4.1.3. Les activités paroissiales

Le travail missionnaire dans un poste de mission devenu une paroisse avec l'érection du vicariat en diocèse, en 1959, comporte deux aspects, à savoir le travail à la station centrale où réside le curé et le travail en brousse.

Pour organiser le travail apostolique, les missionnaires assomptionnistes, s'inspirèrent d'abord des Instructions du Congo Belge et du Ruanda-Urundi aux prêtres de leurs territoires. Ensuite, après vingt neuf ans d'expérience sur terrain, ils l'adaptèrent en 1958, et rédigèrent le Directoire pastoral à l'usage des Prêtres du Vicariat de Beni qui était encore en vigueur l’an 2000.

Le Directoire avait pour but principal d'assurer l'unité de vue et d'action dans le domaine de l'apostolat, de faciliter la tâche apostolique, sans supprimer les initiatives personnelles, et d'éviter que d'une mission à l'autre les modalités d'action ne divergent au point de dérouter les nouveaux missionnaires et les chrétiens 1209 . A la paroisse, le Directoire recommandait aux Prêtres d'organiser leur apostolat en sorte qu'ils atteignent effectivement toute la population de leur circonscription ecclésiastique en la visitant régulièrement.

Ces visites pastorales en familles et dans les villages avaient aussi pour but d’informer les chrétiens sur les différents problèmes de développement religieux et matériel de leur paroisse, de leur rappeler leurs devoirs religieux, à savoir la fréquentation de la messe en semaine, des confessions le samedi, et de responsabiliser les parents à leur obligation d’éduquer chrétiennement leurs enfants.

Elles étaient aussi des occasions de donner des conseils pratiques sur le développement à savoir l'entretien des différentes cases familiales selon les groupes d’âge et les diverses activités. En outre, elles permettaient aux prêtres d’informer les chrétiens sur les conséquences néfastes de l'alcool pour leurs enfants, et de dénoncer, par conséquent, le désordre moral qui peut s’infiltrer dans la société par sa consommation abusive.

Par ailleurs, les visites pastorales étaient des occasions pour les prêtres et pour les chrétiens de demander ou de donner tel ou tel autre conseil particulier, individuellement ou en groupe selon les âges, d'inciter les enfants à fréquenter régulièrement les écoles pour y recevoir une instruction humaine et religieuse, et d'éveiller en eux le désir de s'approcher des sacrements 1210 .

Image n° 16 : L’Église cathédrale de Mgr Henri Piérard à Beni-Paida
Image n° 16 : L’Église cathédrale de Mgr Henri Piérard à Beni-Paida

Source : Revue Missions Assomptionnistes (1965) n° 568, p. 11

Au poste central, le prêtre organisait une série d'activités notamment le catéchuménat, les écoles, et les dispensaires. Il encadrait les jeunes dans les mouvements d'action catholique 1211 , et favorisait les dévotions populaires qui eurent une orientation commune dans le vicariat de Beni en 1958. Il réserva, au mois de mars, chaque mercredi soir, l'habitude de la récitation journalière du chapelet après la prière du soir en se rendant auprès de la statue de la Vierge Marie. Cet emplacement est toujours improprement appelée de Lourdes, à cause des récits miraculeuses aux abords du fleuve Gage à Masiabele.

A la paroisse, le salut au Saint-Sacrement fut accompagné des litanies de saint Joseph. Le mois de mai et d'octobre furent dédiés à la Vierge Marie qu'on parle habituellement des mois de Marie (myezi ya/emisi ya Bikira Maria en swahili ou en kinande). Durant ces mois, dans tout le vicariat apostolique, la récitation commune du chapelet en procession auprès de la statue de la Vierge Marie dans les villages était recommandée. Au poste, cette procession avait lieu après le salut au Saint-Sacrement et s'accompagnait des litanies de la Vierge Marie. En juin, les vendredis soir, le salut au Saint Sacrement était suivi de la litanie du Sacré-Cœur.

Enfin, au mois de novembre, le vendredi soir, les fidèles priaient pour les âmes du purgatoire. Il y avait aussi le chemin de croix qui, chaque jeudi soir en dehors du mois de novembre, préparait la veille du premier vendredi du mois réservé au Sacré-Cœur de Jésus 1212 . Le petit séminaire de Musienene continua timidement ces dévotions populaires ainsi que les paroisses de Mbao et de Kyondo. Dans la plupart des paroisses le chemin de croix, pendant le temps de carême, fut maintenu car cette célébration se déroule à l’intérieur de l’Eglise ou de la chapelle. Aux petits comme aux grands séminaires, subsiste encore l'habitude du salut au Saint-Sacrement, les mercredis, ou les samedis, les dimanches et les jours de solennité en semaine.

Après les événements de 1972, lors de la politique de l’authenticité qui consistait en une « sacralisation » de la nation et en un refus du christianisme accusé d’être une idéologie opposée au pouvoir politique en place, le gouvernement du président Mobutu interdit ces dévotions publiques. Après l’assouplissement de la politique de l’authenticité et la remise de la direction des écoles aux confessions religieuses catholiques et protestantes, en 1976, la neuvaine de Noël, les processions à l'occasion de certaines solennités de la Fête-Dieu, de l'Assomption furent encore revalorisées mais la ferveur avait fortement diminué à telle enseigne que dans les années 1980 cette pratique religieuse disparut progressivement dans les paroisses du diocèse.

Seule la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, précédée par les confessions la veille de chaque premier vendredi du mois, reste objet d’une grande ferveur et prend l'ampleur d'une célébration dominicale dans les paroisses urbaines. Les raisons du succès de cette dévotion résident dans la promesse des indulgences.

Dans les paroisses, on cherchait à sensibiliser les chrétiens sur des questions sociales portant sur le problème de l'habitat et de la dot; sur l’organisation des coopératives et de sains loisirs 1213 . D'après nos observations, il n'y a que la paroisse de Kyondo qui aurait constitué une caisse d'épargne avec pour finalité d'habituer les indigènes à ne pas gaspiller ce qu'ils gagnaient. Cette initiative mit fin à la rapacité de la parenté toujours tentée de mendier ou d'emprunter auprès des familiers riches sans intention de rembourser. Cette caisse permit aux adhérents de se procurer, à long terme, ce dont ils avaient besoin.

Dans le vicariat de Beni, encore, le Père Alphonse Liguori, dans les années 1950, organisa l'apostolat par le film auprès des ouvriers des mines et aussi la création de deux bibliothèques à Beni et à Mulo 1214 pour les Européens. Aussi, intensifiait-on les jeux à caractère distractif et instructif dans les mouvements d'action catholique, le sport, les diapositives et les films religieux qui ont cédé, à partir des années 1970, la place aux vidéocassettes. Il est difficile d’évaluer l’impact de ce type d’apostolat qui va au-delà de l’aspect ludique, et qui vise l’initiation au travail d’équipe, à l’esprit d’émulation et de collaboration, d’observation et d’entreprise.

De son côté, le Père Stephan Smulders initia divers types d’apostolat 1215 . Dans les années 1980, il regroupait les jeunes de la paroisse de Bunyuka et organisait un théâtre religieux à caractère biblique. À cette fin, selon ses talents bibliques et artistiques, il confectionnait des habits pour la circonstance et constituait une mise en scène en pleine nature.

Cette volonté de regroupement des jeunes n’avait pas seulement une finalité religieuse mais aussi culturelle. Les jeunes pouvaient mimer et interpréter des danses funéraires traditionnelles, des scènes de guerre, et des danses populaires. Parmi ces danseurs, certains étaient des acolytes de messes, d’autres encore des membres des mouvements d’action catholique.

Dans les années 1970, leur célébrité s’était étendue au-delà des frontières du diocèse à telle enseigne que les autorités politiques les réquisitionnaient pour agrémenter le séjour du président Mobutu à la Rwindi, l’ancien parc Albert. Contrairement aux autres danseurs, ils avaient un uniforme cousu artistiquement par le Père qui, aussitôt, se mit à la confection des aubes-chasubles de messes qui est devenue la spécialité et un gagne-pain pour les Petites Sœurs de la Présentation.

Au-delà de cet aspect distractif, les Pères Stéphan Smulders et le Père Henri Kies furent les premiers compositeurs des chants religieux en swahili dans le diocèse en imprimant le livre Tuinue myoyo, « élevons notre cœur ». Cette initiative provient de l’après concile Vatican II (1963-1965) qui recommandait des célébrations liturgiques dans les langues vernaculaires. Avant cette période, les livres de prières ou de chants en langues locales provenaient de Kisangani dans le Haut-Congo et de Kasanga, à l’autre versant des Monts Ruwenzori, dans une paroisse des diocèses de Fort-Portal (Virika), en Ouganda.

Cette orientation fut aussi à l’origine d’une crèche d’environs deux cents enfants que le Père Stéphan Smulders, à Bunyuka, encadrait chaque dimanche après les célébrations eucharistiques. Avec les plus grandes, il mit au point une marche dansante lors de la procession et des célébrations eucharistiques. Il poursuivit cette activité pastorale à Luofu jusque dans les années 1990 avant son retour à Boxtel, en Hollande 1216 .

Dans le même esprit, à Byambwe, à Bunyuka, à Kyondo, et à Luofu, paroisse dans lesquelles il rendait son service sacerdotal, il forma certaines personnes à la peinture et à la sculpture religieuse en utilisant le bois, l’ébène ou les ivoires d’éléphants et d’hippopotames. De ces ivoires est sorti le signe distinctif des Assomptionnistes au Congo : la croix artistique en ivoire à la place de la robe et du camail religieux. Cet apostolat est apprécié : les personnes qu’il a formées volent de leurs propres ailes et vivent de leurs produits artistiques et de leur imagination selon les désirs des touristes 1217 .

En dehors du poste central 1218 , les prêtres organisaient des randonnées en brousse afin d'occuper tout le territoire de leur juridiction et surtout d'avoir un contact étroit avec les autochtones. Dans les brousses, il faut distinguer la visite des centres de brousse, les secteurs, et des villages dotés chacun d'un catéchiste. Ces visites figuraient sur le programme mensuel des Pères ou dépendaient de l’invitation des chrétiens qui n’avaient pas encore de catéchistes, de l’initiative du catéchiste du village ou même du chef local.

Dans les secteurs, le prêtre résidait au moins trois jours. Invitant les chrétiens des villages environnant, il leur donnait des instructions portant sur les sacrements, leurs devoirs de chrétiens et leurs devoirs d'État au risque de passer pour des collaborateurs de l'occupant colonial. Ils encourageaient aussi les chrétiens à recevoir fréquemment les sacrements, enseignaient aux enfants le catéchisme et les recevaient aux sacrements de baptême et de la première communion.

Bientôt, les secteurs, éloignés les uns des autres devinrent de petites paroisses en miniature et plus tard des paroisses effectives. Cette décentralisation des structures paroissiales, à tous les niveaux, permettait d’organiser le catéchuménat, le service dominical, et la recevoir les sacrements 1219 . Le travail pastoral en brousse se trouve explicitement défini dans le Directoire qui recommande :

‘« On s'arrêtera dans chaque village pour inspecter le cahier des présences au catéchisme, recevoir les fidèles qui le demanderaient, bénir les tombes, baptiser les enfants, donner une leçon de catéchisme, interroger les postulants, se rendre compte du travail des catéchistes, vérifier les baptêmes en danger de mort. Se faire un devoir de vérifier chaque fois la situation matrimoniale des priants 1220  ».’

En dehors de ces occupations, le prêtre avait à visiter les malades et leur conférer les sacrements dont ils avaient besoin.

D'une manière générale, à la paroisse comme dans les centres et les villages où le prêtre passait la nuit, le missionnaire ou le prêtre autochtone essaie d'atteindre tous les groupes d'âges et toutes les catégories des personnes. Auprès des adultes, il veille à renforcer la solidité des mariages légitimes, à lutter contre le divorce et la polygamie, à prévenir les parents de l'esprit païen qui les entoure, à former des familles chrétiennes, à inciter le peuple aux oeuvres du développement social,

Il exhorte les chrétiens à maintenir leur ferveur chrétienne par l'assiduité à la prière, et à abandonner la luxure et les coutumes superstitieuses. Il inscrit et établit les procès de mariage, les célèbre, le jour indiqué, avec les sacrements de baptême, de communion ou de confirmation, donne une instruction d’approfondissement d’un aspect du catéchisme ou de la pastorale, et veille au développement des écoles ainsi qu’aux œuvres sanitaires 1221 .

Auprès des adolescents, le prêtre veille à leur donner une notion claire du mariage chrétien. Il les exhorte à se préserver des liaisons illégitimes, à s’engager par le mariage moyennant la dot traditionnelle, à éviter les mariages mixtes des catholiques avec des protestants, les membres des sectes, les musulmans ou les païens, interdire les mariages par essai ou par échange, ainsi que les mariages précoces et la polygamie.

Quant aux enfants, le prêtre les incite à recevoir à temps l'instruction religieuse et à se préserver des influences et des croyances néfastes des païens. Enfin, les catéchistes sont invités à rencontrer le prêtre afin de l’informer sur la situation des chrétiens dans leurs villages pour mieux les encourager ou de les maintenir sur la voie chrétienne lors de sa visite 1222 .

Le missionnaire et les prêtres tenaient un fichier dans lequel les différentes situations pastorales étaient indiquées. Ce fichier avait pour avantage de mettre le pasteur au courant de la vie chrétienne de son poste, de suivre l'évolution de ses ouailles, et de prévenir à temps les éventuelles déviations qui pourraient s’y infiltrer 1223 . Le même fichier avait pour autre avantage de permettre au nouveau missionnaire, lors de sa nomination, de se rendre immédiatement compte de la situation concrète de son nouveau poste pour assurer la continuité ou pour y introduire de nouvelles initiatives.

Néanmoins, depuis les années 1980, avec les départs progressifs des missionnaires assomptionnistes belges et hollandais, ces fichiers ne sont plus tenus avec assiduité ni rigueur : la culture de l’oralité regagne son terrain. Par ailleurs, les enquêteurs se butent à la question linguistique quand les rares fichiers existants sont en neerlandais ou en flamands.

Quoi qu’il en soit, dès qu'un poste de mission était définitivement établi, les missionnaires le décentralisaient en créant des succursales en fonction des longues distances et de la densité de la population. Toutes les structures paroissiales, les infrastructures scolaires et sanitaires s’établissent progressivement dans ces centres à tel point que les catéchistes sont perçus comme des petits curés ou mieux des lieutenants des curés (pahali pa padiri) avec un droit de regard, de surveillance et d’établir un rapport au curé ou au responsable des œuvres.

Depuis les années 1970, les paroisses sont décentralisées en secteur, en sous secteur, et en liturgia qui est un regroupement d’un certain nombre de vijiji (villages) dirigés par les catéchistes entourés des « comités » c'est-à-dire du conseil des anciens 1224 . Ce dernier est choisi parmi les chrétiens et confirmé par le curé de la paroisse pour une durée de trois ans renouvelables. Chaque conseil de village ou d'un grand centre est constitué d'un président, d'un vice président, d'un secrétaire et d'un trésorier. Parmi les vertus requises pour être membre du comité, il faut que la personne choisie, sans distinction de sexe, soit de bonne conduite en famille comme dans le village. Il est aussi demandé qu'elle soit sage et juste, respectueuse et respectée, pacificatrice et unificatrice, et sans esprit séparatiste. La serviabilité, le désintéressement, le souci du progrès spirituel et du développement matériel de la contrée sont autant d’exemples que la chrétienté attend d’eux.. Appelée à devenir comme le levain dans la pâte, cette équipe dirigeante prêche par le témoignage d’une vie exemplaire, transmet et veille à la réalisation des directives pastorales prises en commun dans le conseil paroissial

Les comités incitent les chrétiens à la construction et à l'entretien de leur chapelle, de leur école ou de leur centre de santé, et à la réception des sacrements. Ils aident le catéchiste à dispenser un enseignement religieux aux chrétiens et aux catéchumènes, et cherchent les païens pour les présenter au catéchiste. En outre, ils encouragent les jeunes à entrer dans les différents mouvements d'action catholique, et les aident à se préparer au mariage chrétien en leur présentant les qualités d'une futur époux ou d'une future conjointe.

Ils reçoivent et écoutent les chrétiens adultes qui viennent auprès d'eux pour présenter leurs différentes doléances. Puis ils transmettent les cas particuliers difficiles à résoudre au catéchiste ou au prêtre. Ensuite ils visitent les chrétiens à domicile, s'entretiennent avec eux sur les directives pastorales de la paroisse ou du diocèse, et les sensibilisent à s'engager dans les travaux de développent comme la construction ou l'entretien de la route, de l'école ou du dispensaire du milieu.

Le but principal de ces visites et des entretiens avec les chrétiens est de les exhorter à la pratique chrétienne, à avoir un sentiment d'appartenance à la communauté, à participer activement aux réunions, et à s'engager dans les oeuvres de développement. Par ailleurs, avec l'accord de la communauté chrétienne du village, ils admettent ou retardent un chrétien désireux de recevoir un sacrement 1225 .

Cette pratique ne cherche nullement à escamoter le rôle et le pouvoir du prêtre mais à responsabiliser la communauté chrétienne qui, mieux que le prêtre, connaît ses croyants :

« L'admission ou refus sont laissés entièrement à la communauté chrétienne de chaque village. Aussi, nous avons mis comme condition 'sine qua non' cette appréciation de la communauté avant l'admission au baptême ou au mariage, d'est un 'testimonium' émanant de la communauté. Et nous avons remarqué que les chrétiens tiennent beaucoup à cette consultation; ils se sentent coresponsables de la vie chrétienne des uns et des autres. La communauté juge si ceux qui demandent un sacrement pour eux-mêmes (mariage) ou pour leurs enfants (baptême, communion) sont suffisamment préparés pour pouvoir accomplir leur devoir de chrétien et pour vivre leur foi chrétienne. S'ils sont bons chrétiens, la communauté leur délivre un petit billet avec un cachet spécial, marquant son accord pour la réception du sacrement. S'ils ne se comportent pas en chrétiens, la communauté les fait attendre et les incite à se convertir 1226 .

En outre, les comités conseillent ceux qui sont tentés d'abandonner l'Eglise, de retourner aux pratiques traditionnelles, et de rompre leur union matrimoniale dans leurs familles. Ils visitent les malades et les aident à recevoir les sacrement dont ils auraient besoins en les présentant au prêtre. Enfin, ils tâchent de vivifier la ferveur religieuse des tièdes, des non pratiquants, et de proposer le christianisme aux païens. Ils incitent les chrétiens à payer leur dîme (sadaka) et à présenter leurs offrandes du dimanche, et encadrent les vocations tant religieuses que sacerdotales 1227 .

En vue de l’uniformité, le diocèse, en 1982, définit ainsi le rôle spécifique des comités quand il relatait que leur charge était :

‘de veiller sur la vie chrétienne de la communauté et sur le lieu du culte, préparer les membres au baptême, au mariage et aux autres sacrements, susciter les vocations sacerdotales et religieuses dans leurs communautés, veiller à ce que, avec la collecte, les offrandes, les travaux divers, les communautés collaborent financièrement à la construction et au développement de l’Eglise. Les problèmes sociaux et sanitaires ne sont pas à négliger : propreté des villages, aménagement des sources, secourir les malades et les pauvres, construction des écoles, des dispensaires et maternité, construction des routes 1228  ».’

En 1967, Mgr Emmanuel Kataliko étendit les conseils pastoraux dans sa juridiction ecclésiastique en suivant les directives de Vatican II dans le décret Christus Dominus 1229 . Présidé par le curé, les conseils paroissial et pastoral examinent tout ce qui se rapporte au travail apostolique en vue d'en formuler de nouvelles directives pratiques et adaptés à l'évangélisation du peuple.

La vision de Mgr Vanden Bergh sur les conseils paroissial et pastoral et leur triple fonction se retrouve appliquée dans le diocèse de Butembo-Beni. Elle fait savoir que les conseils paroissial et pastoral ont, d'abord, un rôle de conseil, dans son sens propre afin d'aider le curé à prendre des décisions pastorales après avoir entendu l'avis des représentants des communautés chrétiennes. Ils deviennent aussi pour le prêtre un lieu où il présente aux membres ce qu'il aimerait initier, les changements qu'il souhaiterait introduire et les motivations qui préludent à ces modifications, et de parler des difficultés financières ainsi que de la façon dont il les résout.

Ensuite, ils ont un rôle d'informateur du curé sur les situations, les nécessités, et les désirs des chrétiens. Ce fait permet au prêtre de connaître la situation réelle de ses ouailles et les voies et moyens pour répondre à leurs besoins. Enfin, les conseils paroissial et pastoral ont un rôle de diffusion. Les membres communiquent et font connaître les directives apostoliques dans la paroisse comme dans le diocèse, et les moyens employés par les agents de l'évangélisation pour atteindre le but poursuivi.

De cette façon, les membres de ces conseils constitués, en principe, de tous les représentants des chrétiens de différents statuts et souches sociales peuvent, d’une part, obtenir la collaboration des chrétiens en vue de la réalisation des directives prises. Les chrétiens, d'autre part, peuvent partager les soucis de leurs pasteurs jusqu'à prendre ensemble avec le clergé la charge de leur paroisse 1230 .

La décentralisation des paroisses, en 1967, fut commandée par un double facteur. D'une part, du point de vue social et -pastoral, les communautés chrétiennes éloignées de la résidence paroissiale n'étaient plus suffisamment encadrées par leurs pasteurs parce qu'ils étaient moins nombreux à la tâche apostolique, accablés par le poids de l'âge, de la santé, de la vieillesse et même des départs en congés. Par conséquent, les visites pastorales se raréfièrent et la ferveur des chrétiens diminua chez certains. Il a donc fallu, d’une part, opter pour les petits postes de mission bien qu'ils soient difficiles à multiplier à cause de la pénurie du personnel et du manque des moyens financiers.

D'autre part, la décentralisation des grands postes de mission fut vite appliquée à cause de la théologie diffusée après Vatican II, en 1966. L’aspect pyramidal de l’Eglise céda la place à l'Eglise définie comme Peuple de Dieu. Le peuple, jouissant du sacerdoce commun des fidèles, participe aussi à la fonction prophétique, royale et sacerdotale du Christ, et est appelé à rendre l'Eglise présente partout où il se trouve 1231 .

Ces facteurs poussèrent l'Église hiérarchique à promouvoir la coresponsabilité avec les laïcs dans l'Eglise. Les chrétiens, les catéchistes et les comités prirent la direction de leurs communautés qu'ils modelèrent hiérarchiquement selon l'ancienne structure paroissiale. Néanmoins, dans cette organisation s'infiltrèrent petit à petit les structures culturelles du peuple. Ces communautés chrétiennes, sous la direction des laïcs responsables, devinrent des lieux d'engagements religieux et sociaux du peuple. Communautés de foi à l'instar de l'Église primitive de Jérusalem, elles se réunissent pour entendre la Parole de Dieu et l'interpréter selon les besoins spirituels et temporels du peuple.

Par ailleurs les chrétiens se rencontrent dans ces communautés pour prier ensemble, pour s'unir spirituellement au prêtre qui célèbre à ce moment la Sainte messe, et pour secourir les nécessiteux de la communauté. Le rôle du prêtre devint en quelque sorte allégé. Le prêtre, lors de son passage, ne peut que réconforter dans la foi, fortifier la communauté et la sanctifier par les sacrements. Cependant, ces visites périodiques, parfois rares en certains endroits plus éloignés, ne restent pas sans poser le problème des ministères non ordonnés.

L'organisation des paroisses décentralisées en secteurs a engendré plus de dynamisme chez les chrétiens, et les a rendu plus entreprenants. Du point de vue spirituel, ces communautés chrétiennes organisent les mouvements d'action catholique. Les plus dynamiques vont jusqu'à prévoir un emplacement pour la future construction de leur Église, et même la résidence presbytérale et le couvent des religieux ou religieux.

Les Communautés Ecclésiales Vivantes (CEV) sont des rassemblements des chrétiens dans le diocèse de Butembo-Beni. Elles sont nées dans un contexte où les chrétiens, éloignés des missionnaires et du clergé ou perdus dans les grandes assemblées dans leur centre pastoral, désiraient confesser ensemble leur foi et préparer l’avenir spirituel de leurs enfants.

Ils choisissaient d’abord un endroit pour leur rassemblement et désignaient le plus instruit, c’est-à-dire celui qui sait lire et écrire, comme catéchiste. Ce dernier est souvent un des membres de l’action catholique. Ce responsable, aidé de quelque personnes, se charge de présenter la communauté chrétienne au centre pastoral le plus proche pour qu’elle soit reconnue à tous les échelons de la structure paroissiale qui la donnera les orientations nécessaires pour sa croissance spirituelle, matérielle et ecclésiale.

Avec le développement de ces communautés chrétiennes, Mgr Emmanuel Kataliko, dans son rapport annuel de 1980, définit leur rôle :

‘« Il ne suffit pas d’avoir des baptisés, des chrétiens en masse, mais une chrétienté encadrée, convaincue, responsable, une communauté de foi réelle, car tout ne peut et ne doit pas être fait par le prêtre. Mais on doit toujours éviter l’esprit de l’horizontalisme. Forcés parfois de vivre sans prêtres, les chrétiens ont cherché et cherchent eux-mêmes le moyen de vivre l’évangile dans leurs communautés. Animés par le clergé, les laïcs se sont souvenus de leur engagement baptismal : être témoins vivants de l’Evangile.’ ‘Des groupements de chrétiens, pour éviter cet anonymat du temps passé, se sont créés pour prier ensemble, méditer la Bible ensemble, célébrer le jour du Seigneur ensemble, prendre des décisions ou donner certaines suggestions ensemble, suggestions ou décisions concernant la marche de leur Eglise locale soit au point de vue spirituel, soit au point de vue matériel.’ ‘Dans le domaine spirituel : pour la réception de certains sacrements, tel le mariage, le baptême, c’est la communauté, par l’intermédiaire du comité de cette communauté qui présentera le candidat ou les candidats au baptême ou au mariage. Dans le domaine matériel, c’est la communauté qui pourvoira parfois à la construction de sa chapelle, de la rémunération de certains catéchistes, de l’assistance aux malades et aux pauvres. Le catéchiste est l’animateur de cette communauté chrétienne de base. C’est pourquoi il doit être un homme de foi : qu’il sache la transmettre, qu’il sache la vivre 1232 .’

Du point de vue social, les communautés chrétiennes responsabilisées appelées aussi Communautés Ecclésiale Vivantes (C.E.V.) sont devenues des centres de développement social en prenant des initiatives de constructions de routes, d'écoles, et des dispensaires qu'elles financent elles-mêmes.

Ce fut dans ce sens que le pape Jean Paul II (1978-2005) affirma que les communautés chrétiennes sont des « lieux de prière et d'écoute de la Parole de Dieu, de responsabilisation des membres eux-mêmes, d'apprentissage de la vie en Église, de réflexion sur les divers problèmes humains à la lumière de l'Évangile 1233  »comme elles sont aussi des lieux de la charité fraternelle au-delà du communautarisme familial, clanique et tribale.

Depuis les années 1965, les communautés chrétiennes sont devenues la base de l’Eglise locale. Contrairement au temps du vicariat où le prêtre allait fixer sa tente en un lieu pour créer un poste de mission, la communauté chrétienne est devenue la fondation de sa propre église à laquelle elle dompter une organisation conforme au diocèse en demandant un prêtre et des communautés religieuses, des instituteurs d’écoles et un corps sanitaire pour son développement humain et spirituel.

Dans ce contexte, Mgr Emmanuel Kataliko ouvrit les cinq paroisses de Bingo, Kanyabayonga, Mageria, et Kipese. Ces paroisses furent conditionnées soit par le souhait et la demande explicite des chrétiens qui promettent de contribuer à l'œuvre de christianisation, de faire de la paroisse un centre de rayonnement de vie chrétienne et de développement. Ils garantissent aussi de soutenir et de protéger leurs prêtres contre les déviations spirituelles et morales 1234 . Il arrive meme que l’évêque demande aux chrétiens d’une future paroisse s’ils ont déjà contribué à l’édification de l’Église locale par l’offrande de leurs filles ou fils dans la vie religieuse ou sacerdotale.

Cette exigence de l’évêque était ambiguë : d’une part c’était un alibi pour ne pas satisfaire à la requête des chrétiens à cause de la pénurie du personnel ecclésiastique et du manque des ressources financières. D’autre part, l’évêque incitait, en même temps, les chrétiens à contribuer matériellement et spirituellement à la formation de leurs agents pastoraux de christianisation. Plusieurs communautés chrétiennes ont répondu favorablement à ce souhait de l’évêque en contribuant à la formation première d’un futur prêtre jusqu’à la fin du petit séminaire ou de ses études secondaires.

Notes
1209.

Directoire pastoral à l'usage des Prêtres du Vicariat de Beni. 1958, p. 5.

1210.

Ibidem, p. 29-30.

1211.

Instructions des Ordinaires du Congo Belge et du Ruanda-Urundi, op. cit., p. 44-49.

1212.

Directoire, op. cit., p. 70.

1213.

Henri Piérard, Rapport annuel (1946-1947), p. 4-5.

1214.

.Ibidem, p. 5.

1215.

Entretiens personnels avec le Père Stéphan Smulders à Boxtel (Hollande) lors de notre séjour du 18 au 20 novembre 2004 ; Contacts personnels avec Ngozis à Butembo et Carlos à Naïrobi qui furent initiés par le Père. L’art est devenu leur métier et leur profession inscrite dans leurs cartes d’identité.

1216.

Témoignage de Stephan Smulders, initiateur de ces œuvres. Boston, novembre 17 novembre 2004.

1217.

Observations de l’auteur de ce texte.

1218.

Directoire, op. cit., p. 70.

1219.

Henri Piérard, Rapport annuel (1947-1948), p. 1.

1220.

Directoire, op. cit., p. 27.

1221.

Marie-Jean HENNAUT, Travail missionnaire dans les postes, dans L’Afrique ardente (1946) n°38, p. 16. Kieren. DUNLOP, En brousse. Contact étroit avec le Noir. Joies et peines, dans L’Afrique ardente (1954) n°82, p. 35 ; Florent SCHNEE, « Bunyuka, évocation et souvenir », dans Missions de l'Assomption (1952) n°17, p. 39.

1222.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1934-1935, p. 7.

1223.

Marie-Jean. HENNAUT, op. cit., p. 15.

1224.

Kitabu cha wakomité wa mgi. Mbao, 1986, p. 1-8. Ce fascicule inédit rassemble relativement les directives suivies dans les différentes paroisses du diocèse de Butembo-Beni.

1225.

Ibidem, p. 6-8.

1226.

« La voix des Curés de nos paroisses »,dans Sint Unum (1972)n°30, p. 19 et 22.

1227.

Kitabu cha wakomité wa mgi. Mbao, 1986, p. 7-8.

1228.

« Le diocèse de Butembo-Beni », dans Sint Unum (1982)numéro spécial 42, p. 18.

1229.

VATICAN II, “Christus Dominus' : 'Decree on the bishops' pastoral office in the Church'”n°27, in W.M. ABBOT, (éd.) 'The documents of Vatican II', Gallacher, J, (trans.). New York, America Press, 1966, p. 415-416.

1230.

« Érection du conseil presbytéral et pastoral », dans Sint Unum (1967) n°8, p. 3-5.

1231.

VATICAN II, “Lumen Gentium : Dogmatic constitution on the Church”, n°11-12, in W.M. ABBOT, (éd.), 'The documents of Vatican II', Gallacher, J, (trans.). New York, America Press, 1966, p. 27-30.

1232.

Emmanuel Kataliko, Rapport quinquennal (1977 1981), p. 7.

1233.

JEAN-PAUL II, « Exhortation apostolique post-synodale 'Ecclesia in Africa' : sur l'Eglise en Afrique et sa mission évangélisatrice vers l'an 2000 », n° 123, dans la Documentation Catholique (1995) n°2123, p. 840.

1234.

Emmanuel Kataliko, Relatio quinquennalis (1987-1991), p. 4.