5.4.2. L’incarnation du Dieu sauveur en Jésus-Christ et son mystère

Le mystère de la Vierge Marie est intimement lié à celui du Christ, le sauveur. La religion traditionnelle nande avait une vision d’un Dieu sauveur (Musavuli), c’est-à-dire qui tire du danger, de la corruption. La conception nande du salut et du rachat est plus forte que celle du christianisme. Le mot musavuli provient de « esavo » qui est l’amas des grottes de chèvres et des déchets des porcs mis en ensemble pour constituer le fumier pour le champ.

Ainsi, sauver une personne, c’est retirer quelqu’un englué dans le fumier qui symbolise une situation inhumaine, déplorable et sans issue. Cette mentalité est à l’origine de l’expression qui est apparentée au fumier : tirer quelqu’un des cendres (erilusya omundu yomolivu) qui signifie aussi sauver.

Ce rapport avec le salut fait comprendre aux Nande la grandeur du mystère de l’incarnation et du rachat en Jésus-Christ. Ce mystère de l’incarnation, au temps de Noël, avant le Concile Vatican II, était exprimé dans un chant montrant l’abaissement extrême (kénose) de Jésus-Christ que « le Fils de Dieu est descendu chez nous, et s’est assis dans la cendre » : Omwana w’omungu kamwakim’ewetu amasyikal’omwivu.

La croyance au salut en appelait aussi au qualificatif Nyavawire, c’est-à-dire celui qui se penche sur les malheurs des hommes, et éloigne la misère. C’est pourquoi, avec cette vision du salut, on pouvait évoquer un autre attribut divin Muteluli, celui qui change les situations : de la misère matérielle, sociale ou spirituel à un plus être.

Les rapports de Dieu avec l’homme dans sa vie quotidienne et dans les évènements du monde étaient plutôt pratiques que spéculatifs. L’enseignement du catéchisme constitue alors une nouveauté et un mystère. Pour les Nande, il était impensable que Dieu s’incarne et prenne chair dans une femme. Cette doctrine, culturellement parlant, fut ressentie comme un blasphème 1565 .

De cet enseignement sur l’incarnation de Dieu découlèrent d’autres notions : la consubstantialité dans laquelle Jésus est considéré comme « vraiment Fils de Dieu et vraiment Dieu » (Mwana wa Mungu na ni Mungu kweli). Les merveilleux récits de l’enfance de Jésus-Sauveur, son baptême du Seigneur, et l’épiphanie avec les rois mages (majusi), portaient l’esprit à l’avènement d’un nouveau roi. Ce dernier inaugure une nouvelle ère de paix, d’abondance, de bénédictions ancestrales, de prospérité et de paix 1566 .

Cette appréhension du christianisme se renforçait par les thèmes principaux développés autour de la vie du Christ. Il prêchait le royaume de Dieu, l’amour de Dieu et des hommes qu’il manifestait par les miracles et la prière. Le catéchisme insistait sur la relation de Jésus-Christ avec Dieu et en donnait des implications morales : une vie pour le Dieu, le Père, et le commandement de l’amour.

La relation de Jésus-Christ avec son Père évoquait chez les personnes qui entamaient le processus d’adhésion au christianisme la dimension de la consultation des ancêtres et du Dieu-Nyamuhanga. De cette relation de prière, sortaient des options : son enseignement, les miracles, l’acceptation de la croix, et même le choix des apôtres (mitume ou avakwenda) pour perpétuer ses messages 1567 . Les apôtres sont les piliers (amakatsi), c’est-à-dire les envoyés du roi et porteurs de son message, bien connus dans la tradition ancestrale.

Indépendamment de cette relation entre la culture et l’enseignement du christianisme, Jésus-Christ, dans le catéchisme, est identifié comme le Fils de Dieu fait homme pour montrer aux hommes le chemin qui mène vers le Père, pour enlever les « péchés du monde », sauver les hommes et pour les rendre fils de Dieu qui est Père de toute l’humanité, à la manière d’Abraham le père des croyants.

Une autre nouveauté dans la culture nande est la relation de la personne humaine avec le Fils de Dieu dans sa passion. Son offrande au Père sur la croix comme un acte d’obéissance était bien tolérable. Mais, son identification à Dieu qui meurt pour les hommes est un mystère difficile à accepter 1568 . Dieu ne peut ni souffrir ni mourir. C’est pourquoi, la résurrection, l’Ascension du Christ et l’Assomption de la Vierge Marie furent plus facilement reçus dans l’enseignement des missionnaires car les « personnes de Dieu » ne peuvent pas mourir 1569 .

L’enseignement du catéchisme qui relate le repas pascal du jeudi saint compris comme une célébration d’adieu d’un père de famille avec ses fils, un mémorial et un testament (omulaghano), la passion, la crucifixion, le sacrifice d’un grand prix (eriyihembera) demeurent mystérieux. Sur ce passage de la mort à la résurrection, l’enseignement chrétien présente le Christ- sauveur, le Seigneur, le premier-né d’entre les morts, le nouveau Moïse, la nouvelle alliance, le rachat, la résurrection, l’Ascension. Il termine son instruction sur la relation du Christ avec le Saint Esprit et la Trinité (erikinga l'yovusatu vuvuyirire) qui restent insaisissables pour les chrétiens.

Certes, les sept dons du Saint Esprit sont compris comme une vie de grâce de Dieu (esyongeve sya Nyamuhanga), mais cet Esprit Saint demeure toujours un envoyé de Dieu, comme Jésus-Christ, dans la mentalité des catéchistes et des chrétiens. Cependant, le peuple se représente la Sainte Trinité comme une cruche qui ne peut que tenir sur trois pierres (esyomberekerero). Il peut aussi employer l’image de cette plante (nyavusatu, source de trois) qui donne des brindilles de trois branchettes.

Notes
1565.

Nous analyserons cet aspect dans les différentes sortes de péché dans l’éthique nande dans les suivants paragraphes.

1566.

Nous avons déjà souligné ces aspects dans le premier chapitre qui parle de la vie culturelle nande.

1567.

Témoignages de deux carrefours sur les sessions jubilaires de l’an 2000 dans les paroisses de Vulema et la cathédrale de Butembo (avril 1999).

1568.

Lors de notre ministère pastoral à Mbau, une maman nous reprocha de parler d’un fils de Dieu qui fut tué. Cela est pour elle un affront contre Dieu. Elle pensa, comme les pygmées, que nous avons tué une personne dans la ville de Butembo, que nous présentions à tout le monde comme un fils de Dieu.

1569.

Témoignage des catéchistes et responsables des communautés chrétiennes à Vulema lors de nos sessions jubilaires de l’an 2000. Butembo, mai 1999.