3.6.3. Evolution des des Frères de l’Assomption (1952-1996)

En 1963, dix ans après sa fondation, la Congrégation des Frères de l'Assomption, devint autonome, avec un premier Supérieur général autochtone, le Frère Athanase Kabambi. Relativement abandonnée à elle-même, comme un petit de serpent, la jeune congrégation resta sans appui spirituel, moral, intellectuel et matériel. Les Augustins de l’Assomption, et plus tard le diocèse semblent privilégier la congrégation religieuse autochtone des Petites Sœurs de la Présentation.

Du point de vue matériel, les Frères de l'Assomption mènent une vie de pauvreté proche de la misère. Leur situation financière précaire ne permet pas à l’Institut religieux de pourvoir à la formation de ses membres pour les divers services que la population locale lui demande. Néanmoins, ce style de vie simple, héroïquement vécu, témoigne, aux yeux du peuple, de la pauvreté religieuse et évangélique.

En outre, depuis les années 1970, les Frères de l'Assomption souffrent non seulement du manque des moyens pécuniaires mais aussi d’un manque de candidats, aggravé par des départs de la congrégation. Les entrées dans la congrégation ne compensent pas les sorties. Cette situation se répercute sur la vie communautaire, sur les oeuvres et les projets de la congrégation.

Le manque des candidats peut se comprendre par le fait qu'au début, la congrégation se repliait sur elle-même et qu’il régnait un climat d'austérité, de sévérité et de pauvreté qui découragea les éventuels aspirants. Ce frein était renforcé par le fait que ceux d’entre eux qui avaient fait des études relativement poussées et qui pouvaient être considérés comme une élite intellectuelle étaient réduits aux travaux des champs pendant que la nouvelle société qui se construisait sur un travail rémunérateur dans les plantations, les mines et l’administration coloniale présentait des chances d’une vie enviable et prometteuse d’avenir.

Mgr Henri Piérard s'en rendit compte quand il chercha le véritable charisme de la congrégation des Frères de l'Assomption. Il souligna l'absence de cette élite intellectuelle dans le recrutement à tel point qu'il s'exprima avec regret :

‘« Nos Frères indigènes de l'Assomption sont des fervents religieux, leur vie est plutôt une vie monacale et nous ne discernons pas encore leur orientation définitive. Nous espérions des vocations originaires des écoles normales et secondaires qui auraient permis de confier à ces religieux des oeuvres d'enseignement, mais le recrutement se borne pour le moment à des jeunes gens qui ont terminé leurs écoles primaires et ne paraissent pas doués pour d'autres études. Nous allons essayer de les spécialiser dans l'artisanat : menuiserie, construction, mécanique afin qu'ils puissent rendre service dans nos écoles artisanales très recherchées par les indigènes 1155  ».’

Bien que la Congrégation spécialise, depuis les années 1980, certains de ses membres dans les études supérieures, l'ancienne image des Frères autochtones n’a pas changé. Par ailleurs, bien que ses membres soient appréciés pour leur piété et leur engagement dans la communauté paroissiale, la congrégation des Frères de l'Assomption, aux yeux d'une population encore cléricale, semble être la dernière chance de vie religieuse pour ceux qui ne veulent pas devenir prêtres ou entrer dans une congrégation internationale.

Un dernier élément explique le peu de recrutement. Hormis les architectes et les responsables d’écoles secondaires ou primaires, charges qui les mettent au premier plan dans la vie sociale, dans le diocèse de Butembo-Beni, les Frères de l'Assomption vivent une présence effacée ou mieux encore peu perceptible au milieu de la population locale, du personnel ecclésiastique et religieux 1156 comme nous le montre ce tableau de 1996

Oeuvres diocésaines 1 Employés 5
Enseignements 6 Frères ouvriers 11
Constructions 4 Ateliers 3
Études 9 Formateurs 2
Missionnaires 2 Total 43

Ce fait ne favorise guère le recrutement car ils semblent être les oubliés dans l'animation et la campagne des vocations dans le diocèse. Leurs charges, enfin, ne figurent pas dans les organigramme des grandes instances de prise de décisions pour la vie du diocèse.

Du point de vue spirituel, la congrégation des Frères de l'Assomption souffre de la faiblesse de la formation et de l'autoformation de ses membres. Ce phénomène est, d'une part, dû au fait que plusieurs de ses membres ne se montrent pas aptes à poursuivre les études supérieures à cause de leur âge avancé et du niveau intellectuel assez bas chez certains jeunes. Il est, d'autre part, conditionné par la pénurie du personnel 1157 car il faut maintenir et développer les œuvres existantes.

On peut aussi ajouter que les études sont très coûteuses et s'étendent sur un temps indéterminé dans le pays à cause des grèves et des fermetures inattendues des Instituts supérieurs. Dans un contexte de pauvreté en finances et en candidats, cette évolution des études supérieures ne stimule guère à un tel investissement économique et humain. Enfin, la Congrégation souffre d’un manque d'animation spirituelle à cause surtout de l'absence de documentation et de personnes compétentes pour assurer ce service. Ce manque de soutien matériel et spirituel est parfois à l’origine de l’abandon des candidats qui s’intéresseraient à la congrégation 1158 .

Pour remédier à cette situation, les Frères de l'Assomption se sont engagés dans la culture des champs, dans l'élevage et dans leurs oeuvres propres de briqueterie, de construction et d’enseignement afin de s’autofinancer. Mais leurs produits ne suffisent pas à pourvoir à tous leurs besoins communautaires et apostoliques. Par ailleurs, ils aimeraient former leur propre aumônier qui assurerait la direction et l'animation des retraites et des sessions. Cependant, à propos d’un aumônier propre à la congrégation des Frères de l'Assomption, subsiste la crainte qu’il cherche à rejoindre le clergé diocésain ou religieux après sa formation sacerdotale.

Les Frères de l'Assomption souhaiteraient aussi recevoir le secours matériel, moral et spirituel du diocèse et des Augustins de l’Assomption qui se montrent de généreux bienfaiteurs des congrégations féminines. Ce geste d’entraide et de solidarité entre les Instituts ecclésiastiques du diocèse de Butembo-Beni dissiperait le sentiment que certains Frères de l’Assomption traduisent douloureusement dans l’expression frappante : « être engendré comme un petit de serpent 1159  ». Cette comparaison comporte une connotation de rupture totale de relations entre parents et enfants, un sentiment d’être délaissé et abandonné à soi-même au milieu des siens. En fait, les serpents ne s’occupent pas des petits qu’ils engendrent.

Pour sortir de ces difficultés, l’ancien Supérieur général, le Frère Albéric Mirembe, (+2001) envisageait d'abord des sessions d’animation des groupes de vocations masculines. L’animateur témoignerait de la vie, de l'esprit et du rôle de la congrégation dans l'Église locale afin de la faire mieux connaître auprès des jeunes.

Pour ce faire, il préconisait que ce travail d'animation serait fructueux si la population locale apprécie le témoignage de vie religieuse des membres, et si la congrégation recevait l’appui des familles, des communautés chrétiennes, des instituteurs d’écoles primaires et secondaires, et des autres congrégations œuvrant dans le diocèse. Pour lui, cette démarche favoriserait leur intégration et leur insertion indispensables pour la survie tant matérielle que spirituelledans la vie du diocèse et celle de la grande famille de l’Assomption 1160 .

La présence de ce Supérieur général à la Coordination diocésaine des écoles conventionnées catholiques et celle des jeunes religieux dans les mouvements d’action catholique donnèrent des résultats sensibles. Le Frère Albéric Mirembe se vit obligé de construire et d’ouvrir une maison de formation à la vie religieuse. Une année après sa mort survenue en janvier 2001, cette maison commença à accueillir aussi les religieuses et les religieux de la Province ecclésiastique du Kivu qui suivent des cours à l’Institut Africain de Formation Religieuse (IAFR).

Cet Institut supérieur de spiritualité est supervisé par l’Assemblée des Supérieurs Majeurs (ASUMA) et l’Union des Supérieures Majeures (USUMA). Sa présence à Butembo s’explique par la catastrophe que provoqua l’éruption du volcan Nyamulangira à Goma. Les laves qui, à certains endroits, atteignaient la hauteur de plus d’un décamètre, s’abattirent sur les bâtiments de l’Institut à tel enseigne que cet emplacement est difficile à reconnaître.

Ce danger permanent du volcan et la présence de la maison quadrilatère des Frères en formation sont à l’origine de la re-ouverture de cet Institut à Butembo. Le facteur le plus déterminant réside dans le fait qu’au moment de l’éruption du volcan, la Sœur Masikini, Supérieure provinciale des Oblates de l’Assomption au Congo, était la représentante de l’USUMA du Kivu au sein de cet Institut. Elle voulut, par conséquent, chercher avec ses collègues supérieures une solution pour relancer l’Institut qui venait de fermer ses portes durant trois ans.

La présence des professeurs des scolasticats et des grands séminaires de théologie et de philosophie, l’entourage de plusieurs congrégations religieuses qui peuvent accueillir les étudiants et les étudiantes qui proviennent des autres diocèses du Kivu, l’emplacement de la maison des Frères dans la ville de Butembo, sont autant d’éléments qui présidèrent à la fixation de ce choix.

Cette maison, à moitié occupée par les Frères, est constituée d’une grande chapelle, de trois grandes salles de rencontre, de 18 chambres des novices, et un réfectoire assez large. Elle peut ainsi accueillir des étudiants externes dont la moyenne annuelle s’élève à 30 étudiants répartis sur un cycle formation de formation de trois ans. Cette réalisation est devenue pour les Frères de l’Assomption un début d’insertion et d’intégration plus active au sein des communautés religieuses de congrégations œuvrant dans le diocèse.

En dépit des difficultés que rencontre la congrégation, et du nombre total des religieux fort réduits 1161 , les Frères de l'Assomption cherchent à réaliser l’idéal religieux auquel ils se sont engagés.

Graphique n° 6 : Evolution numérique des Frères de l’Assomption (1950-1998)
Graphique n° 6 : Evolution numérique des Frères de l’Assomption (1950-1998)

Source : Répartitions des Frères de l’Assomption (1950-1958)

Tout en ayant une dévotion spéciale à la Vierge Marie, ils recherchent leur sanctification personnelle par la pratique des conseils évangéliques. La congrégation coopère à l’annonce de l’évangile par ses oeuvres d'apostolat 1162 qui sont de plus en plus variées. Il s'agit d'abord de l'enseignement, de l'animation de mouvements d'action catholique et des groupes de prières. Leurs oeuvres sociales s’étendent aussi aux Centres pour Handicapés Physiques (C.H.P.), au Centre des Sourds-Muets (CSM), à des écoles et des ateliers de menuiserie, de maçonnerie, et de mécanique.

Par ailleurs, les Frères de l’Assomption sont appréciés pour leur témoignage auprès des ouvriers, pour la valorisation du travail manuel dans leurs champs, la briqueterie et les travaux de constructions. En outre, ils rendent des services dans les Instituts secondaires et universitaires, dans les entreprises privées des centres urbains de Butembo et de Beni 1163 . Enfin, la Congrégation des Frères de l'Assomption, depuis 1992, s’est ouverte à la mission lointaine dans le diocèse voisin à Wamba et à Nyanya où deux Frères sont au service des œuvres du développement.

Notes
1155.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1954-1955, p. 4.

1156.

Répartition des Frères de l'Assomption (1996) élaborée par le Frère Tsabgyamuviri Apollinaire des Frères de l’Assomption à Kinshasa en collaboration avec Matthieu Sitone.

1157.

La congrégation des Frères de l’Assomption n’a jamais dépassé 50 religieux dans ses statistiques.

1158.

Entretiens informels en différentes circonstances avec le Frère Albéric Mirembe, Supérieur général des Frères de l’Assomption (1994-2000), son successeur, le Frère Kivete, les Frères Cyrille Mwimbi Mbavulikirwa et Domitien. Kaykomere Vuhima, Appolinaire Tsangya Muviri.

1159.

Dialogue informel avec les membres de l’Institut.

1160.

Entretiens du Frère Albéric Mirembe avec le Père Matthieu Sitone lors de la rencontre annuelle de l’Assemblée les Supérieurs Majeurs (ASUMA) des religieux. Kinshasa, avril 1995.

1161.

Un tableau dans l’annexe n°… nous montre un chiffre stagnant qui ne s’élève pas au-delà de la cinquantaine.

1162.

Constitutions de la Congrégation des Frères de l'Assomption de Beni. Rome, Éditions de la Maison généralice, 1952, p. 5.

1163.

Nous tenons nos informations du Supérieur général des Frères de l'Assomption Albéric Mirembe Saghasa, Domitien Kaykomere Vuhima, Augustin Kambale Nzoli, Achille Bwakyanakazi, Léon Kalaka Taluliva, Appolinaire Tsangya Muviri, et Gérard Mukumu Nzughumu, ses confrères lors de nos rencontres et entretiens informels en diverses circonstances à Butembo et à Kinshasa.