5.3.4. Les sectes

Outre l’islam, les sectes, par leur prolifération 1542 , contribuent à l’affaiblissement du christianisme depuis ces vingt dernières années dans le diocèse de Butembo-Beni. Elles sont introduites par des étrangers zaïrois, le plus souvent des agents de l’Etat, qui les utilisent comme un moyen de gagner leur pain. Les motivations profondes d’adhésion aux sectes sont diverses.

Elles sont d’ordre spirituel, moral, social, économique et même politique. Du point de vue spirituel, plusieurs y découvrent la Bible, une liturgie vivante et enthousiasmante dans laquelle le sacré leur paraît devenir le sommet de leur vie profane. Avec quelques variantes, leur célébration suit ce schéma : la louange, la demande du pardon des offenses, les invocations de Dieu et de l’Esprit Saint, les témoignages des adhérents, la doctrine ou l’exhortation biblique du guide, les intercessions, les collectes, la prière d’action de grâce suivie parfois, lors des veillées, des agapes fraternelles 1543 .

Les témoignages reçus accompagnés des sermons du Pasteur lors de la liturgie contribuent à obtenir des conversions. Selon l’expression d’Anyenyola, les sectes sont devenues un lieu de la pratique et de l’apprentissage de la conscience morale du peuple, du sens de la responsabilité et du devoir dans la société, de la crainte du péché et du châtiment qui s’en suit, et un lieu d’enseignement religieux 1544 .

Du point de vue psychologique et social, les sectes sont devenues les lieux où certaines personnes expriment leur révolte ou compensent leur déception de l’Eglise catholique quand leur intégration devient difficile, notamment à cause de leurs situations irrégulières aux yeux du catholicisme. Grâce à leur sens de l’accueil, de la solidarité, de l’écoute et de la compréhension des personnes, les sectes favorisent la réussite sociale et professionnelle. Elles sont devenues un moyen d’accès à l’emploi, de promotion religieuse et de satisfaction affective. Insistant sur la foi et la prière qui opère des miracles, ceux qui éprouvent des problèmes conjugaux trouvent parfois dans les sectes des solutions. Les personnes qui ont eu des difficultés à avoir des conjoints ou conjointes peuvent en trouver dans les sectes qui sont supposés être envoyés pat Dieu 1545 .

Les sectes ont encore cet avantage d’obtenir non seulement la conversion des adhérants mais d’établir un certain équilibre social en rétablissant la fidélité des conjoints désunis et même en cherchant à remédier à la stérilité du couple, en proposant la médecine traditionnelle 1546 . Par ailleurs, les sectes essaient de fournir à l’homme un lieu où il peut se sentir chez soi -a place to feel at home 1547 -.

Ils développent un sentiment d’appartenance à la communauté en sorte que le chrétien qui était anonyme dans les grandes assemblées dominicales, une fois membre de la secte, il acquiert un rôle, trouve une identité, reçoit des tâches à accomplir. Du point de vue politique et économique, plusieurs adhérents aux sectes, selon l’analyse de Mwene Batende, trouvent que le pouvoir politique comme l’Église missionnaire sont devenus incapables de satisfaire aux aspirations profondes du peuple. La solidarité et la fraternité entre les membres poussent les adeptes à se prendre en charge et à être solidaires entre eux 1548 . Les adeptes cherchent à trouver des ressources financières par la voie des collectes, la dîme, les cotisations mensuelles, et les aumônes. Pour les propriétaires terriens, les adeptes deviennent momentanément une « main-d’œuvre » presque gratuite 1549 , à cause de la solidarité et la gratuité qui existent chez les membres d’une même secte.

Dans une situation politique et économique en crise, le leader spirituel prône un messianisme religieux à caractère biblique qui place au centre les questions de justice et de paix. Il prêche une spiritualité à caractère apocalyptique qui suscite l’espoir d’une société de prospérité et de bénédiction tant matérielle que spirituelle. À partir de ce modèle, les adeptes cherchent à trouver des solutions à leurs différents problèmes. Par ailleurs, le leader spirituel propose une réorientation de la vie aux personnes désemparées afin qu’elles commencent la vie des temps nouveaux. Cette nouvelle vie prometteuse d’avenir n’est possible que si on a préalablement « re-interrogé » la situation présente 1550 .

Dans les années avant l’indépendance (1960), le christianisme fut accusé d’être « l’opium du peuple » car « il maintient les chrétiens sous l’obscurité (kuacha watu katika giza) ». Les observations de Sidbe Sempore étaient vérifiables dans le diocèse de Butembo-Beni.Le christianisme était perçu comme une religion des commandements à observer, des livres à lire, et des chants non rythmés à la sensibilité culturelle du peuple à exécuter. Bien plus, cette religion du dimanche réservait peu d’activités en semaine en dehors du catéchuménat, et parfois des conseils paroissiaux et pastoraux tandis que le peuple aspirait à son bien-être temporel et spirituel 1551 .

En définitive, les sectes cherchent à re-organiser la vie dans toutes ses dimensions en essayant d’adapter le christianisme à la vie, aux aspirations de l’homme et à la culture. Dans cet effort de continuité et de discontinuité, les sectes et les nouvelles religiosités empruntent au christianisme la Bible, certains sacrements comme le baptême, ses structures d’organisation, ses objets cultuels comme l’autel, l’eau bénite.

Elles adoptent la croix comme signe distinctif, et interprètent le dogme de la Trinité selon les besoins sociaux. De la culture ancestrale, ils réintègrent les chants, la danse, les cris stridents, des scènes de guérison, le tam-tam, les scènes de possession par l’esprit, les modèles de comportements moraux comme la solidarité et la fraternité, et l’art oratoire. Ces efforts, selon Mwene Batende, visent à fournir un équilibre humain et spirituel, à établir une paix intérieure, une sécurité religieuse, politique, sociale et économique, et à procurer une certaine mystique et spiritualité 1552 .

Ces confessions religieuses 1553 sont de plus en plus répondues dans le diocèse de Butembo-Beni qui, en 1994, fournit ces statistiques :

Dénominations Nombre Dénominations Nombre Dénominations Nombre
Catholiques 850 000 Orthodoxes 10 Anglicans 13965
Protestants 267 679 Adventistes 76 795 Kimbangu. 4 649
Kitawala 2 513 Témoins de J 17 080 Islam 5 546
Sectes 29 991 Religions traditionnelles 458721 Population 1750000

Les membres de ces différentes confessions religieuses recrutent parmi les catholiques et essaient de gagner à leurs causes les catéchistes, les lettrés, les petits ou les grands séminaristes 1554 . Suite à des promesses financières qui, d’ailleurs, n’ont pas été réalisées, plusieurs petits séminaristes, ainsi que des étudiants en philosophie ou en théologie ont abandonné ces institutions catholiques. Malgré leurs déceptions, les Églises protestantes et les sectes transmettent la certitude du salut que les catholiques ne semblent pas accorder aux chrétiens dans leurs sermons, leurs homélies et leur théologie.

En plus, elles ont une propagande active et atteignent les masses dans les places publiques jusqu’aux marchés et aux carrefours des chemins. Leur politique de dénigrement de l’Église catholique dans ses chefs comme dans membres, et leur doctrine obtient des résultats chez certains fidèles. Par ailleurs, leur méthode persuasive auprès des prosélytes, leur sollicitude en matière de finances ou de relations humaines fraternelles dans un contexte de déséquilibre social, attirent des adhésions. Leur syncrétisme religieux qui mêle la croyance en la Trinité, aux anges, aux démons, à la vie de l’au-delà, leur vie de prière et leur vénération de la Vierge Marie sont de nature à troubler les chrétiens 1555 . Mais, ils incitent aussi le christianisme à repenser son message, à l’actualiser et à l’acculturer.

Notes
1542.

Une cité urbaine de 11 km² compte plus de 70 sectes. Enquête faite par l’auteur de ce texte avec les étudiants de l’Université Catholique du Graben lors de notre charge d’aumônier (1998-2002)

1543.

Kakule Ngoliko Athanse WASWANDI, « L’éthique des ‘Nouveaux groupes religieux’ comme valorisation religieuse de la quête sociale à Kinshasa, » dans Cahiers des Religions Africaines 27-28(1993-1994)n° 53-56, p. 524-525.

1544.

W. ANYENYOLA, Les communautés prophétiques africaines en milieux urbains zaïrois dans C.R.A. 27-28(1993-1994) n° 53-56, p. 317.

1545.

Témoignage reçu des catéchistes dans notre ministère pastoral (1986-1991)

1546.

NDEKE NGUNZA, L’altérité des sectes : un défi, dans Cahiers des Religions Africaines 27-28(1993-1994)n° 53-56, p. 70-71..

1547.

EBOUSI BOULAGA, Christianity without fetish. An african critique and recapture of christianity. New York, Maryknoll, Orbis Books, 1984, p. 61.

1548.

MWENE BATENDE, Les sectes : un signe des temps ? Essai d’une analyse sociologique des ‘religions nouvelles’ issues du christianisme, dans Cahiers des Religions Africaines 27-28(1993-1994) n° 53-56, p. 39.

1549.

W. ANYENYOLA, op. cit., p. 318.

1550.

MWENE BATENDE, op. cit., p. 40-41.

1551.

SIDBE SEMPORE, The churches in Africa between past and future, dans Claude GEFFRE and B. LUNEAU (ed), The churches of Africa, future Prospects, New York, A Cross Road Book, 1977, p.10.

1552.

MWENE BATENDE, op. cit., p. 39-40.

1553.

AP. DIOC,12: Ces statistiques de 1994 qui ont été à notre portée. Les chiffres sont très approximatifs..

1554.

Témoignages d’anciens amis séminaristes convertis à ces mouvements religieux

1555.

Enquêtes de l’auteur lors des sessions jubilaires de l’an 2000.