4.4.1. La question de l’enseignement scolaire (1929-1959)

La fondation des écoles dans la mission, puis le vicariat de Beni a rencontré plusieurs difficultés 1279 . Les missionnaires, certes, voyaient la nécessité d'étendre l'enseignement à tous les indigènes. Mais, quel enseignement approprié à leur état social, à leur mentalité, à leurs besoins, au rôle social qu'ils devront remplir dans l'économie générale et l'évolution de la contrée fallait-il leur dispenser ?

En l’absence d’une ligne de conduite à suivre, les missionnaires se référèrent à l'enseignement dans leurs métropoles d’origine, la Belgique ou la Hollande. L'inconvénient de ce choix est d'avoir dispensé en enseignement qui déracinait les indigènes de leur milieu culturel. Au problème de l'enseignement à donner s'ajoutait celui de la langue à utiliser. Devant une diversité d'ethnies et de dialectes, il était parfois difficile d'opter pour une langue à privilégier. Ensuite, ces langues vernaculaires ne pouvaient pas traduire tous les mots techniques des langues de la métropole au niveau de l'instruction publique et religieuse.

Par ailleurs, la diversité culturelle et linguistique 1280 des premiers missionnaires constitués de Flamands, de Wallons et de Néerlandais ne facilitait pas la fixation du choix de la langue à enseigner dans les écoles. C’est pourquoi, les missionnaires optèrent pour la langue française qui unifiait déjà les différentes ethnies de la colonie belge (1885-1960).

Le Congo Belge lui-même avait quatre langues nationales, le Kikongo, le Tshiluba, le Lingala, et le Swahili. A l'intérieur de ces zones linguistiques, il existait certaines nuances dans l'usage de la langue, selon les ethnies. Il devenait difficile aux expatriés de maîtriser tous ces dialectes. C'est pourquoi, dans le vicariat de Beni, au premier degré de l'enseignement du primaire, les missionnaires utilisèrent le Swahili qu'ils complétèrent par le Français dans le degré moyen et le cycle terminal.

Ce choix présenta plusieurs avantages. D'abord, les deux langues établirent un lien entre les colonisateurs et les autochtones. Ensuite, elles devinrent un moyen de communication dans les domaines politique, social, économique, et administratif. Ces aspects sont à l’origine de l’usage de la langue et des programmes de la Belgique. L'usage de ces deux langues dans le vicariat de Beni remplit non seulement un rôle unificateur de diverses ethnies mais aussi aida les enseignants à traduire les différents ouvrages scolaires dans les idiomes proches de la réalité exprimée par les langues européennes 1281 .

Hormis ces problèmes, le vicariat de Beni connut, au début de l'enseignement scolaire (1906-1936), une lente progression à cause du manque du personnel enseignant. L’enseignement scolaire était dispensé dans des chapelles-écoles ou des fermes-écoles selon l’aspect que le missionnaire voulait privilégier pour le bien des autochtones. Néanmoins, le souci de l’évangélisation s’accompagnait conjointement de celui de la promotion de l’homme. Cette lente évolution était due aussi à certains facteurs locaux. D'abord l'importance de l'école n'était pas connue. C'est pourquoi, après les premiers charmes de la nouveauté, les classes se vidaient progressivement surtout que les parents ne pouvaient pas sanctionner de telles irrégularités.

Pour remplir les classes, il fallut d'abord inscrire les enfants des chefs et des notables car cette jeunesse lettrée était appelée à collaborer avec l'administration coloniale. Ce but fut atteint lors de l’organisation de l’école secondaire qui fournissait, selon John Baur, « un enseignement voulu pour la formation des commis 1282  » Obligés d'envoyer leurs enfants à l'école, les chefs et notables, à leur tour, exercèrent une pression sur la population locale afin qu'elle fasse de même. Ainsi, les adolescents entrèrent parfois manu militari dans des classes gardées par des policiers 1283 .

Par ailleurs, les classes étaient souvent éloignées des villages. Selon le Père Lieven Bergmans, la liberté en pleine brousse semblait préférable aux heures monotones des classes avec une sévère discipline dans les internats 1284 , loin des parents. Enfin, les parents désiraient la compagnie de leurs enfants qu'ils pouvaient contrôler et éduquer selon la tradition ancestrale. Ils pouvaient aussi leur demander divers services dans leurs différents travaux agricoles, la garde des moutons et des chèvres, ou même les constructions des cases 1285 .

D’une manière générale, les écoles ont longtemps souffert d'un manque du personnel qualifié. Il en résulta alors le cumul des fonctions en sorte qu'un directeur d'école pouvait être aussi professeur. Cette situation fut à l’origine de la création, dans les années 1950, des Écoles d'Apprentissages Pédagogiques qui fourniraient des enseignants qui seraient en même temps des catéchistes dans les écoles. Néanmoins, le problème d’enseignants qualifiés subsista longtemps dans les écoles secondaires qui, jusque dans les années 1980, comptaient sur les professeurs expatriés, essentiellement missionnaires assomptionnistes ou coopérants engagés par cet Institut religieux.

Notes
1279.

Lieven BERGMANS, Cinquante ans de présence assomptionniste au Nord-Kivu, op.cit., p. 125-129.

1280.

Ibidem., p. 126.

1281.

« Les écoles en Afrique », op. cit. , p. 2-9.

1282.

John BAUR, 2000 ans de christianisme en Afrique, op. cit., p. 450.

1283.

Témoignage des parents (± 60 ans) auprès de leurs fils pour les exhorter à prendre au sérieux leurs études dont ils n’ont pas pu bénéficier parce qu’ils s’opposaient aux Européens, et parce qu’ils n’en percevaient pas encore, à cette période, l’utilité dans les années 1930 et 1940. Causeries informelles de Mgr Emmanuel Kataliko, lors des tournées de confirmation, dans la paroisse du Buisegha. Juillet 1989.

1284.

Lieven BERGMANS, op.cit., p. 126.

1285.

Complaintes de Sitone Kasiki (+ 1973) dans son village à Kasitu de Kimbulu (+1979) durant les vacances scolaires de l’auteur de ce texte.