4.6.3. Collège saint Pie X (1959)

Jusqu'aux années 1960, le diocèse de Butembo-Beni n'avait aucune école secondaire avec une option scientifique. Il ne possédait que trois futures écoles normales à cycle complet et un petit séminaire. Dans les années 1947, les missionnaires réclamèrent un collège. Mais, le vicariat de Beni souffrait d'un manque de personnel qualifié et de fonds nécessaires pour un tel établissement.

Le 16 septembre 1959, la Vice-province assomptionniste du Congo se décida finalement, après l'agrégation de l'Institut par le Gouvernement général de la Colonie du Congo-Belge, d'ouvrir le collège saint Pie X de Butembo ou Institut Kambali à partir de 1972. Ce collège fut placé sous la direction du Père Willibrord Muermans, récemment arrivé d'Europe, à la grande déception de plusieurs Pères disponibles pour oeuvrer dans cette école. Assisté par le Père Maurice Lejeune, le collège débuta provisoirement dans l'ancien hôpital de la mine à Kitatumba avec la section gréco-latine.

Ce nouvel établissement commença pauvrement sans personnel ni moyens financiers. Au cours de l'année 1960-1961, le Père Willibrord Muermans reçut une nomination pour la paroisse de Kyondo et le Père Maurice Lejeune prit la direction de l'école. Ce directeur fut aidé par monsieur Hauben engagé sur place. Mais, en 1961, ce professeur se décida de rejoindre sa famille déjà réfugiée en Belgique à cause des troubles de l'indépendance.

Il ne resta que le Père Directeur et le Frère Raymond Wanim qui s'occupait de la partie matérielle de l'école dont le nombre venait de passer de 36 à 65 élèves. Entre temps, la situation financière s'aggrava à cause de la disparition du crédit de construction qui disparut lors de la tourmente des années de l'indépendance. Le collège resta sans bâtiments avec un personnel réduit de moitié.

En 1965, les manuels scolaires furent réunis mais les produits du laboratoire étaient difficiles à trouver. Les hangars des magasins cédés gratuitement par la société des Mines des Grands Lacs (M.G.L.) ne remplissaient pas les conditions des salles propres à une institution scolaire. Bien plus, il fallait toujours les entretenir et les transformer. La situation financière restait précaire car le Gouvernement congolais ne respectait pas ses engagements financiers 1351 .

Depuis 1960, le collège bénéficiait d'une aide, en nature ou en argent, provenant de la Procure des Missions de Bruxelles, de la procure diocésaine, du Gouvernement congolais, de la paroisse de Bunyuka, du Catholic Relief Service, et des dons généreux des missionnaires. Mais, ces subsides ne pouvaient combler les besoins d'une école en ses débuts surtout qu'il fallait constamment aménager des hangars et magasins non bâtis à des finalités scolaires 1352 .

Les besoins des bâtiments dignes d'un collège, l'équipement d'un laboratoire de chimie et de physique, une bibliothèque, une chapelle, le mobilier scolaire, le matériel de cuisine pour un internat, les professeurs à chercher et à rémunérer restaient les soucis permanents des responsables de l'institut. Pourtant, le collège voulait répondre à un besoin réel du diocèse et du pays qui n'avaient pas d’élite non seulement suffisante mais aussi formée.

Par ailleurs, les enfants de la contrée étaient abandonnés à eux-mêmes après l'école primaire à cause du manque d’écoles secondaires et surtout à cause de leur refus de vaquer à la vie villageoise dont l'école, dans leur pensée, venait de les émanciper. Le collège voulait donc aider les jeunes à poursuivre leur développement intellectuel et chrétien en maintenant un cycle d'orientation, en établissant des sections littéraires, de biochimie, de math-physique et, au besoin, une section commerciale 1353 .

Malgré la nécessité d’un collège, certains obstacles demeuraient chez les membres de la curie généralice de la Congrégation des Augustins de l'Assomption. D'abord, du point de vue religieux, il fallait que le collège réponde aux besoins de la Congrégation, de l'Eglise de Beni et du pays en général, à savoir la formation d'un laïcat chrétien, des vocations sacerdotales et religieuses assomptionnistes.

Le collège se prêtait donc à devenir un lieu de recrutement des vocations religieuses car les missionnaires ne pouvaient pas espérer recevoir des candidats provenant du petit séminaire de Musienene malgré la présence des Assomptionnistes au sein de cette institution destinée à former un clergé diocésain.

A cette période où le diocèse souffrait d’une pénurie de personnel, accepter un séminariste comme aspirant à la vie religieuse aurait été perçu par le clergé diocésain comme un détournement des vocations. Les Assomptionnistes eux-mêmes passeraient outre les exhortations du Saint Siège encourageant les missionnaires des congrégations religieuses à implanter d’abord l’Eglise locale pour la compléter ensuite par la vie religieuse et contemplative. C’est pourquoi les missionnaires, en parlant du collège, pensaient plutôt à un alumnat 1354 .

Au problème de la destination du collège, s'ajoutait celui de son statut dans le diocèse. A qui appartiendrait le collège si les missionnaires trouvent des fonds en provenance de la Congrégation ou des organismes qui aident matériellement les pays sous développés ? Par ailleurs, dans le cas où il y aurait une éventuelle nationalisation de l'école, faudra-t-il le céder au diocèse ou à l'Etat ?

Dans un premier temps, la Congrégation, devant ces questions capitales, se montra neutre et quelque peu désintéressée car elle ne trouvait aucune différence à céder le collège au diocèse ou à l'Etat. Dans le dessein d'éviter des ennuis, probablement d'ordre économique et relationnel avec Mgr Emmanuel Kataliko, elle s'engagea à construire le collège 1355 . Mais, soudain, l'Assomption opta pour l'autonomie vis-à-vis du diocèse quand le Père Leander de Leeuw, assistant général, affirma :

‘« Vu la mentalité des abbés par rapport aux vocations assomptionnistes, il me semble mieux que nous restions entièrement autonomes sur ce terrain et une certaine dépendance de l'Etat est peut-être à préférer à une dépendance vis-à-vis du diocèse. Cela peut éviter aussi des ennuis à Mgr Kataliko qui est pleinement favorable à l'Assomption, mais est, par le fait même, peut-être en même temps vulnérable aux yeux des abbés 1356  ».’

Cette tendance à l'autonomie du collège fut motivée par le désir de promouvoir les vocations religieuses dans le diocèse. Mais, entre temps, la Congrégation espérait que l'Etat intervienne, en partie, dans cette école en payant les professeurs et en pourvoyant au programme scolaire. Derrière ces indécisions émerge la difficulté à appliquer la Convention bilatérale signée en 1965 entre le diocèse de Beni-Butembo et l’Assomption sur les œuvres propres (l’industria propria) de chaque institution ecclésiastique.

Le Père Willibrord, Vice-provincial du Congo dénonça cette perplexité des missionnaires quand il écrit au Père Leander de Leeuw :

‘« Il n'est pas toujours facile de faire comprendre à certains religieux que le diocèse et la Vice-province sont deux institutions différentes qui doivent travailler en étroite collaboration, mais qui ne peuvent pas se confondre. La théorie n'est pas difficile, mais la pratique (...) pose des problèmes qu'il faut résoudre petit à petit 1357  ».’

Néanmoins, en 1966, la Vice-province n'avait pas encore reçue une personnalité juridique distincte du diocèse devant le gouvernement. C’est pourqui, l’accord de l’évêque avec son clergé s’avérait indispensable dans cette entreprise. Outre cette question juridique, des interrogations surgissaient au sein de la curie généralice des Assomptionnistes sur les études, la structure de l'enseignement au Congo, la direction d'un collège devant la loi, et sur des sentiments nationalistes. Fallait-il désigner à la direction de ce collège un autochtone, le Père Jérôme Masumbuko, un Français ou un Hollandais 1358  ?

Devant ces tergiversations, la Vice-province du Congo étudia dans son conseil du 5 décembre 1966, les modalités pour commencer les constructions du collège. Parmi les conditions favorables recueillies des missionnaires, le conseil de la Vice-province souligna d'abord la nécessité du collège en face de l'athénée de Butembo qui était l’unique école secondaire à pourvoir à la formation générale des élèves de la cité. Il fallait donc poursuivre ses études à Goma ou à Bunia soit respectivement à 325 km, et 250 km de Butembo 1359 . Ce qui était trop onéreux pour des familles pauvres.

Par ailleurs, du point de vue financier, le diocèse avait temporairement confié la paroisse de Bunyuka aux Assomptionnistes lors de la signature de la Convention bilatérale entre le diocèse et l’Assomption. La Vice-province se saisit de cette opportunité pour se mettre à l'oeuvre car cette paroisse pouvait grandement aider pour les constructions avec sa briqueterie, sa menuiserie, et sa tuilerie 1360 .

Bien plus, les bâtiments cédés par la société des Mines des Grands Lacs.(MGL) ne répondaient pas aux conditions viables d'une école selon les exigences du gouvernement. Même les dortoirs et la chapelle se trouvaient à deux kilomètres de l'école. En outre, du point de vue financier, l’avenir semblait prometteur à cause de la promesse de subsides de la part des gouvernements congolais, et hollandais, du Commissariat général des Missions et de l’Entraide et Fraternité Belgique, et à cause des modifications du plan initial du collège en supprimant l’étage.

Enfin, la Vice-province, en 1965, venait de s'engager à acheter un vieil hôtel, propriété d’un Belge, Charles de Leuze, Guest-house (guestouse dans la langue vernaculaire), pour la future fondation du collège 1361 . Ces raisons incitèrent le Père Wilfrid Joseph Dufault à autoriser la Vice-province du Congo à acquérir une propriété, dite Guest-house lui accorda la possibilité de prendre de la caisse commune de la Vice-province l’argent nécessaire pour l’achat du terrain 1362 .

En 1967, aussitôt après l'établissement du collège Pie X, devenu Institut Kambali, la question du nationalisme se posa avec acuité. La Vice-province dut nommer un autochtone, le Père Jérôme, à la direction de cette école , qui en 1972, souffrira aussi de la zaïrianisation. En trois ans, le collège connut successivement quatre Préfets laïcs. Ce n'est qu'en 1977 que le Gouvernement zaïrois remit toutes les écoles catholiques entre les mains de l'épiscopat. Le Père Charles Mbogha, deuxième religieux autochtone, en prit la direction, suivi du Père Makuta Théophile en 1983, et de Ernest Kavughe à partir de 1986.

Les professeurs de ce collège travaillent en étroite collaboration avec les Pères assomptionnistes et s’évertuent à poursuivre les objectifs de cette institution que Mgr Emmanuel Kataliko rappela dans son homélie du 17 septembre 1985, lors du jubilé d'argent de l'école. Il évoqua le but de l'éducation chrétienne en termes de formation humaine intégrale, permettant l'insertion du savoir dans une conception pleinement humaine de l'existence. Il encouragea les enseignants et leur rappela leur rôle de dispensateurs de la science et de formateurs de consciences 1363 .

L'Institut Kambali connaît une célébrité sans égal dans le diocèse de Butembo-Beni par sa discipline et la qualité de l'enseignement. A cette formation humaine s'ajoute une formation religieuse remarquable. Par ailleurs, l'Institut Kambali est devenu une pépinière des vocations religieuses tant féminines que masculines.

En 1986, ce collège connut une extension à cause de la surpopulation de l'école. Entre temps, l’Assomption voulut répondre à une nécessité du moment : rendre l’école proche du milieu des élèves. Les Assomptionnistes venaient d'acquérir à Mahamba, en 1985, un terrain qui était fort convoité par les chefs locaux. Devant ce danger réel de perdre cette concession, la province assomptionniste du Congo décida d’y procéder à l’extension du collège.

Mais, une année plus tard, Monsieur Alex, agent du SECOPER au service de l'enseignement national vint visiter toutes les écoles de la région. Il s'opposa au désir de créer une extension mais exigea dans l'immédiat son autonomie, sous peine d’être supprimée. Cette décision, qui fut perçue comme un excès de rigueur, se trouve aux origines de l’Institut Technique Industrielle et Mécanique de Mahamba (ITIMA).

Après cette mesure, la province assomptionniste du Congo, responsable du collège, ne trouva plus la nécessité de dédoubler les sections de mathématique et physique, de biochimie et de littérature dans cette nouvelle école située dans une même ville. Comme elle possédait des machines en Europe, le Supérieur provincial, le Père Théodard Steegen, proposa que, dans un premier temps l'Institut ait une orientation auto-mécanique durant quatre ans. Mais la Province, insatisfaite de ce premier élan s’engagea plutôt à ouvrir un cycle complet de mécanique générale qui dure six ans..

Au terme de son mandat, en 1992, le Père Giulianno Riccadona, devint le Supérieur provincial assomptionniste du Congo. Il demanda la section d'électricité générale qui complète la mécanique. Au bout de tractations avec la Coordination des Ecoles Conventionnées Catholiques et la Sous-Division des Ecoles de l’Etat, l’Assomption ouvrit cet Institut Technique Industrielle et Mécanique de Mahamba.

Cette école répond aux besoins pratiques des citadins 1364 . Elle a été reçue par la population locale comme une évolution dans l’enseignement qui ne privilégie plus l’unique aspect théorique dans la pédagogie, les humanités littéraires et scientifiques. Les élèves cette école, dans une contrée en pleine mutation industrielle, sont d’un grand secours à la population locale. Ils sont les dépanneurs des motos et des véhicules, et des installateurs d’électricité dans les maisons de la ville de Butembo. Ces services rendus, bien que faiblement rémunérés, les aident à contribuer à leur scolarisation.

Notes
1351.

Maurice Lejeune,Rapport sur la situation du collège Pie X Butembo. Butembo, le 8 mars 1965, p. 1-3.

1352.

Notes personnelles du Père Matthieu Sitone, 1998.

1353.

Maurice Lejeune,Rapport sur la situation du collège Pie X Butembo. Butembo, le 8 mars 1965, p. 1-3.

1354.

 Cfr. APAR, 2 LN 210-218 : dossier collège de Butembo.

1355.

APAR, 2 LN 250 : LEANDER de LEEUW, Documents par rapport au collège de Butembo. Rome 1966, p. 1-3.

1356.

Ibid., p. 2.

1357.

Père Willibrord Muermans au Père Leander De Leeuw. Butembo, le 11 décembre 1966.

1358.

Leander de Leeuw, Documents par rapport au collège de Butembo, op. cit., p. 1-3.

1359.

Père Willibrord Muermans au Père Leander de Leeuw. Cette lettre de deux pages, Réf. 9/66, ayant pour objet, construction du collège Pie X, n'est pas datée.

1360.

Rapport du Père Willibrord Muermans adressé au Père Leander De Leeuw. Butembo le 10 décembre 1960.

1361.

Extraits du pocès-verbal du conseil du 24 avril 1965.

1362.

Père Wilfrid Dufault au Père Willibrord Muermans. Butembo, achat propriété. Rome, le 13 novembre 1965.

1363.

Edmond BAMTUPE,« Le collège de Butembo a 25 ans », dans L’Assomption et ses oeuvres (1985) n°621, p. 21.

1364.

Témoignages des personnes qui reçoivent le service de ces jeunes qui se distinguent par le port des pinces et des tournes--vis.