maturité mais aussi le sens de la catholicité de l'unique Église..

Notes
1133.

Cette phrase revient dans nos entretiens personnels avec le Père Marc quand il évoque la période difficile des années 1970 durant lesquelles les missionnaires diminuaient sensiblement le nombre du personnel ecclésiastique dans le diocèse. Aux raisons de santé et de vieillesse s’ajouta la politique de l’authentique qui fit à l’origine du retour de plusieurs missionnaires en Europe.

1134.

Emmanuel Kataliko, Rapport quinquennal (1982-1986), p. 2.

1135.

Ibidem, p. 15.

1136.

Expérience de l’auteur comme Directeur du CETHEP à Butembo (1998-2001).

1137.

Témoignages libres des prêtres diocésains et des religieux dans un carrefour lors d’une session du CETHEP. Butembo, janvier 1999.

1138.

Remarques des membres du clergé diocésains et des religieux lors de la retraite des agents pastoraux du secteur Nord du diocèse de Butembo-Beni. Beni, décembre 1989.

1139.

Emmanuel KATALIKO, « Lettre pastorale », dans Sint unum (1967) n°9, p. 2.

1140.

Entretiens informels sur la vie religieuse entre les professeurs de l’Université Catholiques du Graben (UCG), de l’Institut Supérieur Technique et Médicale (ISTM), et de l’Instit Supérieur d’Etudes Agricoles et Vétérinaire (ISEAV), lors de notre service à l’aumônerie de l’UCG. Cette remarque reviens aussi dans les commentaires libres entre les membres du clergé.

1141.

François HOUTART, « La vocation au sacerdoce comme perception collective des valeurs », dans ASSR (1963) n°16, p. 42.

1142.

Emmanuel Kataliko, Rapport quinquennal (1982-1986), p. 6.

1143.

Instructions des Ordinaires du Congo-Belge et du Rwanda-Urundi aux Prêtres de leur territoires. Léopoldville, 7° éd.,1955, p. 3-5. L'ouvrage entier comporte cinq parties, à savoir : la vie spirituelle et intellectuelle des Prêtres, la discipline du clergé, l'organisation de l'apostolat, la discipline des sacrements, et les problèmes pastoraux..

1144.

Ibidem, p. 7-16.

1145.

Information reçue des missionnaires, notamment le Père Marc Champion, le Père Edgar Cuypers, et le Père François Derædt lors de nos entretiens informels en juillet 1996.

1146.

Chaque congrégation au diocèse de Butembo-Beni œuvre en dehors de cette circonscription ecclésiastique. Nous pouvons nous en rendre compte dans les tableaux inclus dans les paragraphes qui parlent de ces institutions religieuses. Pour ce qui regarde ces tableaux les dates sont approximatives car nous n’avons pas eu accès aux lettres de nominations ni aux actes des décisions des Supérieurs ecclésiastiques.