5.2.4. L’islam dans le diocèse de Butembo-Beni (1897-1996)

Hormis le protestantisme, le christianisme dans le diocèse de Butembo-Beni souffre de l’influence musulmane. L’islam pénétra dans la contrée bien avant le christianisme vers la fin du XIX°siècle, par la voie des conquêtes esclavagistes. Ensuite, les marchands itinérants se firent les premiers apôtres de l’islam dans les grandes agglomérations du diocèse. Non seulement leur influence économique attirait la population locale mais aussi leur religion qui se présentait comme supérieure à la religion traditionnelle considérée comme « paganisme ».

Enfin, depuis les années 1970, l’islam fit son chemin dans le diocèse par le fait qu’il était une religion facile à pratiquer. Sa doctrine ne demande aucun changement de vie ni de mœurs. Elle exige des pratiques extérieures à observer à savoir la prière, le jeûne du vendredi qui est le sabbat, porter de longues robes blanches, respecter les tabous et les rites de purification 1488 .

En face du christianisme catholique qui impose des mois de préparation pour recevoir le baptême et qui exige un changement radical de vie et de mœurs, l’islam, par sa doctrine et ses pratiques, devenait, aux yeux de la population locale, une religion attrayante. Bien qu’il n’ait pas eu au début un succès éclatant, il prend de plus en plus beaucoup d’essor.

En 1957, la présence des musulmans commençait à inquiéter les missionnaires en sorte que, dans son rapport annuel, Mgr Henri Piérard parlait de Beni comme une cellule islamique qu’il fallait surveiller de près. Beni était devenu un « centre névralgique » pour les musulmans autochtones. Ceux-ci allaient suivre les cours coraniques à Kampala et revenaient au pays pour diffuser leurs croyances en tenant leur petit commerce.

Ce fait les rendait sympathiques aux simples gens qui, tout en achetant, recevaient un accueil chaleureux, subissaient leur endoctrinement et recevaient de petits cadeaux (matabishi). Petit à petit, grâce à leur commerce, ils réussirent à s’implanter dans les centres importants du diocèse jusqu’aux environs des postes de mission.

En face de l’avancée de l’islam, Mgr Henri Piérard prévint ses missionnaires du danger que cette religion représentait auprès des chrétiens. « Il ne fallait pas, disait-il, s’installer dans le fait que l’Église soit implantée mais plutôt, plus que jamais, consolider la foi des chrétiens 1489  ».

Un frein au christianisme se présentait dans le diocèse de Butembo-Beni. D’abord, il n’existait pas un véritable dialogue avec les musulmans parce que pour eux dialoguer signifie entamer le processus de se convertir à l’islam. Ensuite, l’islam embrasse toute la vie humaine, politique, économique, sociale et culturelle 1490 .

Par ailleurs, comme le christianisme, l’islam confesse un monothéisme intransigeant. Il considère Jésus comme un prophète, honore la Vierge Marie, croit aux anges, en la vie de l’au-delà et reconnaît le dernier jugement. Ces aspects présentent des similitudes avec le catholicisme 1491 .

En outre, l’islam invite à une grande moralité en incitant ses adhérents à la prière aux heures fixes du jour, à l’aumône, à la charité et au jeûne du vendredi qui est leur sabbat 1492 . Leur charité, leur vie fraternelle et leur solidarité sont source d’attraction pour les chrétiens. Bien plus, l’islam se présente comme une « religion populaire », facile à pratiquer parce qu’il est tolérant à l’égard des pratiques traditionnelles comme les rites d’initiations, de mariage, de funérailles. Il ne s’attaque pas non plus à la magie ni aux féticheurs et croie à l’efficacité de la sorcellerie 1493 .

Enfin, comme le christianisme et la religion traditionnelle nande, l’islam prône dans son eschatologie une bénédiction pour ses adhérents et une réprobation pour les infidèles. Partant, l’aumône, l’hospitalité et la solidarité sont les moyens, par excellence, pour recevoir les faveurs divines.

En définitive, la théologie musulmane et ses pratiques religieuses s’accommodent avec la tradition. N’étant pas trop exigeant et acceptant aussi la polygamie 1494 , ne demandant que la simple profession de foi en Allah et en Mahomet son envoyé et prophète, l’islam attire plusieurs chrétiens. Les pratiques musulmanes ont gagné du terrain dans le diocèse en sorte que les ablutions, les tabous alimentaires et autres ont pénétré dans le mode de vie des familles chrétiennes 1495 .

Ces pratiques s’infiltrent dans la population locale par un processus à trois temps. D’abord, les musulmans cherchent à vivre avec le peuple, contractent des mariages polygamiques et sèment des coutumes et éléments de leur religion dans le peuple. Ensuite, ils engendrent une crise religieuse au milieu du peuple en l’incitant au syncrétisme.

Enfin, par un processus de réorientation, ils rejettent les autres religions pour ne reconnaître que l’islam comme l’unique religion 1496 . Cependant, cette stratégie qui a été vécue en Afrique de l’Est n’est pas suivie intégralement dans le diocèse de Butembo-Beni. Le plus à craindre pour les catholiques est la prolifération des sectes et des mouvements religieux issus du christianisme.

Notes
1488.

Henri PIERARD, « Qui triomphera demain ? La Croix, la faucille ?, le croissant ? », dans L’Afrique ardente (1959) n° 110, p.21-22.

1489.

Henri Piérard, Rapport annuel, 1956-1957, p. 3.

1490.

SPENCE J. TRIMINGHAN, The influence of Islam upon Africa. London, Longman, 1980, p. 165-180.

1491.

African synod. Instrumentum laboris. Nairobi, Saint Paul Publications, 1993, p. 72-73 ; Jacques JOMIER, L’Islam aux multiples faces, Kinsahasa, Facultés Catholique de Kinshasa, 1990, p. 49-74.

1492.

Jacques JOMIER, How to understand Islam. New York, Crossroad Book, 1989; JOMIER, L’islam aux multiples faces. op. cit., p. 39-48.

1493.

Jean Sebastien MBITI, African religion and philosophy. London, Morisson & Gibb Ltd, 1977, p. 251-252.

1494.

En août 1995, un soldat battit à mort son épouse légitime qui s’opposait à ce qu’il contracte un second mariage avec une seconde femme. Pour se déculpabiliser, il jugea bon de se faire musulman.

1495.

Dans la paroisse de Mbao, en 1990, des chrétiens affirmaient qu’aussi longtemps un musulman n’avait pas fait ses rites d’abattage d’un animal dans la boucherie, ils ne pouvaient pas le consommer.

1496.

SPENCE J. TRIMINGHAN, op. cit., p. 53 ; Idem, Islam in East Africa, Oxford, Clarendon Press, 1964, p. 43-44.