4.4.2. Le problème scolaire après l’indépendance du pays (1960-1996)

Le manque du personnel qualifié s’accentua lors de l’accession du pays à l’indépendance (1960) et lors de la rébellion muleliste (1964) qui occasionnèrent le retour des expatriés dans leurs pays d’origine. Cette diminution s'accélère aussi par le fait que la plupart des diplômés qui pouvaient tenir un rôle actif dans l'enseignement secondaire cherchèrent des postes plus lucratifs dans la politique et l'administration 1286 .

Les Sœurs Oblates de l'Assomption se trouvaient dans une situation similaire. En 1960, elles voulurent faire venir un marocain pour la direction de leur école car elles n'avaient aucune religieuse autochtone formée pour la tâche 1287 . En face de ce problème, Mgr Henri Piérard se découragea à tel point qu’il écrit à son Supérieur provincial dans sa correspondance du 21 juin 1961 :

‘« Il est certain que nous sommes aux bords de l'abîme si nous n'obtenons personne pour boucher les vides causés par douze départs définitifs des prêtres de chez nous (..). Faudra-t-il en septembre fermer le collège, l'école normale, les écoles moyennes, l'E.T.S.A.V. et tirer vaguement son plan, afin que le petit séminaire marche à peu près ? Faudra-t-il fermer des postes de mission et laisser la chrétienté en panne 1288  » ?’

Ce manque d’enseignants s'accompagnait des problèmes financiers. Les étudiants capables de terminer une école normale complète ne pouvaient pas êtres envoyés dans des écoles supérieures en dehors du vicariat ou du diocèse.. Un tel projet restait irréalisable car ni le vicariat ni le Gouvernement ne pouvaient le financer. En effet, dans les années 1950, lors de l’évolution rapide du pays vers l’indépendance (1960), l’Administration coloniale ne pouvait pas répondre, à la fois, à tous les problèmes sociaux 1289 .

Par ailleurs, les subsides de la Colonie ne semblent pas avoir été généralisés à toutes les écoles comme le relate le Père Marc Champion, Directeur de l'École Normale de Mulo, dans cette interview :

‘« Depuis combien de temps n'étiez-vous plus revenu en Belgique ? Depuis sept ans déjà! (...) Ce terme donnait droit à un séjour plus prolongé parmi vous et tous les miens, mais cette charge que j'occupe ne le permet guère, d'autant plus, qu'il est toujours difficile de se faire remplacé quand on est en même temps professeur. Votre voyage est sans doute payé par l'Etat ? Détrompez-vous ! Les religieux qui se dévouent sans compter à l'enseignement dans ce genre d'école, ne bénéficient aucunement de cet avantage 1290  ».’

Certes, la Colonie pouvait subsidier les écoles primaires 1291 et l'E.T.S.A.V 1292 . Mais, ces subsides étaient souvent insuffisants, en sorte que pour le cas de l'E.T.S.A.V., l'Assomption y investir. Après l'indépendance, les dons de l’Etat étaient parfois détournés ou arrivaient avec un retard notoire 1293 . Par ailleurs, selon Mgr Henri Piérard, l’Administration coloniale ne prenait pas en charge toutes les écoles qu'elle subsidiait, il fallait chercher des fonds de suppléance :

‘« La Colonie subsidie nos moniteurs, en tout ou en partie, suivant les catégories. Elle reconnaît donc les diplômes, certificats délivrés par les directions scolaires du vicariat, quitte à contrôler, même fréquemment, toutes les activités scolaires subsidiées par elle. Les moniteurs munis d'un simple certificat d'aptitude ne sont subsidiés qu'à 70%. Le vicariat supplée ; ce qui représente annuellement une dépense non négligeable 1294  ».’

En définitive, ce double problème du corps enseignant et des moyens pécuniaires ne favorisa pas le développement de la formation scolaire. D'aucuns pouvaient penser que les missionnaires étaient animés d'un esprit raciste et colonialiste qui les inciterait à ne pas promouvoir le développement des écoles secondaires. Selon le Père Marc Champion, Directeur de l'École Normale de Mulo, en 1960, il n'en était pas ainsi quand il expliquait :

‘« Cette période est sans doute plus ingrate mais elle n'en réserve que plus de joie dans la suite, et nos jeunes gens se rendent compte de notre désintéressement comme du désir qui nous anime de les préparer dignement au rôle social qu'ils sont appelés à jouer un jour en leur pays. Ils sentent nettement chez nous le souci de nous effacer quand pour eux sonnera l'heure de prendre tout en main 1295  ».’

En dépit des ces difficultés, plusieurs années après l’indépendance (1960), l'élite intellectuelle reste reconnaissante à l'égard des missionnaires et de la formation humaine, spirituelle et intellectuelle reçue même avant les années de l'indépendance 1296 . Certes, toute la population n’a pas pu être atteinte à cause de la croissance démographique dans le diocèse de Butembo-Beni. Néanmoins, la répercussion de cette situation sur la population fut en quelque sorte positive car elle l’incita à prendre en charge l’avenir de sa jeunesse.

Cette prise de conscience de la population lui permit de collaborer, à partir des années 1970, avec les agents de la christianisation afin de créer de nouvelles écoles primaires et secondaires sous le vocable « d’écoles des parents » qui furent reconnues par la suite par la Coordination des écoles conventionnées catholiques comme des écoles et instituts privés d’abord, ensuite agréés 1297 .

Toutefois, ce fait entraîne le surpeuplement des classes agréées qui sont habilitées à fournir un diplôme de fin d’études reconnu par le Gouvernement. Il pose aussi la difficulté pour les professeurs des classes terminales ou des premières années des Instituts supérieurs de pouvoir suivre individuellement les élèves ou les étudiants 1298 . Par ailleurs, cette situation dans les écoles de brousse pousse parfois au laisser-aller des étudiants et des professeurs qui reçoivent et ne connaissent qu’un salaire médiocre et irrégulier.

Cette situation est due à un double facteur : l’inexistence des subventions gouvernementales et la misère des parents. Cette question devient difficile à résoudre quand, devant le nombre croissant des demandes, les écoles reconnues par la Coordination diocésaine deviennent plus strictes dans le recrutement.

C’est pourquoi, les élèves qui montraient des dispositions étaient orientés dans les écoles officielles d’État et protestantes qui, souvent, connaissent un bas niveau d'études sans instruction religieuse. Par conséquent, ceux qui ne trouvent plus de place, en ces écoles, se retrouvent dans la rue et leur situation ne cesse d’interpeller les agents de l’Administration ainsi que les agents pastoraux 1299 .

La question religieuse dans les écoles se posa aussi à partir de 1972 lors de la laïcisation quand le gouvernement interdit le cours de religion au profit du civisme et du mobutisme. Bien que les écoles furent remises aux différentes Coordinations des confessions religieuses, il est devenu difficile de trouver un instituteur ou un professeur laïc qui s'adonnerait sérieusement au cours de religion et à la catéchèse des élèves. L’école a presque échappé aux pasteurs.

Pour préparer les élèves à la réception des sacrements de l'initiation chrétienne, un catéchiste est désigné par la paroisse pour un catéchisme parascolaire, en dehors des heures de classe, aux heures de la fatigue et de la faim, souvent dans les églises ou les chapelles.

La vision du pape Jean Paul II sur les écoles, applicable aux protestants comme aux catholiques résume leur rôle quand il affirme que : « Les écoles catholiques sont à la fois lieux d'évangélisation, d'éducation intégrale, d'inculturation, et d'apprentissage du dialogue de vie entre jeunes de religions et de milieux sociaux différents 1300  ».

En effet, « lieu d'évangélisation », l'école se veut le milieu naturel où s'apprend un enseignement religieux qui aiderait les élèves, les étudiants et les professeurs à mieux connaître et comprendre leur foi afin de mieux en vivre. Pour ce faire, selon les degrés, les sessions et les récollections, les conférences à caractère religieux, sont un enrichissement spirituel pour toute l'institution. Prise comme un « lieu d'éducation intégrale », l'école apparaît un milieu favorable non seulement à l'éducation chrétienne, mais aussi à la formation humaine afin d'intégrer et d'harmoniser la vie intellectuelle, spirituelle et socioculturelle du peuple.

Dans la même orientation, l’école doit pourvoir à une formation qui rendrait les jeunes capables de travailler et de résoudre par eux-mêmes les problèmes de la vie. Elle leur permet aussi de s'intéresser aux croyants d'autres confessions religieuses afin que tous travaillent pour le bien commun. Cette compréhension de l’école favorise une certaine collaboration entre l’élite intellectuelle et paysanne et dissiperait le complexe de supériorité ou d'infériorité qui existe entre les enseignants et la communauté villageoise.

Certes, l'hétérogénéité peut être une richesse pour une communauté. Elle peut nuire aussi au dialogue sincère qui peut exister entre l'élite intellectuelle et la masse paysanne. Par ailleurs, l'intégration de l'école dans la communauté chrétienne selon les confessions religieuses peut avoir pour autre avantage d'inculturer la formation reçue en regroupant les élèves,les enseignants, et les parents autour de leurs problèmes éducatifs et religieux comme aussi des problèmes socio-culturels.

Considérée comme un « lieu d'apostolat », l'école vise à consolider ses membres dans l'unité et le témoignage commun dans le milieu de travail ainsi que dans les quartiers, les villages et dans la paroisse. Enfin, conscients d'être mandatés par l'Eglise, les éducateurs seraient fortement attachés aussi bien à leurs paroisses qu'à leurs écoles, et seraient encouragés dans leur tâche d'éducation chrétienne qui est le noeud de leur apostolat 1301 .

Une telle vision de l'école est destinée à entrer dans l'animation du service diocésain de Coordination des écoles conventionnées catholiques. En fait, comme l'affirme Mgr Emmanuel Kataliko, « depuis la signature de la convention de gestion des écoles entre l'Etat et l'Eglise en 1977, l'Eglise, comme dans le passé, garde encore son influence sur les enseignants et sur les élèves non seulement pour ce qui regarde la formation intellectuelle mais aussi la formation chrétienne 1302  ».

C’est pourquoi, la Coordination diocésaine des écoles conventionnées catholiques 1303 diffuse les directives que le Gouvernement envoie aux établissements scolaires, diffuse les programmes, supervise toutes les écoles catholiques et les écoles privées qui dépendent des écoles agréées, et veille sur la formation chrétienne aussi bien des enseignants que des élèves.

Notes
1286.

Edmond DARCHE, L'enseignement secondaire au diocèse de Beni, dans Belgique-sud-Assomption (1965) n°4, p. 64-65.

1287.

Correspondance de la Soeur Marie-Marcella Huot avec sa Supérieure générale. Beni, le 17 août 1960. (Lettre sans numéro dans les Archives assomptionnistes à Rome : dossier Congo).

1288.

APAR, 2 MI 125 : Correspondance de Mgr Henri Piérard avec son Provincial. Beni, le 21 juin 1961.

1289.

Marc CHAMPION, « Les tracas d'un directeur », dans L’Afrique ardente (1959) n°113, p. 11-15.

1290.

Ibidem, p. 11-12.

1291.

Romanus Declercq, Lettre à la famille ». Butembo, le 14 mai 1949.

1292.

APAR, 2 LN 250 : Père Marie-Jules Celis au Père Wilfrid Dufault. Bruxelles, le 23 octobre 1967 ; Willibrord MUERMANS, op. cit. , p. 2.

1293.

APAR, 2 LN 250 : Père Marie-Jules Celis avec le Père Wilfrid Dufault. Bruxelles, le 23 octobre 1967.

1294.

Henri PIÉRARD, « Activité missionnaire », dans L’Afrique ardente (1956) n°90, p. 7.

1295.

Marc CHAMPION, op. cit. , p. 13.

1296.

Dialogues informels avec les Préfets des Instituts Kambali et Moera : Ernest Kavughe et Tenge Tenge à Butembo et Mbao en septembre 1996.

1297.

Analyses de Julien Kataliko, directeur d’école primaire privée à Mavivi,,de Kabuyaya François, préfet d’un institut secondaire à Butembo, et de Préfet Urbain Sabuni à Musienene, septembre-octobre 1997.

1298.

Expérience et observations personnelles à l’Université Catholique du Graben de Butembo (1998-2001).

1299.

Plainte des parents dans les conseils paroissiaux à Mbao, lors de notre ministère sacerdotale (1986-1991)

1300.

JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique, post-synodale 'Ecclesia in Africa', 14 septembre 1995, n°102, dans Documentation Catholique (1995) n°2123, p. 842.

1301.

Ibid., p. 842-843.

1302.

Emmanuel Kataliko, Rapport quinquennal 1977-1981, p. 27.

1303.

Emmanuel Kataliko, Rapport quinquennal 1982-1986, p. 17.