4.2.1. Oeuvres de persévérance (1938-1959)

Les mouvements d'action catholique sont nés à partir des nécessités de l’apostolat. Une chose était d'avoir des conversions massives, une autre était de les maintenir fidèles à leurs engagements. Afin de soutenir la jeune chrétienté dans la persévérance de la pratique chrétienne, les missionnaires introduisirent des mouvements d'action catholique dans le vicariat de Beni. Cette finalité fut aussitôt suivie d’une seconde : la survie des groupes par le prosélytisme des membres.

Au fur et à mesure que le jeune chrétienté montait dans le vicariat apostolique de Beni, le maintien de cette ferveur n'allait pas sans poser d'angoissants problèmes. Il fut d’abord question de l’animation spirituelle des chrétiens éloignés des postes et des grandes succursales.

Ils étaient difficiles à atteindre à moins que les fêtes liturgiques d’obligation ne les attirent aux postes de mission. Par ailleurs, ces chrétiens, vivant encore dans des milieux où l'influence traditionnelle pesait de tout son poids, étaient privés des instructions religieuses régulières qui affermeraient leur foi.

Face à ce problème de la persévérance chrétienne des populations une alternative se présenta. D'une part, les missionnaires se demandèrent s'il ne fallait pas créer des petits postes de mission afin que les prêtres soient plus présents au milieu de leur chrétienté. D'autre part, les missionnaires se demandèrent s'il ne fallait pas que les chrétiens de brousse viennent fréquemment dans les postes centraux où les prêtres s'occuperaient d'eux d'une manière organisée en leur donnantt des instructions appropriées, et en leur procurant un réconfort spirituel.

Bien plus, l'éducation insuffisante des enfants chrétiens par leurs parents préoccupait les missionnaires qui remarquaient que les enfants se présentaient à la première communion sans maîtriser les prières. Il fallait, par conséquent, une pastorale familiale et un encadrement spirituel des enfants en les incitant à fréquenter le catéchisme.

En outre, l'influence traditionnelle régnait encore dans le milieu. Les parents chrétiens pouvaient bien s'acquitter de leur devoir religieux envers leurs fils en les corrigeant, en les conseillant, en les réprimandant, et en les dirigeant. Mais, cette besogne était aussitôt contrariée par le milieu ambiant et la famille élargie qui n'étaient pas tous profondément chrétiens.

Par ailleurs, les enfants pouvaient aussi recevoir une bonne instruction chrétienne à l'école. Mais, celle-ci ne répondait pas toujours à l'attente des enfants et de leurs familles désireux d’un enseignement plutôt scolaire qui émanciperait leurs fils de leur milieu coutumier, les mettrait sur un pied d'égalité avec les Européens afin qu’à leur tour ils relèvent le standing social de la vie de sa famille 1236 .

Enfin, la jeunesse masculine et féminine ne comprenait pas encore très bien le sens d'une vie vertueuse selon les demandes du christianisme. Vivant eux aussi dans le milieu traditionnel, le danger du syncrétisme religieux les guettait. Bien plus, en face des anciens à qui ils devaient une obéissance sans faille, leur adhésion au christianisme était considéré comme un abandon de la coutume ancestrale et comme une trahison. Partant, le danger d’apostasie guettait continuellement les jeunes.

Face à ces difficultés, la tendance commune des missionnaires fut d'opter pour les petits postes de Mission. Mais, la pénurie du personnel ecclésiastique fut un handicap réel à la réalisation de ce projet. Après l’élévation de la mission en vicariat apostolique de Beni (1938), les missionnaires se réalisèrent qu’il était possible d’attirer les chrétiens dans les centres où les missionnaires organisaient des oeuvres de persévérance en les groupant et en les instruisant dans les mouvements d'action catholique que Mgr Henri Piérard appela confraternités 1237 .

Dans les années 1938/1939, le vicariat de Beni organisa quatre confraternités. La Pieuse association de saint Paul regroupait les hommes mariés le premier dimanche du mois. Les femmes mariées et les jeunes filles dénommées Pieuse association de Sainte Monique, et les jeunes garçons dans la Pieuse association de saint Lwanga se réunissaient le deuxième et le troisième dimanche du mois. Enfin, le quatrième dimanche du mois, c’était la congrégation de la Propagation de la foi.

Le but de ces confraternités était de constituer une élite des chrétiens éclaireurs, convaincus et riches d'une foi vivante qui les inciterait à l'action. Ces chrétiens seraient établis dans leurs villages comme des noyaux d'apôtres. Par leur ferveur, leur influence morale, leurs exemples de vie chrétienne, ils deviendraient un excellent ferment pour la masse des chrétiens qu'ils maintiendraient sur le bon chemin, et pour les païens qu'ils gagneraient au christianisme.

Ce but se précisa un peu plus tard dans les années 1939/1940 quand Mgr Henri Piérard le rédigea dans son Rapport annuel : « Le but poursuivi est avant tout d'obtenir une élite qui soit un ferment dans la masse, prévienne les relâchements, assurent l'administration des sacrements aux malades, veille à l'instruction religieuse des enfants, et continue l'action efficace des missionnaires absents 1238  ».

Cette formation effective de futurs évangélisateurs de leurs compatriotes consistait en une intensive instruction sur la famille, le choix d'un état de vie selon l’évangile, une l'éducation des enfants, l'obligation des commandements de Dieu, le bonheur de l'homme et celui du prochain pour la gloire de Dieu 1239 .

Au début de leur création, ces mouvements semblent ne pas avoir eu des résultats escomptés à tel point que certains missionnaires se découragèrent. Mgr Henri Piérard, en 1942, fut obligé de les exhorter à avoir une participation plus active dans ces mouvements car leur contribution, leur évaluation et leur sainteté de vie seraient pour ces groupes une source de fécondité.

Les prêtres, aumôniers de ces mouvements qui existaient dans chaque poste de mission, s’engageaient de créer une élite recrutée parmi les catéchistes et les chrétiens avec qui ils s’entretenaient sur la fidélité à Dieu, à la Sainte Église, aux missionnaires et à l'action catholique. L'objectif de ces conférences était de former des chrétiens imprégnés d’une mentalité profondément chrétienne dans leur milieu éloignés de l’influence missionnaire, de former des collaborateurs apostoliques et dévoués, et de leur infuser une mentalité sacerdotale, royale et prophétique à l'imitation du Christ.

Le missionnaire devait, enfin, pénétrer dans le milieu indigène afin de s'instruire sur les mœurs et les coutumes les Noirs pour les christianiser en examinant, ce qui pouvait être retenu ou devait disparaître. Par ce biais, Mgr Henri Piérard espérait avoir des chrétiens exemplaires qui christianiseraient les coutumes ancestrales en créant des familles chrétiennes dans lesquelles le femme, porteuse de l’avenir de la société chrétienne, serait entourée d'un respect religieux 1240

Dans les années 1950, le vicariat introduisit la Ligue du Sacré-Cœur pour les hommes mariés, et de la confrérie du Saint-Sacrement destinée aux jeunes 1241 . Il est possible que les confraternités, tout en ayant le même esprit, aient pris différentes dénominations selon les postes de mission. De tous ces mouvements, nous n'avons des renseignements détaillés que sur la Ligue du Sacré-Cœur, dont le directeur spirituel fut le Père Dominique Vermay. Elle groupait les hommes mariés tous les premiers dimanches du mois. Ses membres assistaient et communiaient à la seconde messe qui leur était réservée.

Après la messe, les membres tenaient une réunion d'une heure qui commençait par le salut au Saint-Sacrement devant lequel ils récitaient le chapelet en l'honneur du Cœur Immaculé de Marie. Ensuite, le Père donnait une instruction qui se concluait par une résolution pratique et concrète pour le mois en cours. Par ailleurs, les membres récitaient la litanie et la consécration au Sacré-Cœur de Jésus qui se terminait par une bénédiction finale. Au sortir de l'église, une cotisation était faite pour le groupe afin que le prêtre célèbre une messe chantée pour un membre de la Ligue selon ses intentions s'il venait à la demander.

Afin de s'assurer de la persévérance des membres de ces mouvements qui s'adressaient indistinctement à la masse, et afin d'éviter, dès le début, les défections que la masse anonyme pouvait présenter, les missionnaires donnaient aux catéchistes le soin de choisir, pour chaque groupe, dans leurs villages respectifs, trois chrétiens, convaincus, exemplaires et disposés à encourager les autres. Ils recevaient une carte des membres du groupe et étaient tenus à certaines exigences.

Chaque membre devait participer à la messe et à la communion mensuelle en groupe comme une manifestation publique et sociale en vue de la réparation des dommages causés au Sacré-Cœur de Jésus par les péchés des chrétiens. Chaque jour, il devait réciter cette prière de la ligue dont nous donnons la traduction littérale du texte qui se trouve au dos de la carte des membres ii  : « Cœur adorable de Jésus, je t'offre par l'intercession du Cœur très pur de la Vierge Marie, mes prières, mes travaux et toutes les peines de ce jour. Je t'offre tout cela parce que tu te sacrifies pour nous sur l'autel et surtout pour les intentions mensuelles de notre groupe ». Enfin, il s’adonnait à la prière du soir en famille, et assistait à la messe en semaine.

Afin d'assurer la pérennité du mouvement, le vicariat de Beni institua des zélateurs dans chaque poste de mission. Ceux-ci étaient choisis parmi les personnes les plus influentes qui avaient une conduite exemplaire, une connaissance religieuse plus approfondie, et qui pouvaient entraîner les autres chrétiens. Leurs réunions débutaient par un Pater noster suivi d'un Ave Maria et d'une invocation du Sacré-Cœur.

Ensuite, les membres méditaient une page de l'Évangile puis recevaient un développement d'un point de la vie intérieure qui débouchait sur l'apostolat. Enfin, venait le mot d'ordre qui guidait l'activité apostolique du mois. Ce dernier précédait la prière conclusive dirigée par le prêtre. Alors le secrétaire soumettait son rapport à l’approbation du groupe qui le diffusait à tous les membres de la ligue lors de réunions dans les villages 1242 .

Hormis les instructions religieuses en groupes séparés selon l'âge et le sexe, et la mentalité ambiante dans le milieu social des membres, ces mouvements, après avoir approfondi la foi des membres, ouvraient à l'apostolat dans le milieu. Ainsi, les membres de ces confraternités devinrent des propagandistes de leurs mouvements d'appartenance, des prédicateurs par l'exemple, la prière et les exercices de piété, par leur approche des chrétiens afin de raviver leur ferveur, et par leurs contacts des païens afin de les amener à l’adhésion du christianisme.

D’une manière générale, ces mouvements semblent avoir eu un succès notable dans les années 1950 en sorte que le nombre accrut rapidement 1243 . Il y eu aussi une ferveur chrétienne dans la fréquentation des sacrements, et la récitation quotidienne du chapelet dans les familles lors de l'année mariale en 1952.

Par ailleurs, les indifférents retournèrent à la pratique chrétienne, plusieurs familles régularisèrent leur situation matrimoniale, les plus démunis et les malades jouirent des gestes de charité auprès des chrétiens et du prêtre près duquel ils étaient conduits pour recevoir les sacrements qu’ils désiraient. Enfin, les prêtres étaient renseignés sur les dangers qu’encourait la vie chrétienne et pouvaient y remédier par des exhortations dans les causeries ou les sermons qu'ils adressaient aux chrétiens 1244 .

Notes
1236.

Dominique. VERMEY, » Jeune chrétienté à maintenir et à organiser », dans L’Afrique ardente (1954) n°82, p. 36-38.

1237.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1935-1936, p. 5.

1238.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1939-1940, p. 5.

1239.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1938-1939, p. 5-7.

1240.

Ibidem, p. 7 ; Henri Piérard, Rapport annuel, 1941-1942, p. 3-4.

1241.

« Essai d'action catholique à Kyondo », dans L’Afrique ardente (1950) n°62, p. 2-4.

ii.
1242.

Dominique VERMEY, op. cit., p. 38-40 ; Directoire, op. cit., p.72-75.

1243.

En guise d'illustration, dans les années 1952 à 1954, le nombre des adhérants passa de globalement de 20 000 à 34 000 dans tout le vicariat de Beni

1244.

Henri Piérard, Rapport annuel (1951-1952), p. 4 ; (1953-1954), p. 5 ; Romanus DECLERCQ, « Certaine messe de dimanche en Mission de Beni », dans Le Royaume (1957) n°21, p. 1-2. Henri Piérard, « Une belle étape missionnaire », dans L’Afrique ardente (1954) n°82, p. 13-14.