4.8.3. Les centres pour handicapés physiques

Les Centres pour Handicapés Physiques (C.H.P.) trouvent leur origine lointaine en 1970 grâce à l'instigation de la Sœur Thérèse Reatini Margurite de la Congrégation des Oblates de l'Assomption. Elle conçut l'idée de rassembler les handicapés afin de mieux connaître leurs problèmes, leur donner la chance de participer au développement de leur contrée. Bientôt le centre de Butembo, Heshima Letu, qui était en liaison avec celui de Goma connut un développement inattendu. En 1975, un centre d'appareillage s'y ouvrit et quatre ans plus tard, en 1979, au Nord-ouest du diocèse, à Mangina, la Sœur Thérèse Reatini ouvre un second centre du même genre.

Le véritable démarrage du Centre pour Handicapés Physiques de Butembo (CHP) eut lieu en 1983 lorsque les nouveaux statuts furent approuvés. Ainsi le centre eut son adhésion comme membre effectif à l'Association des Centres pour Handicapés en Afrique Centrale (A.C.H.A.C.). La même année le dossier d'agrément du centre de Butembo fut déposé à Kinshasa tandis que l'on établissait sur place un comité de gestion et une organisation administrative. En fait, depuis 1979 jusqu'en 1983, la Sœur Thérèse Reatini Marguerite, sentant le poids de l'âge et manquant de l’énergie nécessaire pour s'occuper de la gestion des deux centres de Butembo et de Mangina, interpella le diocèse sur la question des handicapés physiques.

Consultant les responsables des différentes Congrégations religieuses du diocèse à savoir les Assomptionnistes, les Oblates de l'Assomption et les Petites Sœurs de la Présentation, elle ne trouva personne qui voulut l'épauler car ces Instituts religieux trouvaient que ce genre d'apostolat était non seulement délicat mais aussi difficile pour en prendre la responsabilité 1411 .

C'est la raison pour laquelle Mgr Mutien Mupendawatu proposa les Frères de l'Assomption. Ces derniers s'engagèrent à en assumer la supervision sous la direction du Frère Pura.Maliyabwana Gilbertqui, arraché à ses études de première année de graduat à l'Institut Supérieur Pédagogique de Bunia, se prépara d'abord psychologiquement dans le centre de Goma pour finalement se spécialiser en la matière en Belgique 1412 . À son retour d’études, il lança, en 1983, un service ambulatoire dans tout le diocèse. Ce service consistait à aller contacter les handicapés dans leur milieu ordinaire, à les recenser, à les aider à se rendre au centre pour les cas qui nécessitaient des soins appropriés, et à leur donner des causeries.

La grande difficulté fut celle de distinguer les pauvres et les handicapés physiques car en kinande comme en Swahili les deux catégories sont indistinctement dénommées wamaskini. Tous les maskini (pauvres) arrivaient nombreux au rendez-vous car espérant recevoir une aide de la part du Frère. Mais la confusion se dissipa et la population locale comprit l'intention du Frère bien que ce travail de sensibilisation prend du temps pour entrer dans la mentalité d'une population peu alphabétisée.

L'année 1984 vit la modification des statuts à la demande de l'autorité compétente de Kinshasa. Avec la contribution de l'abbé Alphonse Kakule et du général Katsuva pour les parties qui comportent l'expression canonique et juridique afin de réintroduire le dossier auprès du Gouvernement pour l'obtention de la personnalité civile, le Frère Gilbert Pura s'attela à l'élaboration de nouveaux statuts qui ne tardèrent pas à être agréés 1413 .

Dans le diocèse, ces statuts 1414 entrèrent le 18/12/1984 en vigueur le jour de leur signature par les membres fondateurs, Mgr Emmanuel Kataliko, le Frère Mwimbi Cyrille, Supérieur général des Frères de l'Assomption, de la Soeur Thérèse Marguerite Reatini, responsable du centre de Mangina, et du Frère Pura Maliyabwana, responsables des Centres pour Handicapés Physiquess dans le diocèse de Butembo-Beni. La même date marque le début officiel du fonctionnement du centre de Butembo.

Dès l'année 1984, le centre de Butembo prit un développement notoire qui aboutit, en 1985, à une extension dans la Cité de Beni sous la supervision du Frère Achilles Bwakyanakazi qui venait de se spécialiser à Goma dans la kinésithérapie. C'est à partir de centre que Oicha, à vingt sept kilomètres de Beni, commença depuis 1987 à recevoir le service ambulatoire jusqu'à ce qu'il soit devenu à son tour un centre sans avoir pour autant son propre responsable.

Ce centre d'Oicha, dont l'ouverture officielle se situe dans les années 1990, est une oeuvre fondée conjointement par le Frère de l'Assomption Achille Bwakyanakazi et le Père Edgar Cuypers des Assomptionnistes qui en fut le bienfaiteur et celui qui cherchait de l'aide auprès des organismes belges et hollandais. Dès ses origines, le centre d'Oicha est devenu un lieu œcuménique. Les Pères Assomptionnistes, les Petites Sœurs de Jésus, et les protestants dont le Docteur Kambale gérant un hôpital situé à cent mètres du site, collaborent aux soins et à la promotion et à la réhabilitation des personnes physiquement handicapées.

La même année 1987, le centre de Butembo connut un développement qui lui permit de recevoir dans sa chapelle des handicapés pour leur encadrement spirituel. Des handicapés hospitalisés et les moins malades venant pour les soins ainsi que les chrétiens du quartier ont fait d ce centre un point de rencontre pour leurs réunions de la Communauté ecclésiale vivante. Deux fois par semaine, handicapés et chrétiens reçoivent une célébration eucharistique présidée par un des responsables du Centre diocésain de Catéchèse, de Pastorale et de Liturgie (C.D.C.P.L) qui se situe à cinquante mètres de la concession des handicapés.

Outre les activités proprement dites du Centre pour Handicapés Physique, le Frère de l'Assomption Gilbert Pura Maliyabwana se pencha sur une nouvelle catégorie d'handicaps : les sourds-muets, les handicaps-moteurs, les aveugles et les amblyopes, les arriérés mentaux et les retardés scolaires, et des mineurs délinquants. Depuis l'ouverture de l'année scolaire 1993-1994, une école primaire appropriée pour les sourds-muets fonctionne sous la responsabilité des Frères de l'Assomption à cent mètres du site des handicapés. Dans l'avenir, selon les projets du fondateur, il serait possible d'y ouvrir une école secondaire qui aurait une orientation professionnelle. Mais cette formation humaine ne suffirait pas. Il aurait fallu trouver un prêtre aumônier qui, maîtrisant le langage mimique, s'occuperait de leur encadrement spirituel 1415 .

D'une manière générale, les Centres pour Handicapés Physiques (CPH) ont comme objectif de réadapter la personne handicapée en vue de sa réintégration dans la société pour lui permettre de participer au développement de la contrée. Le but immédiat est la rééducation physique la promotion sociale en leur apprenant un métier, l’accueil des handicapés de passage qui viennent soit pour une visite, soit pour un centre beaucoup plus perfectionné comme celui de Goma 1416 .

Le service ambulatoire concerne surtout les handicapés les plus éloignés du centre. Il s'agit de les détecter et prévenir un handicap, de contrôler et d'adapter les appareils orthopédiques, les recenser, les orienter en leur donnant des conseils quand ils sont visités en famille. Le rôle social de ce service est d'assurer la réhabilitation et l'intégration des handicapés dans la société par une démarche interdisciplinaire dans laquelle interviennent entre autres l'éducateur, le reéducateur, le formateur professionnel, l'orthopédiste, le médecin, le sociologue, l'assistant social, le psychologue, l'apport bénéfique des parents et de la communauté toute entière.

Ce même service exige un enseignement spécial destiné aux Infirmes Moteurs Cérébraux (I.M.C.), aux aveugles et amblyopes, aux arriérés mentaux, aux retardés scolaires, et aux mineurs délinquants ainsi qu’aux sourds-muets 1417 . Le service ambulatoire et social a pour but d'amener les handicapés à une réadaptation professionnelle après les soins de l'infirmité. Cet objectif explique le fait que les centres doivent être domptés d'un poste de santé ou du moins d'une infirmerie comme on en rencontre à Mangina depuis sa fondation et à Butembo depuis l'année 1990.

Dans le même dessein, en 1988 le centre de Butembo ouvrit en 1988 dans son enceinte un centre de coupe-couture et d'alphabétisation, un atelier de cordonnerie et de menuiserie, en 1990, une tannerie artisanale, et une école de sourds-muets ainsi que des activités d'agriculture et du petit élevage non seulement pour la consommation des handicapés hébergés dans le site mais aussi pour l'autofinancement de tout le complexe du centre.

Néanmoins, les trois grands centres de Butembo, de Beni, et de Mangina ainsi que celui de Oicha souffrent de difficultés qui handicapent les différents projets pour l'amélioration de leur développement. Il s'agit principalement du manque du matériel auquel s'ajoute la hausse des prix sur le marché quand il faut y acheter des produits de première nécessité. On manque aussi de médicaments pour les handicapés, des planches pour la menuiserie et pour la réadaptation des appareils orthopédiques, des peaux de leur tannerie, et du tissu pour les ateliers de couture. Au problème de la rémunération de leurs ouvriers, frères, handicapés et laïcs qui aident dans les Centres, s'ajoutent ceux qui ont trait à l’incompréhension de l’objectif des Centres dans la population.

En outre, plusieurs parents se trouvent dans l'impossibilité de payer pour leurs malades et handicapés à cause non seulement de leur pauvreté mais aussi de la mentalité. Plusieurs estiment que les services devraient être gratuits, et font du centre un « dépôt » de leurs handicapés. Enfin, les Centres pour Handicapés Physiques manquent de ressources locales. Ainsi leur fonctionnement dépend en grande partie, environ 60%, de l'aide extérieure provenant substantiellement de Miserior, de Memisa et de Caritas Neerlandica 1418 .

Néanmoins, ces centres ne manquent pas de projets pour améliorer les conditions de vie des handicapés. En 1995, le centre Heshima Letu de Butembo souhaitait créer un atelier de fabrication et de montage de voiturettes pour les handicapés. Il désirerait, ensuite, appuyer les initiatives privées des handicapés en créant entre autres un bureau de coordination de leurs actions de développement, développer le secteur agricole et l'élevage, avoir un service spécial pour les Infirmes Moteurs Cérébraux (I.M.C.), relancer les ateliers de formation professionnelle, et enfin former et recycler le personnel 1419 .

En dépit de ces difficultés, les Centres pour Handicapés Physiques ont contribué à organiser les handicapés du point de vue chrétien, social et professionnel. Les personnes culturellement considérées infirmes et naturellement faibles ont appris à s'organiser en fraternités chrétiennes. Elles visitent leurs malades et leur apportent une aide économique pour se faire soigner.

Envers ceux qui n'acceptent leurs conditions, les handicapés eux-mêmes les conscientisent en les persuadant qu’un handicap ou qu’une infirmité ne sont pas des maladies, et leur apportent une assistance sociale. Ainsi deviennent-ils les acteurs de leur promotion.

Vis-à-vis de la société, les handicapés peuvent se prendre en charge en ouvrant des cordonneries et des ateliers de menuiserie ainsi que de coupe couture. Ils réparent des montres, vendent des souliers tannés de leurs propres mains, ouvrent des boutiques, travaux que la société locale ne leur réservait pas. Ces petites réalisations 1420 non seulement font leur fierté mais les intègrent aussi dans la société.

Notes
1411.

Entretiens informels entre les Frères de l'Assomption Pura Gilbert et Bwakyanakazi Achilles avec le Père Sitone Matthieu (1995-1998) à Butembo.

1412.

Ibidem.

1413.

Récits du Frère Achilles Bwakyankazi, responsable du centre de Beni (1988-1990)

1414.

Les statuts signés le 18/décembre 1984 comportent 23 articles qui s'étendent sur onze chapitres sur un volume de neuf pages. Le préambule, la constitution et la dénomination, le siège social, le but, le rayon d'action, les membres, l'organisation, les ressources, la Fédération et confédération, la modification des statuts, la dissolution de l'oeuvre, et le Règlement d'Ordre intérieur sont les composantes de ces statuts.

1415.

Entretien du Frère Gilbert Pura avec le Père Sitone Matthieu en date du 04 septembre 1997 à Butembo.

1416.

Centre pour Handicapés Physiques (CPH), Statuts, 1984, p. 1.

1417.

< C.H.P.>, Règlement d'Ordre Intérieur, (R.O.I.), n°13-14, p. 2.

1418.

Pour plus de renseignements on pourra consulter le Rapport de stage de l'année 1995-1996 dans le centre de Butembo, supervisé par le responsable Pura Maliyabwana Gilbert, Licencié en kinésithérapie, et rédigé par Roger Katsuva MASTAKI et de Jeanne Kavira SUMBUSU, tous deux terminant leur graduat dans les Instituts Supérieurs de Développement Rural (I.S.D.R.) à Bukavu et à Beni. Ce rapport compte quatorze pages. Ce premier travail élaboré est complété par les vingt-neuf pages de Rapport d'évaluation socio-économique du Centre pour Handicapés Physiques Heshima-Letu (1996-1997) de Lwanga-Charles Paluku et de Jeanne Syaghulamusanga.

1419.

Gilbert PURA MALIYABWANA, Aperçu général du C.H.P. Heshima Letu, 1995, p. 10.

1420.

A titre d'exemple, nous pouvons nous référer au centre de Butembo. Depuis 1988, 122 handicapés sont devenus autonomes et peuvent s'acheter leurs propres parcelles. Malgré les fuites, la Cité de Butembo connaît 12 cordonneries et 10 menuiseries gérées par les handicapés. Nombreuses sont les ateliers de coupe-couture. Par an, la tannerie compte relativement 190 peaux de chèvre et de vache tannées. Aussi, l'école pour les sourd-mueds est à sa quatrième promotion après l'année préparatoire. En 1995, l'infirmerie à son tour soigna 3 712 malades, handicapés et valides ; 37 sont morts de maladies diverses.Cfr. Gilbert PURA MALIYABWANA, op. cit., p. 8-9 ; Gilbert PURA MALIYABWANA, Rapport annuel du C.H.P. Heshima Letu, 1986, p. 3.