3.6.2. La fondation d’une congrégation féminine locale :
Les Petites Sœurs de la Présentation (1965-1996)

En fondant la congrégation des Petites Sœurs de la Présentation Notre-Dame, Mgr Henri Piérard envisageait non seulement une meilleure implantation de l'Église locale, une main d'œuvre apostolique auprès de la femme noire, des malades et des orphelins mais il se proposait encore, et principalement, de consacrer à Dieu de belles âmes, afin de donner à l’Église locale des saints et des saintes comme assises inébranlables. Mgr Henri Piérard traduit ainsi ses motivations d'ordre ecclésial, apostolique, et social :

‘« Ces vierges offertes à Dieu, je les voudrais humbles, comme la Sainte Vierge enfant, éprises de la vie cachée. Je voudrais que toute leur vie intérieure et toute leur activité soient greffées sur les béatitudes. Aussi, évêque choyé de Lisieux et adopté par la Sœur même de Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus, je ne puis rien leur offrir de plus sanctifiant que la 'petite voie' adaptée à la dévotion mariale. Je les voudrais apôtres aussi. Je n'ai qu'un rêve, les voir prêtes à toutes les tâches, à tous les soins, à tous les contacts avec leur peuple et lui reporter, dans ses centres importants, dans ses villages, dans ses huttes et ses champs, le témoignage de la charité du Christ 1147 . Je voudrais, pour elles, quand elles se penchent sur les misères dans les foyers, la bonté maternelle d'une Petite Sœur et, quand elles partiront, la houe sur l'épaule, rejoindre les équipes dans les campagnes, le zèle du prêtre ouvrier 1148  ».’
Image n° 14 : Vie spirituelle et travail (Petites Soeurs de la Présentation)
Image n° 14 : Vie spirituelle et travail (Petites Soeurs de la Présentation)

Source : Revue Missions assomptionnnistes (1963) n° 531, p. 28-29.

En dépit d'une certaine réserve lors de l'admission des religieuses autochtones, les jeunes filles ont favorablement accueilli la congrégation des Petites Sœurs de la Présentation Notre-Dame. L’engagement dans cet Institut comporte plusieurs étapes. Outre la vie exemplaire de piété et de bonne conduite dans les villages, les candidates à la vie religieuse doivent passer plusieurs mois d’abord comme aspirantes, puis comme postulantes avant d’entrer au noviciat.

Après les deux ans canoniques du noviciat, les nouvelles religieuses renouvellent par trois fois leurs vœux annuels. Après ces premiers engagements, elles renouvellent, à deux reprises, après un intervalle de trois ans leurs vœux temporaires. C’est alors qu’après une demande explicite et écrite, elles peuvent être admises à la profession perpétuelle. Malgré ce long cheminement, les candidates sont toujours nombreuses car l’esprit de leur congrégation 1149 ,, essentiellement autochtone, est plus proche du peuple par rapport aux congrégations missionnaires féminines et masculines.

La congrégation des Petites Sœurs de la Présentation Notre-Dame a connu une évolution rapide. Deux ans après sa fondation, (1952-1954), elle avait trois communautés juridiquement érigées à Bunyuka, Musienene et à Mulo 1150 . La Sœur Rose-Agnès, huit ans après la fondation de cet Institut religieux devint la première maîtresse des novices (1960-1964) durant les périodes des troubles de l’accession du Congo à l’indépendance, et de la rébellion mulestiste.

Après la rébellion, en janvier 1965, les Sœurs congolaises prirent la responsabilité totale de leur congrégation sous la direction de la Sœur Monique, nommée Supérieure générale par Mgr Henri Piérard pendant que la Sœur Marie assura la charge de maîtresse de novices. En 1967, le 30 mars, cette dernière fut nommée par Mgr Henri Piérard, seconde Supérieure générale de la Congrégation 1151 .

Cette passation du pouvoir fut motivée par quatre facteurs importants : la situation politique du pays, à savoir la période de l’indépendance (1960) et de la rébellion (1964), la montée rapide des effectifs des membres des l’Institut, les querelles culturelles avec les sœurs Oblates de l’Assomption, et le désir d’autonomie. Elle s’accompagna en même temps de problèmes d’autofinancement et de formation intellectuelle de ses membres.

Graphique n° 5 : Evolution numérique des Petites Sœurs de la Présentation
Graphique n° 5 : Evolution numérique des Petites Sœurs de la Présentation

Néanmoins, les Petites Sœurs de la Présentation se déterminèrent à poursuivre leur objectif et leur charisme en développant la « spiritualité de la petite voie » héritée de leur fondateur, Mgr Henri Piérard, et inspirée de leur patronne, la sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Dès leur origine, le vicaire apostolique leur donna un caractère marial qu'elles intériorisent et propagèrent de plus en plus.

Elles poursuivent, en outre, le but d'élever le statut de la femme africaine et de la libérer des conceptions traditionnelles qui la considèrent comme une personne dont le statut est inclus dans celui du mari. Pour ce faire, les sœurs s'engagèrent dans l'enseignement, en commençant par les écoles d'alphabétisation, les jardins d'enfants, les orphelinats, les écoles maternelles, pour aboutirent dans les écoles primaires, secondaires, et les instituts de couture.

Du point de vue social, elles étendirent leur action dans les Foyers sociaux destinés à la promotion de la femme, dans les hôpitaux et les dispensaires. Pour parer au problème de l'autofinancement, elles partagèrent la vie ordinaire du peuple en cultivant des champs, en pratiquant l'élevage, et en écoulant leurs produits dans les centres urbains les plus proches. Avec ce partage de la condition des personnes de basse condition, la population a de plus en plus pris conscience de ce que la pauvreté n’est pas une fatalité 1152 .

L’image des religieuses qui préparent leurs champs, sèment, récoltent, transportent, et vendent elles-mêmes leurs produits agricoles à partir de leur stock sur un camion fut de nature à frapper la population locale. Elle y vit que la dureté de la vie n’épargne pas les congrégations religieuses. La conception imaginaire que les ecclésiastiques sont pris en en charge par le pape ou par l’évêque céda la place au désir de leur venir localement en aide 1153 .

Par ailleurs, les Petites Sœurs de la Présentation, par leur mode de vie, apprennent à population locale qu’il faut mettre à profit son temps et ses ‘talents’. Leur temps de recréation, occupé par les petites occupations de broderie, de tisserie, qu’elles appellent « kazi ya mukono, travail de la main », devient économiquement rentable après la vente de leurs produits. Ainsi, s’attellent-elles à la couture de chasubles pour les solennités dominicales dans les paroisses du diocèse de Butembo-Beni et des environs.

Dans le diocèse, elles s'engagent dans la pastorale, la catéchèse des enfants et des adultes, les mouvements d'action catholique et les groupes de prières. En dehors du diocèse, elles privilégient la mission lointaine. Dès 1963, elles fondèrent une communauté religieuse à Kasongo dans le diocèse d'Uvira. Premières missionnaires autochtones du diocèse de Butembo-Beni, elles sont présentes dans les diocèses de Wamba, de Lubumbashi, de Kilwa et de Kinshasa, et depuis 2002 en Italie 1154 .

Notes
1147.

Ibidem, p. 60.

1148.

Henri PIÉRARD, « Les Petites Soeurs Noires », op. cit., p. 36.

1149.

En 1970, vingt ans après leur fondation, les Petites Sœurs de la Présentation de Notre-Dame comptaient 73 professes perpétuelles, 92 professes temporelles, et 10 novices. Actuellement, vingt cinq ans plus tard, elles sont au nombre de 228 constitué des professes perpétuelles et temporelles.

1150.

Romanus. DECLERCQ, « On fonde chez nos Sœurs indigènes », dans Le Royaume (1954) n°10, p. 18.

1151.

Etienne. CHARON, op. cit., p. 2.

1152.

Témoignage d’étudiants en sciences agronomiques et vétérinaires de l’UCG. Butembo, 18 mai 1999.

1153.

Dans les villages ou dans les quartiers, aux filles qui veulent se faire prévaloir ou qui refusent le travail manuel sont toujours référée aux religieuses, prises pour modèle de vie. Si rune religieuse peut remplir n’importe quel service pour le bien commun, a fortiori, une jeune fille, sans expérience de vie ni statut social, devrait être disponible à servir. De là est provient l’interpellation aux filles : « En quoi dépassez-vous les religieuses : munashindia masere, c’est-à-dire ma sœur kitu gani » ?

1154.

Nous avons colligé ces informations lors d'un interview, à Butembo en septembre 1996, avec les Sœurs Roseline Vahwere, secrétaire générale de la Congrégation, de sa compagne Hermenelinde Kalondero, membre de la curie généralice des Petites Sœurs de la Présentation, et de la Sœur Cécile Kahambu, à Kinshasa le 15 mars 1997. Les dates précises ne nous sont parvenues. Les autres informations ressortent du témoignage de la population locale.