5.2.2. Méthodes protestantes de christianisation

D’une manière générale, ces communautés protestantes 1471 se développèrent grâce à la solidarité financière entre les membres. Aussi, il était plus facile de devenir protestant parce qu’une simple déclaration d’adhésion suffisait pour recevoir le baptême chez soi tandis que les catholiques avaient des mois à passer à la paroisse loin de leur milieu familial.

La chapelle servait à dispenser un enseignement religieux et scolaire. La prière mentale liée à la vie du peuple, la lecture de la Bible, le calcul et l’écriture constituaient le programme scolaire lors de leur implantation dans la contrée. Enfin, leurs oeuvres sociales étaient une préparation immédiate à la vie. Leurs écoles post-primaires formaient des personnes habiles. A cet effet, le Dr Becker fonda en 1936 à Butembo et 1938 des écoles d’aide-infirmiers, en 1948 une école d’aides-accoucheuses à Oicha.

En face du protestantisme, dans les années 1930, les missionnaires prirent des attitudes diverses. Le Supérieur ecclésiastique, Henri Piérard, envisageait l’échec imminent des protestants à partir du témoignage qu’il recevait de ses ouailles. Ces chrétiens reprochaient aux protestants l’absence d’exposé méthodique de la doctrine. Ils paraphrasaient des textes évangéliques et « pour tuer le temps » ils entonnaient des chants religieux 1472 .

Cependant, cette critique de la méthode de l’apostolat des protestants qui avait fait fuir les chrétiens en les aidant à retourner au catholicisme ne coïncide pas avec les sentiments de certains missionnaires qui se montraient inquiets devant le zèle apostolique des protestants. A ce sujet, un missionnaire écrit :

‘« Laissons les Pères à leur besogne à la mission et partons en tournée apostolique. Les protestants s’y remuent, ils ont installé huit catéchistes, songent à construire un lazaret pour lépreux ; leur chef est un zélé. Nous le verrons filer à motocyclette d’un côté ou de l’autre pour surveiller ses instituteurs et ses recrues : il ramasse du monde grâce surtout à ses culottes et à ses robes 1473  ».

Cette affirmation nous renseigne beaucoup plus sur la méthode d’évangélisation des protestants : installer des catéchistes et des enseignants, faire des œuvres de miséricorde, et convertir les catholiques au protestantisme. Les missionnaires réagirent afin de freiner l’extension des protestants.

Le Père Conrad Groenen, Supérieur religieux, lors de ses tournées apostoliques, remarqua la présence des protestants dans la contrée. Il fit venir le chef qui lui promit de lui envoyer des enfants. Mais, le Père doutait de cette promesse car il croyait que les missionnaires protestants lui avaient donné un pourboire pour acheter les conversions des Noirs 1474 .

Les missionnaires assomptionnistes trouvèrent dans les protestants des concurrents qui revendiquaient le droit du premier occupant contre les catholiques 1475 . Les Pères souhaitèrent non seulement un renfort missionnaire suffisant mais aussi des ressources financières pour « ne pas se laisser devancer 1476  », et ils placèrent des catéchistes dans chaque village.

L’inquiétude des missionnaires croissait au fur et à mesure que les protestants commencèrent à prendre des endroits stratégiques où la population était dense près de la route principale, où le terrain était fertile et où le chef était influent à l’instar de Wehya dans le village de Sebe à Musienene.

Bien que l’endroit fût déjà occupé par les catholiques, les missionnaires décidèrent d’y envoyer le Père Conrad Groenen afin qu’il exerce une influence morale sur le chef Wehya afin que ce dernier brave la « politique du pourboire » par laquelle les protestants commençaient leurs négociations. Les missionnaires souhaitaient qu’il les éloigne et les places dans des milieux peu attrayants 1477 .

Non seulement les protestants, occupaient des endroits stratégiques mais aussi ils commençaient à séduire les écoliers qui échappaient aux catéchistes. Bien plus, à Kyondo, les protestants avaient détruit une école primaire catholique construite par le Frère Maurice Hex. Il fallut l’intervention de l’Administration coloniale pour régler le différend 1478 .

Devant l’avancée du protestantisme, certains Pères assomptionnistes recouraient aux moyens économiques pour parer à leur avancée comme nous l’indique cet extrait d’une lettre du Père Henri Piérard au Supérieur Général :

‘« Les protestants américains vont nous donner du travail. Ce sera dur, les Américains sont riches, et pour conquérir les âmes payent des étoffes à l’envi, ce que nous ne pouvons faire. Je viens de dépenser 2 000 francs pour l’impôt de nos travailleurs et catéchistes, avant Pâques, je devrai dépenser 5 à 6 000 francs pour habiller les 150 enfants de nos écoles 1479  ».’

Devant cette impuissance financière, les missionnaires, poursuit la lettre, durent recourir au « surnaturel » qui avait plus d’influence sur les conversions que l’aspect matériel. Les missionnaires, devant l’avancée du protestantisme, se trouvaient dans une situation de faiblesse dont le Père Marie-Jules Celis se plaignait :

‘« La loi ne nous permet pas de leur faire un crime de leur prosélytisme religieux, qui d’emblée semble ne pas être le premier de leurs soucis, et nous ne pouvons pas entrevoir de ce côté aucun moyen de faire sur le gouvernement en leur défaveur. Mais leur prosélytisme politique constitue un scandale, que Mgr Hemptine a récemment dénoncé et qui devrait faire ouvrir les yeux aux dirigeants de la Colonie 1480  ».

Les protestants américains, continue la lettre, s’inspiraient de deux principes à savoir celui du trustschip qui véhicule l’ambition de mise sous tutelle internationale des colonies, et celui du self-determination qui est le droit des peuples de disposer d’eux-mêmes. A partir de cette idéologie, les pasteurs américains et anglais prônaient auprès des autochtones l’incapacité de la petite Belgique d’être tutrice d’une vaste colonie. Partant, les Congolais, conformément à ces deux principes, devraient se libérer de l’impérialisme européen afin de se soumettre aux grandes puissances américaines et anglaises dont ils étaient les représentants.

Selon la même source, concrétisant leur idéologie, les protestants de l’African Inland Mission dans l’Uélé oriental firent flotter sur un mât un drapeau anglais. Par ailleurs, dans le district de Stanleyville, les Baptistes anglais inculquaient à leurs écoliers l’amour de l’Angleterre et les assimilaient aux personnes qui ont la citoyenneté anglaise. Enfin, à Ibambi, dans l’Ituri, non loin de Beni, le chef Parasipo vérifia si les agents de l’État belge, désigné sous le nom de Bula-Matari, allaient partir avec les Pères et si les Anglais resteraient les nouveaux maîtres.

Devant ce double conflit, religieux et politique, les missionnaires cherchèrent à trouver appui auprès des chefs investis et coutumiers, auprès de l’Administration coloniale et des Belges des mines et des plantations accusant à l’influence protestante de desservir les intérêts de la Colonie ceux de la Belgique, leur patrie.

Pour décourager les efforts des protestants anglais et américains, l’Administration coloniale leur interdit d’ériger des chapelles-écoles dans les camps miniers, et leur demanda de s’éloigner des missions catholiques 1481 comme à Boikene dans la zone de Beni, à Pangoma dans la zone de Lubero, à Rwese, à Kitsumbiro, et à Ndoluma.

Ce fait d’intervenir indirectement mais franchement dans les affaires politiques et religieuses tout en respectant l’autonomie propre de chaque entité conduit De Meeus et D.R. Steenberghen à conclure que : « Cette indépendance mutuelle entre l’Église et l’Etat et cette franche collaboration entre les missions et le gouvernement constituent la caractéristique la plus originale des missions catholiques au Congo 1482  ».

Notes
1471.

Ibidem, p. 204 ; K-T. MASHAURY, Dynamique de l’action missionnaire catholique chez les Yira occidentaux (1906-1959). Méthodes apostoliques. Mutations sociales et interactions culturelles, (Thèse de doctorat). Lubumbasi, Université de Lubumbashi, 1983, p. 231-240.

1472.

Henri PIERARD, « Pour la cueillette des âmes au Congo », dans L’Assomption et ses œuvres (1936) n° 415, p. 212.

1473.

« Nos missionnaires à l’œuvre », dans L’Afrique ardente (1932) n° 1, p. 4.

1474.

Conrad GROENEN, « La Mission du Congo », dans L’Assomption et ses oeuvres (1930) n° 349, p. 319.

1475.

APAR, 2 KL 5 : Père Marie-Jules Celis au Père Gervais Quénard. Lubero, le 22 janvier 1930.

1476.

Conrad GROENEN, op. cit., p. 319.

1477.

APAR, 2 KL 5 : Père Marie-Jules Celis au Père Gervais Quénard. Lubero, le 22 janvier 1930.

1478.

Témoignage du Frère Mauricee Hex. Brusselles, novembre 2003.

1479.

APAR, 2 KL 7 : Père Henri Piérard au Père Gervais Quénard. Beni, le 3 février 1930.

1480.

APAR, 2 KL 5 : Père Marie-Jules Celis avec le Père Gervais Quénard. Lubero, le 22 janvier 1930.

1481.

K-T. MASHAURY, op. cit., p. 236.

1482.

D. De MEEUS et D.R. STEENBERGHEN, op. cit., p. 30.