5.3.1. Le kimbanguisme (1921)

Simon Kimbangu (1881/89-1951), après une vision en 1921, devint le prophète et le fondateur du mouvement politico-religieux qui porta son nom, le kimbanguisme 1497 . Orphelin de mère, il grandit auprès de sa tante Kinzembo qui lui raconta les souvenirs et les souffrances des villageois, la gloire de l’ancien royaume Kongo, les guerres civiles de San Salvador, la traite, les travaux forcés, les épidémies, le portage, la construction du chemin de fer Matadi-Kinshasa, et la déportation des peuples. Confié au British Mission Society, Simon Kimbangu apprit à lire et à écrire en kikongo. Il devint catéchiste à la mission mais ne parvint pas à devenir un pasteur. Parti à Kinshasa en 1919, il travailla aux Huileries du Congo-Belge (H.C.B.)

Il rencontra à Kinshasa les idées du panafricanisme de Marcus Garvey prônant que la civilisation noire est à la racine de la civilisation européenne, que les Noirs doivent briser leurs chaînes et redevenir les guides de l’humanité, que le Christ était noir et que les Noirs doivent créer leur propre religion basée sur les traditions. Rentré à Nkamba, son village natal, en 1921, Simon Kimbangu aurait été touché par la grâce de Dieu dans un songe qui marqua le point de départ de sa vocation 1498 .

Il aurait reçu des pouvoirs exceptionnels qui étaient les signes visibles de sa prédilection. Il commença à guérir les malades, dont la femme de Nkiatondo, par l’imposition des mains et les prières, et à ressusciter les morts. Ces actes de puissance lui attirèrent la population qui lui donna le nom de ngunza c’est-à-dire le « prophète » des Noirs 1499 . Ces manifestations attirèrent la population à Nkamba. Ce fait fut interprété par l’autorité comme un soulèvement de masse autour de Simon Kimbangu. En effet, des hommes quittaient des hôpitaux, des factoreries, des plantations, des bureaux, et des villes pour le suivre. D’autres désertèrent l’armée et les Églises pour se rendre auprès du nouveau prophète noir. Ces phénomènes affectaient la production et l’ordre public colonial 1500 .

Pendant que Simon Kimbangu exerçait son ministère prophétique, une grève généralisée se déclencha dans la colonie. Elle était provoquée par les ruptures des contrats des travailleurs fuyant l’épidémie et l’exploitation. Bien plus, le refus du paiement des impôts et les rassemblements, expression d’une résistance passive, se manifestèrent dans la colonie comme un moyen de contestation du régime à travers la colonie. Pour tous ces faits, Simon Kimbangu fut considéré comme un « thaumaturge illuminé », un « guérisseur fanatique », un « xénophobe dangereux », un « malade mental » et un « provocateur politique 1501  » sans prendre en compte qu’ils étaient aussi un refus de la domination coloniale.

Bien qu’à ses origines le kimbanguisme ait un caractère purement religieux, l’Administration coloniale y vit un mouvement à tendance politique. Effectivement, après la condamnation à la servitude pénale de Simon Kimbangu, en 1921, ses adeptes créèrent une association, le Clan National Noir (C.N.N.). C’était une association à laquelle on reprocha d’encourager la lutte ouverte contre les Blancs dans le but de les chasser définitivement du pays, la création des écoles pour Noirs où ils étaient formés à la haine contre les Européens, et de vouloir l’indépendance.

De ce fait, l’Association interdisait à ses adeptes la fréquentation des Blancs, le port d’étoffes importées, et le paiement d’impôts. En outre, elle revendiquait la reprise des terres accaparées par les missions et les commerçants, et demandait aux membres de prêter un serment de fidélité à l’Association 1502 . Le kimbanguisme fut assimilé à l’éveil prématuré d’un esprit patriotique, un mouvement xénophobe désireux de renverser l’ordre colonial établi. Les adeptes pouvaient, à l’occasion, déclarer : « Il n’a qu’un Dieu et nous n’obéirons qu’à lui. Nous sommes les chefs. Tous les postes de l’Etat seront brûlés. Tous les Blancs rentreront chez eux. Le Blanc n’est plus fort 1503  ».

En face du kimbanguisme, les missionnaires catholiques et protestants eurent la même réaction que l’Administration coloniale. A l’apparition du mouvement, l’Église catholique accusa les protestants de trahir les intérêts de la Colonie belge. Les catholiques condamnaient les protestants pour avoir distribué la Bible aux populations qui, ne sachant ni la lire ni l’interpréter, la prenaient comme une source d’inspiration pour fonder de nouvelles religions en faveur des Anglais et contre les Belges.

L’Administration coloniale, après l’enquête de Morel à Nkamba sur les foules et sur les résurrections, hésita d’abord à s’ingérer dans les querelles religieuses. Néanmoins, pour des raisons politiques, le gouvernement de Lippens, bien qu’anticlérical, décida d’intervenir. Cette décision fut commandée par le fait que les catéchistes protestants et catholiques exerçaient un pouvoir parallèle à celui des chefs médaillés par l’Administration dans les villages chrétiens. Le gouvernement se rangea du côté des catholiques pour sauvegarder les intérêts de la Colonie qu’auraient menacé les anglo-saxons. Cette intervention de l’Administration poussa les protestants à se désolidariser des kimbanguistes et à dénoncer leur ex-catéchiste. Ses adeptes furent poursuivis pour des motifs politiques et religieux 1504 .

Les fidèles du kimbanguisme en virent à considérer leur leader comme un prophète à cause de ses oeuvres. Ils développèrent autour de lui un messianisme politico-religieux. Le contexte social religieux s’y prêtait déjà. La colonisation entraînait un émiettement des groupes sociaux jusqu’à leur atomisation. Les africains étaient tenus à l’écart des affaires. Ce qui les encourageait à revendiquer leur autonomie politique et religieuse.

En outre, le christianisme ne se présentait pas comme une religion de libération contre la maladie, la mort et la sorcellerie. Il ne conférait pas, non plus, la richesse des Blancs. Bien plus, à l’intérieur du christianisme, existait un esprit de concurrence entre les différentes confessions religieuses notamment le catholicisme et le protestantisme. Pourquoi alors les Noirs ne devraient-ils pas avoir une religion à eux 1505  ?

Ainsi, l’aspiration profonde du peuple se cristallisa autour de Simon Kimbangu, renommé pour ses oeuvres de guérison par la prière et l’imposition des mains aux malades, pour l’accueil chaleureux par les paroles de l’Évangile, pour la purification par l’eau bénite de la source de Nkamba, village devenu la Nouvelle Jérusalem, et pour ses transes sous l’impulsion du Saint Esprit.

Par ses exhortations morales à abandonner les mœurs décadentes de la colonisation, le tabac, l’alcool, les danses érotiques, le vol et l’adultère, par ses interdictions de recourir à la sorcellerie et aux fétiches, par ses propositions de libérations morale et spirituelle en vue d’une autre vie qui serait la source du salut, Simon Kimbangu se révéla comme le leader messianique attendu. Le peuple vit en lui un libérateur du peuple, un prophète qui dégage le sens caché de la Bible grâce à la puissance du Saint Esprit qui lui inspire des cantiques, des prières, des guérisons et des enseignements 1506 .

Dans ce contexte, les adeptes de Simon Kimbangu développèrent autour de lui des attributs messianiques : sauveur des Noirs, témoin du Christ en Afrique, révélateur de l’Évangile aux Noirs 1507 . Comme le Christ avait envoyé ses douze apôtres prêcher la bonne nouvelle, il est mort et ressuscité, il était apparu à ses adeptes, et il a prêché l’amour de Dieu et du prochain au-delà des barrières claniques et tribales. Enfin, comme Moïse, il avait révélé la loi divine, les dix commandements qui, en fait, s’inspirent du décalogue. Somme toute, des fonctions bibliques, religieuses et politiques, célestes et terrestres furent attribuées à Simon Kimbangu 1508 .

Très suggestive est la littérature kimbanguiste qui développe l’esprit du mouvement à caractère politique et religieux. Les messages religieux adressés aux fidèles, au début du mouvement, visaient à entretenir l’espoir messianique dans la Bonne Nouvelle, à contribuer à l’esprit de révolte et à inciter à la lutte contre la domination blanche. Les kimbanguistes traduisaient l’état de leur âme en ces mots : « Nous n’avons pas besoin des Blancs chez nous; notre pays doit être uniquement entre les mains des Noirs, et nous devons nous gouverner. Mais puisque nous sommes trop faibles pour expulser les Blancs, mettons notre confiance en Dieu, il nous aidera dans l’œuvre de libération 1509  ».

Les Européens de la colonie belge perçurent dans de telles affirmations la preuve de la xénophobie du mouvement. Bien plus, la littérature kimbanguiste avait pour thèmes majeurs les épreuves, les misères subies, les luttes contre l’ennemi et l’opposition ferme à l’Administration coloniale comme aux missionnaires. Cette attitude se manifestait dans des déclarations de ce type :

‘« Nous souffrons beaucoup à cause des missionnaires (...). Ils nous ont enseigné des choses de Dieu (...). Puis lorsque Kimbangu est arrivé, ils se sont moqués de lui et l’ont dénoncé à l’Etat (...). Mais puisque les missionnaires après nous avoir enseignés se sont moqués de nous, nous ne voulons plus avoir aucun rapport avec eux 1510  ».’

A cause de ses visées politiques et religieuses, selon la littérature missionnaire et coloniale, Simon Kimbangu fut condamné comme un « xénophobe dangereux », un « meneur de révolte », un « thaumaturge illuminé » et « un hérétique 1511  ». Arrêté le 6 juin 1921, il échappa au détachement militaire à Nkamba et dût vivre dans la clandestinité. Repris le 12 septembre 1921, il fut condamné à mort pendaison. Mais le roi Albert lui accorda sa grâce et Simon Kimbangu fut détenu en prison.

Déporté dans la prison d’Elisabethville (Lubumbashi), il y mourut, le 12 octobre 1951, trente ans après son arrestation 1512 . Aurait-il reçut un baptême catholique avant sa mort ? Ces rumeurs, après la mort de Simon Kimbangu, semblent avoir été les derniers gestes agressifs et humiliants contre le prophète des Noirs 1513 . Quoi qu’il en soit, en 1956, sa communauté religieuse, sous la direction de ses trois fils Emmanuel Bamba, Salomon Dialungana, et Joseph Diangieda, le plus influent, fut dénommée l’Église de Jésus-Christ sur la terre par le prophète Simon Kimbangu (EJCSK).

Peu avant l’indépendance, le 24 décembre 1959, la suspicion politique autour du kimbanguisme s’estompa et ses motivations religieuses furent reconnues par le Gouvernement colonial. En 1960, ses reliques furent transportées à Nkamba, son village natal, qui devint la nouvelle Jérusalem des adhérents au kimbanguisme. Il fut accueilli, en 1969, dans le Conseil Œcuménique des Églises (C.O.E.). Peu de temps après, en 1973, l’Université Nationale du Zaïre (Congo) autorisa l’ouverture d’une faculté de théologie kimbanguiste à Kinshasa où la professeur suisse Marie-Louise Martin avec d’autres expatriés mirent en œuvre la formation des pasteurs.

Dans le diocèse de Butembo-Beni, le kimbanguisme connut une expansion sensible dans les années 1970 grâce aux agents de l’État au nom de la politique de l’authenticité. Il avait reçu l’appui du gouvernement du Président Mobutu, à cause des aspects africains que cette religion véhicule. Dans ce contexte, le kimbanguisme se présenta comme une religion nationale par opposition au christianisme des missionnaires.

Ensuite, il présente une morale conforme à celui du christianisme, prêche la loi de l’amour, le respect du repos dominical et récuse toute aspiration à la luxure. Pour les kimbanguistes, la pratique religieuse consiste à réciter des prières, à chanter des mélodies religieuses, à lire la Bible, et à confesser régulièrement ses manquements. Une vie heureuse dans la sobriété et la chasteté sont pour les kimbanguistes les arrhes du ciel. Un bon caractère est signe d’avoir obtenu une guérison miraculeuse.

Vivre sous l’inspiration de l’Esprit se manifeste par le refus du vol et le rejet des fétiches, par l’absence de maladies, et par le triomphe de la crainte des sorciers. En outre, pour celui qui croit en la Trinité et au prophète Simon Kimbangu, le salut est assuré dans la vie présente et dans l’au-delà. Il devra vivre alors selon les recommandations des Saintes Écritures qui contiennent les vérités révélées.

Enfin, il promet la guérison de toute maladie, prône une morale conforme à celle du christianisme, révèle le secret de la mort, délivre de l’ensorcellement, et prêche dans une langue comprise par tous. Il peut interpréter le rêve, et célébrer par la danse le mystère du salut dans les chants africains. Le kimbanguisme est compris, par la population locale, comme la religion des Noirs, celle qui intègre les valeurs culturelles en les purifiant de ce qui opprime la personne. Il libère de la crainte du sorcier et des forces spirituelles maléfiques 1514 .

Pour les catholiques, les kimbanguistes sont d’un grand appui lors des grandes célébrations religieuses : le sacre de Mgr Melchisédech Paluku Sikuli (2 août 1998), des funérailles de Mgr Emmanuel Kataliko (2000), et les célébrations œcuméniques du 26 au 28 février 2001 lors du Symposium International des Pays Africains (SIPA). Leur fanfare unit les cœurs dans une même assemblée de prière.

Notes
1497.

Il existe de nombreux ouvrages et articles sur le kimbanguisme. L’article le plus récent donne une synthèse concise sur la vie de Simon Kimbangu, son message, sa prison à perpétuité, sa mort et le transfert de ses reliques de Lubumbasi à Nkamba, devenue la nouvelle Jérusalem pour les adhérents, et enfin sur l’évolution et l’expansion du kimbanguisme en Afrique centrale. Cfr J.-L. VELLUT, « Kimbangu », dans Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastique, (2004), fascicule 168-169a 2004), p. 68-82.

1498.

Cette date semble la plus décisive dans l’histoire du Kimbanguisme. Il est relaté que Simon Kimbangu fut touché par la grâce dès don enfance. Vers 1890, le missionnaire G.R. Cameron le bénit après sa maman pour avoir reçu l’hospitalité dans sa famille après un mauvais traitement qu’il venait de subir auprès de la population locale de Nkamba. Deux visions sont aussi signalées dans sa vie, après le baptême avec son épouse (1915), et après son retour de Kinshasa quand les missionnaires ne l’acceptèrent pas dans la hiérarchie de l’Église Baptiste. Cf. Andrian HASTINGS, The Chruch in Africa (1450-1950). Oxford, Clarendon Press, 1994, p. 508-509; John BAUR, 2000 ans de christianisme en Afrique. Une histoire de l’Église africaine. Limete-Kinshasa, Paulines, 2001, p. 368-369.

1499.

Suzanne ASCH, L’Église du prophète Kimbangu. Des origines à son rôle au Zaïre (1921-1981). Paris, Édition Karthala, 1983, p. 15-21. G. BALANDIER, Sociologie actuelle de l’Afrique noire. Paris, P.U.F., 1963, p. 428 ; D. FECI, Vie cachée et publique de Simon Kimbangu selon la littérature coloniale et missionnaire belge. Bruxelles, Centre d’Études et de Documentation africaine, 1972, p. 24 ; E. BAZOLA, Le kimbanguisme, dans C.R..A 3(1968) n° 2, p. 124-126.

1500.

Suzanne ASCH, op. cit., p. 22 et 29 ; D. FECI, op. cit., 49.

1501.

Ibidem, p.45.

1502.

Ibidem, p. 50.

1503.

P. RAYMAEKER, L’Administration est sacrée. Discours religieux et parcours politique en Afrique centrale (1921-1957). Bruxelles, Bureau d’Étude pour un développement Harmonisé, 1983, p. 39.

1504.

Suzanne ASCH, op. cit., p. 44 ; G. BALANDIER, op. cit., p. 419 ; Andrian HASTINGS, The Chruch in Africa, op. cit., p. 512.

1505.

Emile BAZOLA, op. cit., p. 319 ; P. RAYMAEKER et H. DESROCHES, op. cit., p. 40 et 44 ; D. FECI, op. cit., p. 6, 10 et 49.

1506.

Suzanne ASCH, op. cit., p. 23 ; Emile BAZOLA, op. cit., p. 327.

1507.

Andrian HASTINGS, The Chruch in Africa, op. cit., p. 511.

1508.

G. BALANDIER, op. cit., p. 432-434 ; E. BAZOLA, op. cit., p. 320-324 ; P. RAYMAEKER et H. DESROCHES, op. cit., p. 48-49 ; D. FECI, op. cit., p. 43 ; K. BASOLWA, Réflexion sur l’oeuvre du prophète Simon Kimbangu, Kinshasa, Édition Balwaka, 1988, p. 71 et 85-86 ; W. Mac GAFFEY, Religion and society in Central Africa. The Bakongo of Lower Zaïre. Chicago, The University of Chicago Press, 1986, p.114-116.

1509.

Emile BAZOLA, op. cit., p. 327.

1510.

P. RAYMAEKER et H. DESROCHES, op. cit., p. 44.

1511.

Emile BAZOLA, op. cit., p. 320-324 ; D. FECI, op. cit., p. 57-61 ; S. ASCH, op. cit., p. 25; Matthieu SITONE, les aspects conflictuels des mouvements messianiques et prophétiques de Kimba Vita, du kitawala et du kimbanguisme. Notes personnelles présentées dans un séminaire de D.E.S. aux Facultés Catholiques de Kinshasa (1995), p. 23.

1512.

J.-L. VELLUT, op. cit., p.72-73.

1513.

P. RAYMAEKER et H. DESROCHES, op. cit., p. 49.

1514.

J-L. VELLUT, « Kimbangu », dans Dictionnaire d’Histoire et de Géographie Ecclésiastique, Paris, Letouzey &Ané, 2004, 68-82.