4.5.2. Les écoles ménagères (1937-1970)

La voie de l'évolution et de changement des mentalités n’a pas échappé au monde féminin qui, traditionnellement, était plus critique et réticent à toute nouveauté. Les religieuses en mission voulaient toujours œuvrer pour la promotion de la femme Nande dans le Vicariat de Beni. Pour ce faire, les Oblates de l'Assomption et les Sœurs de la Compagnie de Marie ouvrirent des écoles ménagères afin d'apprendre aux filles et aux mamans l'art de tenir une maison. En 1937, les Oblates commencèrent un ouvroir à Beni qu'elles améliorèrent en 1956. Elles furent suivies, en 1949, par les Sœurs de la Compagnie de Marie qui fondèrent, elles aussi, un ouvroir à Mulo.

Les classes étaient surpeuplées à tel point que le nombre total variait entre 80 à 120 élèves. Certaines jeunes filles, à cause du nombre croissant et du manque de matériel, durent être renvoyées ou purement et simplement refusées à l’inscription 1330 . L’affluence vers ces écoles peut être comprise facilement dans le contexte où la christianisation et la scolarisation furent d’abord proposées aux garçons à cause du manque du personnel missionnaire qui s’occuperait de la femme noire. L’ouverture de ces classes par la présence des religieuses fut ainsi un stimulant pour les filles qui n’avaient pas réussi à accéder à l’enseignement primaire, soit à cause du refus des parents, soit à cause de leur incapacité à suivre les leçons 1331 .

Les jeunes filles étaient prêtes à braver les distances pour atteindre l'école, et parfois le refus de leurs parents qui ne voyaient pas l'utilité d'un tel enseignement. Au retour, dans leurs huttes, elles répétaient les leçons apprises afin de devenir des lettrées. Le programme comportait l'abécédaire, des leçons de ménages, de puériculture, de couture, de tricotage, de broderie, de fabrication des nattes et un peu de catéchisme 1332 .

En 1956, les Sœurs de la Compagnie de Marie ouvrirent à Kyondo une école ménagère post-primaire. Elles envisageaient de former des filles, maîtresses de familles chrétiennes, ainsi que des enseignantes. Cette humble initiative fit place, en 1965, à une école d'infirmières qui est devenue, en 1972, un Institut Technique Médicale (ITM) de grande renommée dans le diocèse.

Cependant, celle-ci n'était pas la première dans le diocèse car déjà, en 1958, à côté de l'hôpital de Musienene, les Sœurs Oblates de l'Assomption avaient ouvert une École d'Infirmière Aide-accoucheuse. Depuis l'année scolaire 1974-1975, suite aux nouveaux programmes, cette école devin un Institut Technique Paramédical dont les finalistes comblent les centres de santé, les hôpitaux, les dispensaires, les maternités, et les pharmacies dans le diocèse. Outre cette formation pratique et intellectuelle, les Soeurs Oblates de l'Assomption, en 1956, en vue de donner une éducation complète à la femme, fondèrent une École Ménagère Péri-primaire.

Elle était destinée aux filles indigènes qui ont terminé au moins deux années d'école primaire et qui désiraient des connaissances pratiques, conformes à la vie de mère de famille. Cette école fut financée par les Fonds du Bien-être Indigène (F.B.I.) et le Frère Cyrille Tassiaux en fut l'architecte. Elle comportait trois grandes salles dont la seconde réunit une fois par semaine les mamans avec leurs bébés pour la consultation des nourrissons. Le jour de la consultation était aussi l’occasion de donner une leçon d'hygiène et de puériculture aux mamans.

L’enseignement dans cette école s'échelonnait sur trois ans d'études. Les vingt huit heures de cours par semaine se répartissaient sur treize heures théoriques et quinze heures de pratique. Pendant l’enseignement théorique, les religieuses enseignaient le catéchisme, le swahili, le calcul, l'hygiène et la puériculture. Les heures pratiques consistaient dans l'apprentissage du tricotage, des soins ménagers, de cuisine, de couture, d'agriculture, et d'élevage.

A part les cultures locales, les religieuses ont introduit des cultures importées comme les céleris, les choux-fleurs, et les petits pois qui furent rapidement avec quelques différences toniques introduites dans les langues locales. Dans la ferme, on élevait aussi quelques têtes de poules, de canards, de chèvres, de lapins, et des cochons en vue de dispenser un cours pratique d'élevage que les élèves pourraient appliquer dans leur vie quotidienne.

Les étudiantes prirent la responsabilité de son entretien, de sa tenue, de sa propreté, et tout ce qui peut contribuer à son rendement normal. En dehors des travaux à l'extérieur de la maison, les élèves s'initiaient à la couture, au tricotage, et au perfectionnement des arts indigènes de tisser les nattes, et les corbeilles avec des feuilles sèches de raphia.

Enfin, dans l'école ménagère péri-primaire, les élèves étaient initiées au dessin d'une maison que les religieuses présentèrent comme modèle. Elle avait seulement quatre pièces : la cuisine, la salle à manger, et deux chambres à coucher par opposition aux cases traditionnelles qui avaient tout au plus deux chambres. Ce dessin avait un rôle éducatif : chercher de trouver un minimum de confort et d'espace vital à l'intérieur de la maison.

Sans vouloir arracher la femme indigène de son milieu naturel, les religieuses voulaient donner à leurs élèves le goût du beau dans la tenue d’une maison, leur enseigner la façon rationnelle de cultiver leurs jardins et leurs terres, et les méthodes de pratiquer l'élevage domestique 1333 .

De la théorie, les jeunes filles passèrent à la pratique dans leurs villages. Les ruelles d’entrée dans les cases et l'entretien des jardins avec des semences reçues des religieuses furent remarquées. Les repas épicés signalaient la présence d’une fille ou d’une maman qui a été formée au foyer social ou à l’école ménagère. Le commentaire des homme à table le soulignait bien : viryahuwa na mufoye pour apprécier le repas préparé par elles. Les confections et la broderie des nappes des tables, d'étoffes de bébés devinrent à la mode.

L’évolution culturelle de la femme Nande venait d’être déclenchée : les travaux de couture et d'élevage qui, jadis étaient réservés aux hommes, devinrent aussi l'apanage des femmes qui iront jusqu'à pratiquer non seulement la médecine, mais aussi l’enseignement, la catéchèse (1978), les sciences agronomiques et vétérinaires ainsi que la maçonnerie.

Notes
1330.

M-V. DELORY, « Cours d'adultes de Butembo », dans la Lettre à la Famille. Butembo, le 28 juillet 1960.

1331.

En guise d'illustration nous pouvons indiquer qu'en 1954, il y avait 20426 garçons scolarisés sur 2 981 filles.

1332.

Romanus DECLERCQ, « Un ouvroir pour ces dames, couleur d'ébène », dans L’Afrique ardente (1944) n°55, p. 18.

1333.

Romanus DECLERCQ, « Pour une éducation complète de la femme indigène. L'École Ménagère Péri-primaire de Beni. Ses activités », dans Le Royaume (1956) n°19, p. 12-16.