5.5.4. La messe et l’eucharistie

Pendant que le catéchisme insiste sur la théologie de l’Eucharistie, les thèmes consacrés aux prières tout au long de sa célébration dégagent son aspect spirituel 1600 . La sainte messe est définie comme « la meilleure chose au monde ». Jésus-Christ offre à Dieu son corps et son sang pour le louer, lui rendre grâce, expier pour les péchés du peuple et demander pardon pour l’humanité. Par ailleurs, la messe est un sacrifice pour les vivants et pour les morts ; elle aussi une source de bénédiction maintenant et toujours pour les chrétiens.

Ce préambule est développé dans de petits textes illustrés par des images qui expriment le déroulement de la messe. Ces petits commentaires suivis de prières invitaient à une participation personnelle à l’Eucharistie pendant que le prêtre célébrait la messe en latin. Les thèmes développés dans ces commentaires liturgiques ont trait à l’union et à l’offrande du chrétien avec celle du Christ. Par ailleurs, lors du confiteor (Namwungamia/Ngavikulira en swahili et kinande), cette introduction à la messe attire l’attention du chrétien sur les vertus théologales de foi, de charité et d’espérance dans lesquels Dieu est médité comme vérité, pardon, et bonté sans limites.

Ensuite, on exécutait les chants Asperges me, Kyrie, et Gloria qui sont des terminologies nouvelles, pas encore traduites dans les langues vernaculaires. Certains chantres dans les paroisses fournissent la traduction au début de ces chants : « lave-moi avec l’hysope » (unisafishe na isopo), rite compris comme celui de la purification dans les cultures africaines, « Kyrie eleison : Seigneur, prends pitié (Bwana utuhurumie/Mukamu utughanyira)», et Gloria in excelsis Deo, simplifié selon les tournures linguistiques en swahili par « gloire à Dieu : Sifa kwa Mungu » et en kinande par « gloire au ciel : ovusik’embyani).

Cependant, le livre de prières, qui était utilisé dans les Missions des Spiritains au Congo-Kinshasa) ajoute cette particularité que pendant la récitation du Kyrie il faut que les chrétiens pensent au Dieu-trinitaire pendant qu’ils glorifieront Dieu avec les anges qui ont annoncé à la Vierge Marie la naissance du Sauveur 1601 .

Ce livre, extérieur au diocèse, a été introduit par des chrétiens qui ont immigré dans les diocèses voisins lors des travaux agricoles ou miniers exigés lors de la colonisation. Certains, dans les centres extra-coutumiers pouvaient devenir des catéchistes. À la fin de leurs prestations, ils revenaient dans leur contrée d’origines avec leurs manuels. Dans les villages éloignés des postes des missions, ils s’en servaient dans les petites communautés chrétiennes qu’ils initiaient parfois 1602 .

Tous les livres de prière à connus s’accordent sur le fait que, pendant les lectures, les chrétiens renouvellent leur obéissance aux enseignements de la Bible et de l’Église 1603 . Par ailleurs, durant la préface désignée comme » la grande prière (sala kuu/omusave mukulu) » le prêtre demande à Dieu d’accepter le sacrifice offert par le Christ et par l’assemblée pour laquelle il prie. Durant ce temps, les fidèles pensent aux membres de leurs familles, aux personnes pour lesquelles on veut prier. Bien plus, le fidèle adore, à Dieu, demande pardon à Dieu car le péché est une « recrucifixion du Chrsit », et il rend grâce.

Enfin, le temps de la communion est celui de réciter à voix basse la prière pour demander la foi, l’espérance et la charité, le temps de réciter la prière de l’humilité (sala ya unynyekeo) dans laquelle on demande à Dieu d’écarter les péchés liés aux mauvais penchants (tamaa mbaya). Après la communion, le fidèle adore de nouveau, rend grâce et s’offre à Dieu pour « devenir objet de Dieu : niwe kitu chako 1604  ».

À la fin de la messe, il est recommandé aux chrétiens de rester pour un temps de méditation durant lequel ils réciteront la prière au pied de la croix, et celle des indulgences 1605 : « Cœur du Christ, sanctifie-moi ; Corps du Christ, sauve-moi ; Sang du Christ, abreuve-moi : Roho ya Kristu, unitakase ; Mwili wa Kristu, uniopoe ; Damu ya Kristu, uninyweshe ». Cette pratique de la messe dans ces livres de prières 1606 se situe dans la période après la seconde guerre mondiale (1946) et le renouveau liturgique du concile Vatican II.

La génération après le concile utilise moins les livre et se contente de suivre les cérémonies qui se déroulent. La parole du prêtre lors de l’homélie, les chants et les annonces de la vie paroissiale sont autant des moments forts de sa méditation, de son ressourcement et de son engagement dans la vie chrétienne, communautaire ou paroissiale 1607 . La vie de prière et la participation fréquente à l’Eucharistie avaient d’autres corllaire : les diverses dévotions au Christ, à la Vierge Marie et d’autres prières particulières et circonstancielles.

Pour les chrétiens de la première période, le sacrifice de la messe évoquait aussi le grand sacrifice annuel durant lequel le grand sacrificateur, le roi, demandait le pardon pour les péchés de peuple, l’offrait à la protection divine et des ancêtres, et demandait la bénédiction pour tout son royaume. Celle-ci se manifestait par la prospérité du pays et se concrétisait par la fécondité du genre humain et animal ainsi que la fertilité du sol (erihamula evyalya).

Les chrétiens qui viennent communier au moins une fois l’an au temps pascal, selon les commandements de l’Église, gardent cette sensibilité culturelle. L’agneau pascal est pour eux le mouton de Dieu (ekiyibungya) offert le jour du grand sacrifice pour expier les péché. La communion est le repas festif qui suit le sacrifice. La pratique quotidienne de la messe peut aussi être routinière de sorte qu’il y a une différence de sensibilité entre les chrétiens fervents, ceux qui participent à la messe chaque dimanche, et ceux qui communient une fois l’an 1608 .

Notes
1600.

Akatikisimo omo kinande, Q 123-141 ; A. DIACRE, Q. 79-81.

1601.

Kitabu cha sala, Missions des Pères du Saint-Esprit au Congo-Belge, op. cit., p. 14.

1602.

Constat de l’auteur dans les villages limitrophes de la paroisse de Mbao à Avey, à Bahiti, et à Batalinga lors de son ministère pastoral (1986-1991). Ces villages sont constitués d’agriculteurs. Certains chrétiens déclarent avoir reçu le baptême à Bunia ou en Ouganda, missions dirigées par les Pères Blancs, tandis que ceux qui ressortaient de Kindu provenaient d’une mission spiritaine.

1603.

Ekitabu ky’emisave, op. cit., 20-30; Kitabu cha sala, Vicariat apostolique de Stanleyville, op. cit., p. 27-57.

1604.

. Kitabu cha sala, Missions des Pères du Saint-Esprit au Congo-Belge, op. cit., p. 17.

1605.

Ibidem, p. 19.

1606.

Ces anciens livres existent encore et sont légués à la descendance du propriétaire. Celui qui en possède un exemplaire l’utilise lors de sa prière personnelle ou collective. Les références de ces livres se trouves au début du paragraphes sur la prière soit au n° (voir numérotation définitive)

1607.

Observations personnelles de l’auteur lors des conseils de paroisse de Mbao (1986-1991).

1608.

Témoignages de Mgr Théophile Nzughundu, de Mgr Emmanuel Kahongya et de l’Abbé Vincent Kalume, directeur de centre catéchique de Butembo, en août 1998.