4.8.2. Les orphelinats (1935)

Peu de temps après leur arrivée en 1935, les Oblates de l'Assomption ouvrirent un orphelinat à Beni. L'orphelinat est une des oeuvres par lesquelles les religieuses ont contribué à transformer la mentalité de la population locale. La coutume ancestrale interdisait à une femme d'allaiter de son sein un enfant qui ne lui appartenait pas. Elle pouvait être soupçonnée de sorcière de la défunte. Quand la famille du mari défunt acceptait qu’une autre femme allaite un orphelin, elle le réclamait quand il atteignait quatre ou cinq ans. Le dédommagement de la femme adoptive ne compensait pas souvent les douleurs psychologiques de séparation 1398 .

Ainsi, les religieuses, (Mama ou Mères), furent appelées à sauver d'une mort certaine des bébés privés de leurs mamans défuntes. Elles incitèrent la femme indigène à adopter des enfants qui n'étaient pas les leurs. Quand ces enfants pouvaient vivre d'eux-mêmes, elles les rendaient à leurs familles respectives.

En 1937, la même œuvre de l'orphelinat continua à Manguredjipa. L'établissement des Sœurs Oblates de l'Assomption fut surtout commandée par la Compagnie de la M.G.L. qui se montrait soucieuse de soutenir une institution destinée à améliorer l'ordre social parmi ses travailleurs. Bien avant, en 1936, le Père Henri Piérard entama des pourparlers avec M Gissard, Directeur de la M.G.L., sur un projet d'établissement des religieuses et d'un petit poste de Mission au centre minier de Matokolea. À l’occasion de ces échanges 1399 , le Supérieur ecclésiastique de Beni eut mission de fixer les conditions et l'organisation de ce nouvel établissement, et d'en assurer le fonctionnement général.

Le travail prévu pour les religieuses à Matokolea comportait le service général d'un hôpital et de divers dispensaires annexés aux camps des travailleurs. Elles devraient s'occuper aussi des écoles. Pour ces services, les mines s’engageaient à donner une rétribution en proportion avec travail rendu. L'établissement des religieuses devait être aussi accompagné d'une aumônerie qui pouvait s'installer auprès d'elles, d'un centre de mission soit pour les ouvriers de la mine soit pour la population de la région.

En échange de ces services des religieuses et des Pères, la M.G.L. s'engagea à fournir les locaux nécessaires pour les missionnaires, y ajouter le mobilier indispensable, et payer les frais de voyage de quatre religieuses hollandaises et les dépenses du premier aménagement ainsi que l'entretien 1400 . Ces conditions une fois réunies, la Très Révérende Mère Augustine, supérieure générale des Oblates de l'Assomption, envoya quatre religieuses hollandaises, Sœurs Marie-Joseph Bruyn, Marie-Françoise de Groot, Marie-Chrysostome Krukkert, et Marie Thérèse Bartels au poste de Manguredjipa où elles arrivèrent le 1er février 1937. Deux semaines après, elles rendirent leur apostolat de charité à l'hôpital de la M.G.L., dirigé par le médecin Occhino. A peine au travail, ce docteur proposa aux religieuses d'adopter une orpheline de dix mois.

Aussitôt, s'ouvrit un orphelinat 1401 qui fut, en 1949, transféré à Bunyuka dans un climat plus clément que celui de Manguredjipa infecté de malaria provoquant une forte mortalité dans la région. Aussi, Bunyuka présentait comme autre avantage, la présence des aspirantes à la vie religieuse qui pouvaient, en aidant les Sœurs dans l'orphelinat se préparer à leur tâche future. La société des Mines des Grands Lacs (M.G.L.) accordait un subside annuel aux enfants de ses ouvriers qui étaient transférés à Bunyuka. Elle aida d'une manière substantielle aux constructions du nouvel orphelinat.

Par ailleurs, les deux orphelinats du diocèse à Beni et à Bunyuka recevaient des subsides en provenance de l'Œuvre de la Sainte Enfance 1402 , de l'Aide aux Maternités et Dispensaire au Congo, du Gouvernement congolais qui pouvait fournir du lait pour les nourrissons, des Fonds de la Reine Elisabeth pour la construction de l'orphelinat de Bunyuka 1403 , des bienfaiteurs, de l'intervention de la chefferie 1404 , et de quelques parents qui contribuaient à l’entretien de leurs enfants.

Ces dons semblent avoir été insuffisants pour remplir les besoins des orphelinats. C'est pourquoi, les Sœurs Oblates et le Vicariat s'ingéniaient à suppléer aux dépenses que ces organisations ne savaient pas combler 1405 . Aussi, recourait-on à la bienveillance des amis des orphelins, des veuves et de bienfaiteurs d'Europe 1406 .

En dehors de ces orphelinats, les missionnaires s'occupaient d’autres enfants orphelins. Dans les paroisses de Mbingi et de Kyondo, parmi tant d'autres, on comptait respectivement 50 et 96 enfants adoptés. Les missionnaires incitaient surtout les familles chrétiennes à braver la coutume qui condamnait les enfants à la mort suite au manque des soins nécessaires. Peu à peu, les anciennes craintes s'évanouirent et la population commença à adopter les orphelins.

Des ménages stériles sollicitaient ces enfants car les maris se réalisaient qu'il était difficile pour une femme de vivre sans enfants ou sans leur compagnie. De courageuses chrétiennes, comme Rosa à Mbingi, pouvaient garder huit orphelins grâce à l'aide de la Mission. Pour celles qui étaient pauvres une telle générosité était une dépense assez onéreuse 1407 . Mais la plus grande des douleurs de ces mères adoptives et des religieuses était de voir partir leurs enfants, pour qui elles s’étaient tant dépensées, parce que réclamés par leur famille après avoir recouvert la force et la santé. Depuis les années 1950, plusieurs parmi les orphelins, qui préféraient rester avec les religieuses, ont prit la voie de vie consacrée ou sacerdotale. Les religieuses sont devenues leurs « secondes mères ».

Le Père Lieven Bergmans explique cette situation des orphelins par leur déracinement des orphelins 1408 . Pour lui, l’éducation antérieure des enfants dans des « meilleures conditions hygiéniques » ne favorisait guère leur adaptation à la vie dans les villages. Cette explication semble partielle pour les Sœurs de la Présentation de Bunyuka 1409 . La nouvelle relation familiale d’adoption, « religieuse-enfant », réside dans le fait qu’un « enfant reconnaît les premières mains qui l’ont entretenu ». (photo, p. 38)

Ce langage imagé qui traduit les sentiments du cœur signifie, pour les religieuses, que « l’enfant reconnaît la première affection reçue ». Cela pousse les enfants à ne pas comprendre qu’ils sont orphelins ou qu’ils peuvent être séparés de leurs « mama » pour aller vivre dans un milieu qui leur est presque inconnu : le village. Cette situation est aussi vérifiable pour les enfants orphelins gardés dans les villages.

Les orphelinats ont été enfin pour les religieuses et pour les aspirantes à la vie religieuse un lieu d’apostolat et une occasion pour se préparer à la vie religieuse. Ce genre d’apostolat demandait l’abnégation. Les aspirantes qui se sont dévouées dans les orphelinats, selon la remarque du Père Lieven Bergmans, n’ont eu guère l’occasion de fréquenter l’école secondaire 1410 .

Cette situation contextuelle a évolué après les années de l’indépendance. D’abord, les premières aspirantes avaient déjà dépassé l’âge de scolarisation ; elles apprenaient l’abécédaire au couvent. Ensuite, la première école secondaire pour les filles ne date que de 1949 avec l’arrivée des Sœurs de la Compagnie de Marie. À cette date, la congrégation des Petites Sœurs de la Présentation ne venait que d’être fondée (1948).

Quoi qu’il en soit, les religieuses dans les orphelinats ont établi un nouveau style d’adoption qui a noué de relations profondes entre les couvents et les familles des orphelins. Les relations traditionnelles basées sur l’adoption des enfants à bas âge ou orphelins, qui devenaient membres à part entière de la famille adoptive, se sont élargies aux couvents des religieuses, à l’unique différence que l’enfant, orphelin de mère, porte le nom de sa famille.

Notes
1398.

Témoignage de Kavira Siviholya et de Victorine Kavugho, infirmières au Centre de santé Umoja. Butembo, août 1997. Vécu de l’auteur sur les questions de justice au sujet du partage de la dot des filles adoptées lors de son ministère paroissial à Mbao (1986-1991).

1399.

APAR, 2 LK, 44 : Projet d'établissement à Matokolea. Beni, le 1° janvier 1936.

1400.

Lieven BERGMANS, Les Oblates de l’Assomption au Zaïre (1935-1980). Bruxelles, 3 janvier 1980, p. 10-13.

1401.

Romanus DECLERCQ, Orphelins, orphelines de chez nos Soeurs Oblates à Manguredjipa, dans Annales (1939) n° 15, p. 6-11.

1402.

Pour plus de renseignements, on pourra se référer aux documents annuels du Pontificium Opus a sancta infantia, notamment au Prot. n.484, et aux Prospectus Status Missionis circa opera pro Sancta Infantia, de 1952-1968 que nous avons retrouvés dans les archives diocésaines. Ces données ne sont pas encore classées.

1403.

Cette aide de 1 350 000 Fr provenant de la Reine, en 1960, prévoyait un dortoir pour 130 enfants, avec un petit lit de fer, une lingerie et deux chambres pour les surveillantes et une assistance à 300 enfants.

1404.

Selon les données provenant du Rapport diocésain de 1961-1963, l'aide des parents d’enfants était difficile à comptabiliser parce que probablement elle venait au compte-gouttes ou en nature. Cependant, ce même rapport indique la contribution des bienfaiteurs et de la chefferie qui, respectivement, équivalaient à 500 000 FB et 100 000 FB.

1405.

Romanus DECLERCQ, « Orphelinats », dans L’Afrique ardente (1954) n°82, p. 57.

1406.

Les noms de ces bienfaiteurs nous connus grâce à la correspondance des religieuses à leur Supérieur générale quand elles présentaient leur sentiments de gratitude à leur égard. Certaines lettres sont anonymes, comme celle qui signe Veuve X, d'autres marquent leurs noms. Il s'agit notamment de deux enfants du mouvement d'action catholique, la croisade eucharistique, Monique Perdereau et Paulette Canquetoux, et de deux religieuses pensionnées, les Sœurs Geneviève Debeaupuis et Monique Bonnet. Cfr. « Dans le courrier de la Très Révérende Mère Générale », dans les Annales (1938) n°10, p. 25-26.

1407.

Romanus DECLERCQ, « Histoire du Vicariat de Beni », dans L’Afrique ardente (1947) n°42, p. 5-6.

1408.

Lieven BERGMANS, op. cit., p. 14.

1409.

Témoignage des Sœurs Charlotte Tasiviwe et de Suzanne Vahamwiti. Bunyuka, septembre 1997.

1410.

Lieven BERGMANS, op. cit., p. 14.