5.1.1. Le mouvement kima (1925-1960)

Vers l’année 1927, certaines chefferies, dont le Luongo et le Mwenye dans la zone de Lubero, tendaient vers leur émiettement. Le gouvernement colonial voulut y remédier dans le dessein d’affermir l’ordre public en créant une certaine centralisation des chefferies. Ce phénomène fit perdre les prérogatives et les avantages pécuniaires de certains chefs en sorte que ces derniers ne voulurent plus collaborer avec l’occupation coloniale.

A ces chefs, s’ajoutaient les devins, les sorciers et les guérisseurs 1451 qui voyaient leur rôle socio-religieux s’effriter progressivement à cause de la soumission lente des chefs à la nouvelle autorité coloniale, à son nouveau style d’administration politique, sa religion et sa médecine. Ainsi, ces groupes sociaux réagirent dans le Bulengya contre un chef illégitime Salamu institué par les colonisateurs car Ndorwa et son frère Mutsopi n’avaient pas eu les postes auxquels ils avaient droit.

Le gouvernement colonial discrédita aussitôt Salamu non seulement à cause de son irrégularité mais surtout à cause de ses incompétences politiques. Salamu fut révoqué le 11 septembre 1931. Mutsopi, l’ancien intendant n’apparut sur la scène politique qu’en 1938 mais il fut aussitôt remplacé à cause des fuites d’argent dans la caisse 1452 . Unis aux sorciers, aux devins et aux guérisseurs, ils s’engagèrent, avec l’appui de leur influence sur la population, à détruire le nouvel ordre établi et à répandre l’anarchie dans la chefferie dans l’espoir de retrouver leur ancien ordre politique.

Du point de vue social, ils cherchèrent également à paralyser complètement les travaux d’utilité publique comme la construction des routes, les activités économiques d’exploitation des minerais, et les nouvelles cultures vivrières. Ils pouvaient alors empêcher aux populations locales d’amener les vivres nécessaires pour les hommes de l’État et de l’Église. Du point de vue religieux, abusant de la crédulité de la population, ils déclenchèrent un mouvement à caractère messianique en mettant sur scène l’esprit Kima (arc-en-ciel) qui donna le nom à leur mouvement 1453 ..Pour eux, Kima se manifestait à ceux qui restaient fidèles à la tradition et à la culture.

Avec ce messianisme politico-religieux, ils affirmaient, par l’ordre de l’esprit Kima, que le rétablissement de l’ordre ancien bafoué par les colonisateurs était proche, que les Européens devraient être destitués, et que leur départ était imminent. Ce rétablissement de l’ordre ancien ne pourrait se réaliser que si la population offrait à l’esprit Kima de grands sacrifices et des présents afin d’obtenir à nouveau la faveur des esprits et des mânes.

Les initiés au mouvement Kima proclamaient ensuite que les chefs soumis aux Européens devraient être destitués, à leur tour, et que leurs travailleurs étaient menacés de la colère de leur divinité. La population devrait abandonner les cultures et la vente des produits européens, se débarrasser des vêtements importés et refuser de payer l’impôt. Le mouvement eut un succès auprès de la population locale à telle enseigne que le nombre d’adeptes s’accrut par la désertion du peuple des agglomérations où vivaient des Européens, des catéchuménats, et des missionnaires. En outre, l’apport des vivres dans les centres d’achat, les marché et les domaines européens baissa fortement.

Vers les années 1930 et 1932, l’Administration coloniale fut alertée par des coups de gong qui déclenchèrent la désertion des hommes des travaux publics et religieux. Ils provoquèrent des incendies dans les camps miniers et européens sur la route de Lutunguru vers Muhangi. À cause de leur opposition à l’Européen, la mission de Kimbulu (1924) fut, en 1931, transférée à Muhangi.

Le signe distinctif des membres du mouvement Kima se retrouvait sur leur accoutrement : ils enduisaient leur émissaire de signes de croix rouge et noire. À cause de cette imprudence, ils furent facilement détectés : les chefs, les notables, les guérisseurs, les devins et les sorciers impliqués dans ce mouvement furent arrêtés le 28 novembre 1960. Certains, selon la gravité de leur culpabilité, furent relégués à Constermansville (Bukavu), d’autres emprisonnés à Lubero 1454 . Cette répression amena la disparition de ce mouvement.

Ce mouvement social et politique eut un certain impact sur le christianisme dans la contrée de Kimbulu et de Muhangi. L’adhésion au christianisme s’opéra lentement car il était considéré comme une religion étrangère et européenne. Les missionnaires eux-mêmes ne pouvaient exercer aucune influence auprès du peuple. Par ailleurs, par son messianisme temporel, le mouvement présentait à une population récemment convertie un avenir plus certain inscrit dans la tradition ancestrale que les chrétiens veulent abandonner. Cette idéologie auprès des chrétiens qui vivent dans un milieu fortement imprégné par la tradition ne favorisait guère la pleine adhésion au christianisme.

Bien plus, les menaces psychologiques et sociales exercées auprès des chrétiens décourageaient de nombreuses personnes. En effet, plusieurs chrétiens furent marginalisés de leurs familles. En outre, quand ils désiraient apporter les vivres aux catéchumènes, aux ouvriers de la mine, et aux prêtres ils étaient pris en embuscade, et parfois battus et laissés presque morts.

À cause de la faim et de cette hostilité exercée à l’égard des chrétiens et des catéchumènes, les missionnaires assomptionnistes, dont le Père Léon Cambron, transférèrent, en 1932, le poste de mission de Kimbulu à Muhangi où ils trouvèrent un bon accueil auprès des chefs 1455 .

Notes
1451.

Nous avons déjà parlé des fonctions sociales de ces dignitaires quand nous décrivions la tradition ancestrale Nande.

1452.

Pour plus d’information, on pourra se référer à l’ouvrage de L. BERGMANS, Les Wanande, t. 1., Histoire des Baswaga. Éditions Assomption Butembo-Beni, 1970, p. 77-83.

1453.

Pour plus d’amples renseignements, on pourra aussi consulter K-T. MASHAURI, Dynamique de l’action missionnaire catholique chez les Yira occidentaux, op. cit., p. 240-244.

1454.

Selon nos informateurs Syalandira et Kitsapu en Août 1995 à Kimbulu, plusieurs adeptes du mouvement Kima furent pris sur les lieux de leur initiation à la rivière Biena, d’autre dans le Lutunguru. Selon les cas, les prisonniers comblèrent les prisons de Musienene, de Muhangi et de Lubero et d’autres dont Mutsopi, furent éloignés de leurs villages. Nous n’avons pas réussi à obtenir le nombre exact des prisonniers.

1455.

Témoignage de Kasiki Sitone dans ses entretiens avec ses petits fils à Kimbulu (1965-1972).