4.1.2. Création des paroisses (1929-1968)

Dans l’histoire des implantions pastorales dans le vicariat et dans la suite dans le diocèse de Butemvo-Beni, on observe un double mouvement, descendant (1929-1965) et ascendant (1965-1998) qui a eu pour effet une même réalité, l’établissement des paroisses. Les vingt huit paroisses 1196 du diocèse de Butembo-Beni ont été fondées dans différents contextes. Il y a eu d’abord l'implantation de la Mission de Beni Saint-Gustave, à la demande du roi Léopold II des Belges, en 1906. Les missionnaires devaient soutenir l'occupation belge, préserver le peuple de l'influence anglaise en provenance de l'Ouganda, parer à l’infiltration de l’islam dans la contrée, et christianiser la population locale.

Les fondations du second groupe de paroisses furent, plutôt, motivées par la densité de la population et par la présence des agents de la compagnie Minière des Grands Lacs (M.G.L.) et de l’administration coloniale. Ces facteurs sont à l’origine des postes de mission de Kimbulu Saint-Joseph (1924), de Muhangi Sainte-Marie (1932), de Mulo Sainte Thérèse (1933), de Bunyuka Notre Dames des Anges (1935), et de Mbingi Notre-Dame de Lourdes (1936).

Le poste de Kimbulu, près du poste de l’administration coloniale de Lubero, fut le second poste établi par les Pères du Sacré-Coeur de Jésus –Déhoniens – avant la cession de la mission de Beni aux Assomptionnistes. En 1932, ce poste fut transféré à Muhangi par les Assomptionnistes.

Le poste de Manguredjipa a bénéficié du soutien financier de la compagnie minière qui a pris en charge la construction des couvents des Pères et des Soeurs, de l'église paroissiale, de l'hôpital, et de l'école. Mbingi fut construit dans le même contexte, en 1936 : il avait une chapelle et un couvent construits par les agents de la mine. La particularité de ce poste consiste dans le fait que le chef indigène, Kinahwa, promit de se convertir si les missionnaires venaient s'y implanter. Le Père Monulphe Bastians se saisit de cette opportunité pour s’y installer, d’autant que le projet de dédoubler le poste de Mulo Sainte Thérèse (1933) était déjà envisagé à cause de son rayonnement sur la population locale de ce lieu et de Kyondo. Le poste de Kyondo Sainte Marie-Immaculée, en 1938, n’a pas joui des appuis venus des mines ou du chef. La concentration de la population et les longues distances pour que les chrétiens atteignent le poste de mission de Bunyuka militèrent en faveur de cette fondation 1197 .

Mais, contrairement à Manguredji et Mbingi, les missionnaires reçurent des espaces peu enviables : les deux bosquets qui étaient les cimetières des personnes que la tradition privait des rites funéraires parce qu’elles étaient atteintes de la lèpre (evihagha), de la berbérie (akaseru), et de l’hydropisie (akavunda/amakonongo) considérées comme des signes de malédiction. Ces malades entraient dans la catégorie de ceux qui étaient perçus comme des défunts décédés suite à une mauvaise mort, c’est-à-dire les pendus, accidentés, et sorciers.

Après la seconde guerre mondiale 1198 , les Assomptionnistes ouvrirent les postes de Musienene Sacré-Coeur (1946), Kitatumba Marie-Immaculée (1946), Butembo-cité (Mater Ecclesiae), Biambwe saint Paul (1946-1947), le centre commercial de Mutwanga Saints Pierre et Paul (1947), et le poste de Buisegha Notre-Dame de l'Assomption (1948). Les questions relatives aux distances, à la densité de la population locale et le souci de ne pas laisser les missionnaires dans l’isolement sont aux origines de la fondation des ces postes de mission. Toutefois, ce souci de vivre dans des grandes communautés, avec les problèmes, s’estompa dans les années 1950 avec l’arrivée de vingt huit jeunes missionnaires à partir de la fin de la seconde guerre mondiale.

Cependant, Mgr Henri Piérard était réticent à ces nouvelles fondations pour ne pas éparpiller la communauté. Mais cette crainte s'accompagnait aussi de celle de voir les jeunes faire tabula rasa des expériences des anciens. Cependant, selon les témoignages de certains missionnaires, la réticence de l’évêque provenait surtout de la caisse du vicariat qui était presque vide. L’évêque craignait de voir les missionnaires venir du jour au lendemain lui demander de l’argent qu’il n’avait pas afin qu’ils puissent fonder des nouveaux postes de mission. C’est pourquoi, poursuivent-ils, il a fallu quelque peu forcer la main du vicaire apostolique pour ouvrir de nouveaux postes en adoptant des stratégies diverses selon le tempérament 1199 .

Ce fut dans ce contexte qu’en 1952, le Père Kieren Dunlop, ancien missionnaire en Colombie et familier de la solitude, ouvrit le poste de Luofu en 1952 à tel point que les missionnaires présents se plaignaient devant l’évêque qu’il fallait quitter l’Amérique latine pour avoir la permission de fonder son poste 1200 . Dans le même contexte, en 1956, le Père Marc Champion, parmi d’autres, planta, de son propre mouvement, sa tente à Lubango. Il y construit, avec trente francs belges, une chapelle qui, selon ses estimations, était la plus grande de toutes les chapelles du vicariat. Comme la population locale contribuait par son travail bénévole et apportait le bois, les lianes, et la paille pour couvrir le toit, cet argent servit à l’achat des pelles, des bêches, et des clous. Trois mois plus tard, il inaugura cette chapelle par la célébration de la messe de Pâques 1201 .

Pour obtenir gain de cause, certains missionnaires invoquaient le grand nombre de catéchumènes à encadrer dans les stations les plus éloignés. D’autres pouvaient persuader l'Évêque que les chrétiens eux-mêmes réclamaient la présence des Pères. Les uns se plaignaient du fait qu'ils étaient continuellement en brousse sans pour autant atteindre tout le monde. Pour eux, la brousse aussitôt terminée, une autre recommençait. Pour d’autres enfin, il fallait qu'ils mettent leur vicaire apostolique devant le fait accompli en occupant un petit poste dans des grands centres où ils avaient déjà construit de grandes chapelles 1202 .

En 1952, Mgr Henri Piérard se rendit finalement compte de la nécessité de construire de petits postes de mission. Il autorisa la décentralisation des grands postes et expliqua ce changement d'attitude en ces termes :

‘« Si nous voulons maintenir fervente notre chrétienté, nous ne le pourrons que par le contact réel de plus en plus étroit. Le temps n'est-il pas venu d'organiser de petites stations, très rapprochées, établies en plein milieu indigène, là où les populations se stabilisent. Nous y aurions de modestes constructions à l'échelle du village, le missionnaire deviendrait réellement l'un de nos chrétiens, partagerait la vie de ses ouailles qu'il connaîtrait plus intimement; ainsi nous serions présents partout rapidement, nous ne serions plus handicapés par le temporel, les âmes absorberaient notre activité 1203  ».’ ‘Dans la pensée du vicaire apostolique, l'isolement temporaire des missionnaires dans les petits postes était une nécessité et répondait à un devoir de charité à l'égard des chrétiens. Mais, ces postes devraient être distants de dix à vingt cinq kilomètres de la mission principale pour permettre aux missionnaires de revenir partager la vie de communauté au poste central. A part les avantages évoqués par l'Évêque, il fallait surtout répondre aux besoins des chrétiens en rendant « l'Eglise présente à leurs côtés 1204  ».’

Par ailleurs, comme l'explique le Père Kieren Dunlop, les petits postes permettaient aux missionnaires de garder un contact étroit avec les indigènes afin de mieux les connaître, si possible individuellement, pour mieux les instruire religieusement 1205 . Dans ce but, conformément aux Instructions des Ordinaires du Congo Belge et du Ruanda-Urundi aux prêtres de leurs territoires, les missionnaires se mirent à visiter les chrétiens à domicile, à dresser des listes complètes de leurs paroissiens avec leur appartenance familiale et religieuse.

De ce recensement sortit le classement des chrétiens selon plusieurs types : les pratiquants, les tièdes, les irréguliers, les non-pratiquants, les chrétiens invalides, et les païens 1206 . Ce classement influença parfois les comportements sociaux et religieux selon l’appartenance à un groupe.

D’autre part, le contact étroit des missionnaires avec les chrétiens amena un nouveau type de découpage territorial indépendante des limites administratives et géographiques, des chefferies, des ethnies, des langues vernaculaires.

Image n° 15 : Randonée en brousse
Image n° 15 : Randonée en brousse

Source : Revue QuIil règne (1998) n° 347, p. 25.

La conquête et l’expansion du christianisme qui déterminait les découpages des paroisses dépendaient désormais de l’activité missionnaire et surtout des catéchistes. Ils précédaient les prêtres dans les nouveaux centres à christianiser et les annexaient sur le territoire d’expansion de leur missionnaire. Cette attitude fut à l’origine d’une nouvelle appartenance paroissiale.

Le but de décentralisation jusqu’au niveau du village fut clairement défini en 1972 quand le diocèse recommandait aux prêtres :

‘« Pour que les familles d’un village ou d’un quartier ne restent pas dans l’anonymat, le souci constant en est de les organiser en groupes plus restreints afin qu’elles puissent se sentir plus unies, s’entraider facilement dans les nécessités : lors de la naissance, d’un mariage, d’une maladie, d’un décès, dans l’éducation des enfants, des conseils à donner lors d’un conflit dans un ménage 1207  ».’

La promotion d’une agglomération éloignée en centre pastoral était conditionnée par une forte densité chrétienne dans la population locale. Elle occasionnait des nouveaux partages du territoire dû aussi aux nouvelles expansions 1208 . De cette façon, le vicariat apostolique de Beni jusqu'à son élévation en diocèse de Beni en 1959 ouvrit dix nouveaux postes qui formèrent avec les précédents 22 paroisses. La vingt-troisième paroisse fondée par les Assomptionnistes fut celle de Mangina, saint Matthias Mulumba en 1968. Elle fut aussi la première paroisse ouverte après la passation du pouvoir ecclésiastique au clergé diocésain.

Cependant, par la convention de 1986, signée par le Père Hervé Stephan et Mgr Emmanuel Kataliko, ces deux autorités religieuses et ecclésiastiques reconnurent que l’Assomption s’engage définitivement pour cinq paroisses dans le diocèse de Butembo-Beni à savoir Luofu, Kyondo, Mutwanga, Mbao et Kitatumba. En 1993, après la cession de Mutwanga au diocèse à cause du manque du personnel religieux, les Assomptionnistes développèrent les les centres urbains qui devinrent les paroisses d’Oicha Saint-Esprit (1998), de Kirumba Notre-Dame de la paix (1998), et d’Eringeti (1998) qui fut aussitôt cédé au clergé diocésain. L’autre aspect dominant qui suscita ces nouvelles fondations paroissiales fut la concurrence avec les protestants et les autres mouvements religieux ainsi que les sectes.

Enfin, d’autres paroisses furent aussi érigées grâce à l'arrivée des nouvelles congrégations missionnaires, dont les Pères des Grands Carmes, en 1988 à Mukuna.Notre-Dame du Mont Carmel, et des Pères du Sacré-Cœur de Saint Quentin (Déhoniens) revenus en 2002 à Kiraho, aux environs de la ville de Butembo, dans la contrée qu’ils ont cédé aux Assomptionnistes en 1929.

Notes
1196.

Chaque paroisse a presque son histoire propre. Nous n'allons pas la relater dans ces paragraphes. On pourra se référer à l'ouvrage inédit de Lieven BERGMANS, Cinquante ans de présence assomptionniste au Nord-Kivu, op. cit. p. 49-124, et au mémoire de licence de Charles MBOGHA, La pratique et les perspectives d'évangélisation du diocèse de Butembo-Beni. Bruxelles, Lumen Vitae, 1975, p.79-130.

1197.

Lieven BERGMANS, Cinquante ans de présence assomptionniste au diocèse de Butembo-Beni, op. cit. p. 79.

1198.

Romanus DECLERCQ, « L'après-guerre immédiat », dans Afrique ardente (1957) n°97, p. 1-10,

1199.

Correspondance du Père Marc Champion avec le Père Sitone Matthieu. Namur, Saint-Gérard le 22 janvier 2003. Cf. aussi les propos de table avec le Frère Maurice Hex lors de nos vacances en Belgique. Bruxelles-Anderlecht, 2002-2005.

1200.

Lieven BERGMANS, Cinquante ans de présence assomptionniste, op. cit., p. 114-115.

1201.

Dans nos entretiens personnels à Saint-Gérard (Belgique) lors de nos vacances d’été (2002-2005), le Père Marc Champion évoque souvent cet exemple pour justifier que ce ne sont pas les grands moyens financiers qui sont à l’origine des œuvres au service du peuple mais la bonne volonté et la collaboration avec le peuple.

1202.

Lieven BERGMANS, op. cit., p. 99.

1203.

Henri Piérard, Rapport annuel. 1951-1952, p. 1-2.

1204.

En fait, selon notre observation dans la paroisse de Mbao (1986-1991), les jours des fêtes d'obligation comme Noël, Pâques, Ascension, Assomption, Toussaint, des chrétiens, malgré le poids de leur âge ou même la santé fragile, peuvent parcourir plus de 40 km pour atteindre la paroisse. Les petits postes furent en vérité une faveur pour les chrétiens.

1205.

Kieren DUNLOP, « Un tout petit poste de mission », dans L’Afrique ardente (1953) n°75, p. 20-24.

1206.

Instructions des Ordinaires du Congo Belge et du Ruanda-Urundi aux prêtres de leurs territoires. Léopoldville 1955, p. 83.

1207.

Emmanuel Kataliko, Rapport quinquennal, 1982, p. 17.

1208.

Expérience personnelle lors de notre ministère sacerdotale dans la paroisse de Mbao (1986-1991).