5.5.5. Les dévotions

La liturgie de la messe avait un autre corollaire : la dévotion au Christ. Celle-ci est était présentée dans la litanie du Nom de Jésus qui comportait 39 attitudes du Christ. Cependant, la dévotion qui a été répandue le plus fut celle Sacré-Cœur de Jésus que nous retrouvons dans les Synodes des Pères Déhoniens en 1922 et 1934. Elle fut reprise par les Pères Assomptionnistes (1929) et par la suite par le clergé diocésain.

Cette dévotion au Sacré-Cœur de Jésus constitue comme la prière, et l’enseignement du catéchisme une méthode d’évangélisation pour les missionnaires, les membres du clergé. Pour initier les chrétiens à cette dévotion, les missionnaires et catéchistes racontent certains récits sur la vie de sainte Marguerite-Marie… et des apparitions du Sacré-Cœur.

Les conséquences qu’ils en tirent sont l’abondance de grâces pour ceux qui vénèrent le Sacré-Cœur de Jésus, pour ceux qui pensent à son grand geste d’amour, le salut de l’humanité, et pour ceux qui le reçoivent dans l’Eucharistie. « À l’amour, il faut répondre par l’amour, kumrudishia Yezu mapendo yake». Bien que la traduction littérale en vogue relate « qu’il faut remettre à Jésus sa volonté », les fidèles comprennent qu’il faut accomplir la volonté du Christ.

L’accomplissement de cette volonté du Christ se manifeste par la fréquentation des assemblées ecclésiales (Église), la communion eucharistique fréquente, la prière pour ceux qui ne respectent pas le mystère de l’Eucharistie, la prière pour « les mauvais chrétiens » qui communient sans état de grâce, et pour les rénégats (walio hasi dini).

L’amour témoigné au Christ se manifeste aussi par le respect rendu à l’image du Sacré-Cœur qu’il faut placer au domicile et qu’il faut l’orner. Le catéchisme enseigne qu’il faut voir derrière cette image le gardien et la source de bénédiction pour la maison ou des lieux où elle repose. Les dévots, à travers cette image, contemplent le Christ, Seigneur et Roi de l’univers 1609 . À toute occasion, il est recommandé que les fidèles prient auprès de cette image, que tous les premiers vendredis du mois, ils communient avec vénération après une veille dans la prière du jeudi pour « consoler son cœur » en pensant à son agonie.

Les promesses du Sacré-Cœur de Jésus peuvent avoir séduit les fidèles. Il est enseigné que le Sacré-Cœur de Jésus protège de tous les dangers les fidèles qui le vénèrent, et les aide à être fidèles à leurs engagements baptismaux. Il donne aux époux de vivre en paix dans l’amour, et aux catéchistes la grâce de convertir les personnes au christianisme.

Bien plus, il sera le refuge des bons chrétiens lors de leur mort car ceux qui enseignent cette doctrine sont inscrits dans cœur. Enfin, mourront en état de grâce ceux qui communieront neuf fois successivement les premiers vendredis du mois 1610 . Une autre manière de concrétiser cette dévotion fut la récitation de 33 qualificatifs de la litanie au Sacré-Cœur de Jésus (litania ya Moyo Mtakatifu wa Yezu/litania ly’Omwenyo Muvuyurure wa Yesu), et la pratique du chemin de croix (njia ya msalaba/enzira y’omusalaba) en privé au temps ordinaire, et en communauté ecclésiale les vendredis du carême,.

Une seconde dévotion introduite par les missionnaires fut la dévotion à la Vierge Marie présentée comme la mère des cœurs des fidèles. La particularité qui transparaît dans le livre de prière des Prêtres du Saint-Esprit est l’affirmation selon laquelle : « Si tu ne veux pas aller en enfer, il ne faut pas manquer d’implorer la Vierge Marie, de porter le scapulaire (scapulario/tasbihi), le chapelet (sapuli) ou une de ses médailles (meday/mundali) 1611  ». Bien plus, il fallait la vénérer chaque samedi de la semaine et tous les jours des mois de mai, d’août et d’octobre.

Afin de nourrir la dévotion à la Vierge Marie, les missionnaires du diocèse de Butembo-Beni enseignaient les trois mystères du Rosaire, joyeux, douloureux et glorieux et à chaque dizaine apprenaient les vertus chrétiennes à implorer. Le Père Lieven Bergmans en 1972 enrichit cette récitation du rosaire (rozari/orasali) en y incluant des passages bibliques sur lesquels les fidèles faisaient leur méditation avant de formuler les grâces à demander 1612 . Dans la récitation du rosaire, les missionnaires ont traduit les mystères par matendo, en swahili, ou amategheko en kinande. Ce choix fut dirigée par l’engagement concret que chaque mystère demandait aux fidèles 1613 .

Dans la méditation des mystères joyeux (matendo ya furaha/ amategheko w’ovutseme) qui comprend l’annonciation, la visitation de la Vierge Marie à Elisabeth, la Nativité du Seigneur, de la Présentation au temple, et du recouvrement de Jésus au temple, les fidèles demandent successivement la grâce de l’humilité, de la charité fraternelle, de la pauvreté de cœur, de la pureté du cœur, et de l’obéissance.

Les mystères douloureux (matendo ya uchungu/amategheko w’ovulumi) évoquent l’agonie de Jésus au jardin des Oliviers, sa flagellation, son couronnement d’épines, le portement de la croix, et sa mort sur la croix. Les chrétiens portent leur attention sur les attitudes du repentir, de la fuite du « mauvais plaisir du corps », d’abandonner les péchés, de supporter ses propres souffrances, et sur « celle d’abandonner carrément le péché ».

Enfin, les mystères glorieux développent (matendo ya sifa/ amategheko w’ovusike) les thèmes autour de la résurrection (ufufuko/erisuva (eriluvuka) : revenir à la vie), de l’Ascension, de la Pentecôte, de l’Assomption, et du couronnement au ciel. Ces derniers termes n’ont pas d’équivalent dans les langues vernaculaires, le swahili et le kinande.

Ils sont traduits littéralement : Jésus monte au ciel, qu’il envoie le Saint Esprit, que Marie est amenée au ciel, et que Marie est la Reine du ciel en recevant la couronne (taji) de gloire. Lors de la récitation de ces mystère glorieux, les chrétiens demandent respectivement les faveurs de la foi, de l’espérance, de la charité, d’aimer beaucoup la Vierge Marie, et d’avoir une bonne mort 1614 .

Ces derniers mystères reçurent un développement du Père Lieven Bergman car les écrits évangéliques ne donnent pas beaucoup de commentaires. Dans le mystère de l’Ascension, il introduisit l’institution de Pierre à ses disciples, la promesse de l’envoi du Saint Esprit, la préparation des places pour les fidèles au ciel par le Christ, son rôle de médiateur à la droite du père, et la désignation de Jésus-Christ par le Père comme le Juge des vivants et des morts.

Le mystère de la Pentecôte fut objet de développements sur le Saint Esprit qui éclaire l’entendement des apôtres et des chrétiens, qui leur communique ses sept dons et allume en eux le feu de son amour. L’Assomption, elle aussi, connut une explicitation théologique selon lequel Marie mourut d’une sainte mort. Avec son corps et âme glorifiés, elle fut accueillie au ciel.

En cette demeure céleste, Marie fut saluée comme la Mère bien-aimée de « Dieu le fils », la « fille bien-aimée de Dieu le Père », et comme « l’épouse immaculée de Dieu l’Esprit Saint ». Enfin, d’après cette théologie, les anges et les saints se réjouissent de la glorification de Marie qui est « Mère et Médiatrice au ciel », qui intercède pour l’humanité au près de Dieu, et en qui l’humanité perçoit le dessein de Dieu sur les fidèles.

Quant au dernier mystère glorieux (matendo ya utukufu), ce sont plutôt les causes du couronnement de la Vierge Marie (« la Vierge Marie reçoit la couronne de gloire : Bukira Maria anapokea taji la utukufu »)qui sont évoquées : sa maternité divine, son amour de Dieu, sa serviabilité aux hommes, sa foi inébranlable, sa pureté immaculée, son obéissance parfaite, son humilité profonde, sa grande patience dans la souffrance, et sa persévérance dans toutes les vertus. C’est pourquoi toutes les générations peuvent l’appeler « Marie bienheureuse à cause des merveilles que Dieu a opérées en elle 1615  ».

La dévotion à la Vierge Marie conduit les missionnaires à la faire aimer à travers ses qualités dans une litanie où elle est évoquée comme mère (nyinya), maman (koyo), vierge (bikira), gardienne (kiviko), reine (mughole), tour (munara). Les autres vertus ont trait au fait qu’elle est le siège de la sainteté, sourde d’amour, maison d’or (nyumba ya zahabu), arche de l’alliance (caisse : sanduku la maagano/erisanduku lya malaghano), porte du ciel, étoile du matin, guérisseuse des malades, refuge des pécheurs, consolatrice des affligés, soutien des chrétiens 1616 .

Cette litanie est ordinairement suivie de la prière de consécration (kujitolea/eriyiherera) à Marie, et du Memorare (-Souviens-toi-) de Saint Bernard dont le titre retenu est « nous recourons à toi (tunakimbilia kwako) ». Cette prière, selon la prédication des missionnaires et des catéchistes, octroie des indulgences plénières si elle est récitée 300 fois de suite 1617 .

Après Jésus et Marie, la prédication missionnaire tourne son regard vers saint Joseph. Dans la litanie, il est évoqué comme le petit-fils de David (mwitsikulu), lumière des ancêtres, fiancé de la sainte de Dieu, gardien de la sainte Vierge, père nourricier de l’enfant de Dieu, grand protecteur du Christ, et responsable de la sainte famille. Sa charité, sa chasteté (usafi/ovweru), sa paix, sa force, son obéissance, et sa fidélité sont autant de vertus qui accompagnent son nom.

Enfin, cette litanie présente saint Joseph, comme un amoureux de la paix, un éducateur au travail, une beauté de la famille, un gardien des vierges (avabikira), le support des clans, le consolateur des pauvres, l’espérance des malades, l’intercesseur (musaviri) des mourants, la crainte pour les satans, et le Gardien de la sainte Église.

La prière réservée à saint Joseph implore son secours et sa protection en cas de tribulation, son regard bienveillant sur ceux qui ont adhéré au Christ, sa grâce et son intercession pour éviter les défauts et pour mieux lutter contre les forces des ténèbres. À la manière dans il avait protégé Jésus contre l’attaque d’Hérode, la prière pour saint Joseph demande qu’il protège aussi l’Église des embûches (mitego) de l’ennemi et de toute peine (misère et souffrance). Cette prière se termine en suppliant saint Joseph de soigner (donner la santé) l’humanité, de lui octroyer le secours de sa grâce d’une vie sainte, d’une bonne mort, et une bonne demeure au ciel 1618 .

Cette dernière dévotion est aussi la moins répandue. Selon les catéchistes, la tendance à préférer l’enfant et la mère au père, et le peu d’insistance des missionnaires dans leur prédication ce personnage lié à Jésus et à Marie dans l’histoire du salut sont à l’origine des réserves à l’égard de ce saint 1619 . Néanmoins, la liturgie lui réserve deux solennités en rappel de son rôle d’époux de Marie (19 mars), et de charpentier, en la fête du travail (1er mai) durant laquelle l’Église du Congo/Kinshasa célèbre la messe votive pour le développement des peuples. Avec les dévotions les plus populaires de Jésus et de Marie, elle est non seulement une prière mais aussi un enseignement complet sur la Sainte Famille.

Outre les prières du jour, la messe, et les dévotions, on rencontre d’autres prières dans les manuels des missionnaires et des catéchistes. Elles sont en relation entre autres, avec les personnes selon les groupes d’âge, selon les circonstances de la vie humaine, selon les intentions des personnes pour demander pardon, pour prier pour les païens, les prêtres, le roi, les âmes du purgatoire et une prière apostolique et de demande des vocations diverses pour toute l’humanité.

La prière conclusive des assemblées (sala ya kuwaombea watu wote) est une supplication adressée au Seigneur afin que les compatriotes et toutes les nations reçoivent la grâce d’écouter la Parole de Dieu, de la respecter, de la garder afin qu’ils la servent dans leur état de vie, et qu’elle engendre de saintes vocations sacerdotales, religieuses, et laïques des catéchistes au service du peuple.

Parmi ces diverses prières, l’imploration du Saint Esprit est la plus répandue. Elle est une reprise du Veni sanctus Spiritus dans lequel les chrétiens demandent la grâce d’aimer ce qui est bon et d’être joyeux de son secours et de son réconfort. Cette supplication est suivie d’une demande de pardon pour les païens (wapagani) désignés par la personne représentative des Noirs (Weusi). Dans cette sala ya kuwaombea watu weusi ao wapagani 1620 , les chrétiens révèlent d’abord leur état de souffrance à cause d’une vie sous la servitude des démons et des sorciers.

Cette prière souvent chantée demande au Seigneur d’envoyer des prêtres missionnaires, des prêtres autochtones (noirs), leurs collaborateurs (wasaidizi : aide), des catéchistes, et des enseignants. Une demande s’adresse ensuite à leur rôle de travailler pour le salut des païens, à la fidélité à leur enseignement par une vie exemplaire et un travail assidu, et aux peines qu’ils endurent au service du Seigneur.

La prière adressée au Saint Esprit se termine par le chant Veni Creatot Spritius, encore chanté en latin, ou par l’imploration des ses sept dons de sagesse (hekima), d’intelligence (akili), de conseil (shauri), de force (nguvu), de science (elimu), de piété (ibada), et de la crainte du Seigneur (uchaji wa Mungu). Ces dons (vipaji) du Saint Esprit ont été mis en musique dans le chant « Viens, mon consolateur (Njoo, wangu mfariji) » afin de faciliter sa mémorisation 1621 .

La prière et les dévotions sont accompagnées par des chants qui suivent ordinairement le cycle et les fêtes liturgiques de l’année représentées dans ce tableau avec leurs traductions en langues locales :

Temps liturgique Traduction swahili Traduction kinande
Avent (attente) Majilio Majilio
Noël Noeli Nwili
Epiphanie Epifania Epifania
Carême Kwaresima Kwadragesima
Pâques Pasaka Pasika
Ascension (montée de Jésus) Asensio (Kupaa kwa Yezu) Esenzio
Pentecôte Pentekosta Pentekosta
Assomption
(Vierge Marie amenée au ciel)
Kutwaliwa kwa Bikira
Maria Mbinguni
Somosio
Toussaint (tous les saints) Watakatifu wote Avavuyirire vosi
Tous les fidèles défunts Marehemu wote Avaholi vosi

D’autres chants anciens 1622 sont en relation avec l’Eucharistie (ekaristia), le Sacré-Cœur, la Vierge Marie, et saint Joseph.

La plupart des chants composés avant le concile Vatican II (1965) sont des traductions en langues vernaculaires sur des airs occidentaux. Cependant, à partir de l’année 1972, le Père Théodard Steegen a composé de livres des psaumes chantés Kwa ngoma na kwa zeze (par le tambour et la cithare) à partir des mélodies des Pygmées. Dès lors, des livres des chants qui puisent le contenu de la Bible et qui revêtent les mélodies africaines sous la censure du Centre Diocésain de Pastorale, de Catéchèse et de Liturgie firent leur chemin 1623 .

Notes
1609.

L’image du Sacré-Cœur était déjà répandue un peu partout dans les maisons, même au temps où les Déhoniens christianisaient la contrée. Cf. . Père Gabriel Grison au Père Léon Déhon. Beni, le 28 septembre 1906, dans Le Règne du Sacré-Cœur, janvier 1907, p. 1-2.

1610.

Kitabu cha sala, Missions des Pères du Saint-Esprit au Congo-Belge, op. cit., p. 145-154 ; Ekitabu ky’emisave, op. cit., 56-60 ; Kitabu cha sala, Vicariat apostolique de Stanleyville, op. cit., p. 93-97.

1611.

Kitabu cha sala, Missions des Pères du Saint-Esprit au Congo-Belge, op. cit., p. 161.

1612.

Lieven BERGMANS, Le Rosaire médité, t. 2. (Ouvrage non édité), 10 pages. Ces méditions furent revues et corrigée par la Sœur Marguerité Wollmar des SMI.

1613.

Information reçue des catéchistes Marcel Kambungu au centre catéchétique de Butembo, et de Léopold Masinda, catéchiste à Kyondo, avril 2001.

1614.

Kitabu cha sala, Missions des Pères du Saint-Esprit au Congo-Belge, op. cit., p. 160-167 ; Ekitabu ky’emisave, op. cit., 66-68 ; Kitabu cha sala, Vicariat apostolique de Stanleyville, op. cit., p. 102.

1615.

Lieven BERGMANS, Le Rosaire médité, t. 2, op. cit., p. 7-10.

1616.

La litanie présente 46 vertus de la Vierge Marie. Les chiffres entre parenthèse représentent les répétitions du nom avec ces divers qualificatifs qualificatifs : mère (4), maman (7), vierge (6), source (3), tour (2), reine (11), et autres (13).

1617.

Kitabu cha sala, Missions des Pères du Saint-Esprit au Congo-Belge, op. cit., p. 160-167 ; Ekitabu ky’emisave, op. cit., 61-65 ; Kitabu cha sala, Vicariat apostolique de Stanleyville, op. cit., p. 98-101.

1618.

Kitabu cha sala, Missions des Pères du Saint-Esprit au Congo-Belge, op. cit., p. 176 ; Ekitabu ky’emisave, op. cit., 67-71 ; Kitabu cha sala, Vicariat apostolique de Stanleyville, op. cit., p. 105-107.

1619.

Réaction des catéchistes de Mbao autour de la préparation pastorale des chrétiens sur les solennités de saint Joseph dans la paroisse de Mbao (1986-1991).

1620.

Kitabu cha sala, Missions des Pères du Saint-Esprit au Congo-Belge, op. cit., p. 160.

1621.

Kitabu cha sala, Vicariat apostolique de Stanleyville, op. cit., p. 112.

1622.

Ces chants se retrouvent à la fin de tous les livres de prière.

1623.

Nous avons déjà parlé de cet aspect dans les œuvres diocésaines au paragraphe qui traite du Centre Diocésain de Pastorale, de Catéchèse et de Liturgie.