5.6.2. Les rites de passage

Lors des funérailles, à son enterrement, la tête du défunt est tournée vers l’Est, vers le soleil levant. Le temps du deuil est un temps où la vie ordinaire des travaux champêtres cesse. Il peut s’étendre sur une période assez longue selon le statut social du défunt. À la levée du deuil, la famille éprouvée prend un bain rituel le matin pour redonner force aux vivants et au défunt devenu ancêtre. Ce bain matinal est suivi d’un sacrifice de réconciliation avec le mort et avec sa famille. Après les funérailles, la famille du défunt consulte le devin pour punir le sorcier, le responsable de la maladie ou de la vieillesse malheureuse qui a emporté le regretté. Le devin invoque Kihara, la divinité judiciaire, pour désigner le sorcier, le malfaisant, afin qu’il soit sanctionné.

Chaque défunt a droit à un enterrement et à un culte de mort spécial selon son statut dans la société, à l’exception des excommuniés. Ce groupe des marginalisés est constitué, nous l’avons dit, par les sorciers, les suicidés, et le mukumbira, c'est-à-dire celui qui est socialement exclu de la communauté à cause des manquements graves comme celui de brûler la véranda, case commune des hommes d’un village, les unions incestueuses, les viols ou les rapts. Les lépreux et les victimes de berbérie ou d’hydropisie ne recevaient pas on plus les rites funéraires car ils étaient considérés comme atteints d’une malédiction divine. Ils sont jetés en brousse ou dans une case sans toit en proie au soleil et aux animaux sauvages.

Le culte des morts comporte une purification, un sacrifice, une danse sacrée et un repas communautaire et festif : “on va à Dieu sans tache et dans la joie”! Ces danses manifestent aussi le rôle que le défunt a exercé dans la communauté qui souhaite qu’il devienne un intercesseur auprès des ancêtres pour le bien-être des vivants 1627 .

Parmi les pratiques traditionnelles, la danse des morts, omukumo, était réservée aux hommes mariés. Il était exécuté sur un rythme de sept tambours dans le village du défunt. Le feu qui servait pour chauffer les tambours servait aussi pour rôtir la poule offerte aux batteurs des tam-tams. Le lendemain de la mort du défunt, les hommes des villages voisins se rendent au lieu de la mort, chacun armé de sa lance, et de son bouclier. Ils font ensuite le tour complet du village du défunt afin d'en assurer la sécurité ou de dénicher un éventuel sorcier caché dans les parages.

A leur entrée dans le village, ils lancent le cri d'ouverture de la danse. Placés en demi-cercle, ils commencent les jeux qui sont un simulacre de combat où tous, à tour de rôle de deux ou trois personnes, doivent participer. Par imprudence ou même parfois par vengeance, il arrivait que certaines personnes soient grièvement blessées. Les hommes négociaient immédiatement la réconciliation entre ces deux personnes.

Généralement, ces danseurs étaient rémunérés par une chèvre et la nourriture qu'ils allaient partager ensemble. Ils revenaient le surlendemain du jour du décès pour présenter leurs condoléances et réconforter par leurs présents ou leur présence les membres de la famille éprouvée 1628 .

La danse omukumo était aussi destinée aux initiés. Les jeunes garçons, avant et après leur grande initiation (olusumba), partent et rentrent au rythme du mukumo. Exécutée comme une danse mortuaire, elle était réservée uniquement aux hommes initiés et non aux femmes ni aux hommes circoncis dans un hôpital, ou dans un dispensaire à moins qu'ils ne se soient intégrés dans le rang des initiés en donnant une rançon (ovutegha) donnée aux anciens et au maître de l’initiation. Aux contraire, ils resteraient toujours considérés comme des incirconcis au même titre que les enfants et les femmes.

Quand un membre du mukumo venait à mourir, tous les initiés s'enfermaient dans la véranda et en bouchaient tous les orifices. Malheur aux non-initiés qui s'approcheraient de ce lieu où tous les hommes sont tenus de garder le secret initiatique que nul ne nous a encore révélé. Il serait châtié par la divinité de la circoncision (olusmba) et frappé d’une mort subite 1629 .

Enfermés toute la journée, ils ont prévu leur nourriture, leur viande boucanée, et leur bière de bananes mûres (akasikisi) pour ne pas crever de faim. De temps à autre, on peut entendre en sourdine et indistinctement leurs voix et des battements de tambours au rythme du mukumo. Ils sortent de ce lieu la nuit et invitent tout le peuple à danser le maghengereghenge.

Une autre forme de pratique mortuaire était la danse engwaki se déroule uniquement durant la nuit. D'allure pacifique, elle sert à éliminer la crainte dans l'obscurité de la nuit en pleine bananeraie. Plus surprenante était la danse ovusingiri réservé encore une fois à un homme marié. C'était l'art de montrer aux autres son art magique, sa puissance d'ensorcellement, de faire mourir et de ressusciter sa victime. Cette danse était exécutée en pleine nuit. Elle se distinguait par son rythme connu des jeunes qui prennent aussitôt leurs dispositions pour se retirer. Cette danse était réservée aux sorciers (avaloyi), aux guérisseurs (avasaki), aux féticheurs (avakumu) et à tous ceux qui, dans leur vie, ont participé à ces pratiques et à cette danse.

En outre,la danse endara, accompagnée par le xylophone, était très populaire lors des grandes solennités à savoir entre autres, l’investiture d’un roi, et le gand jour du sacrifice annuel. Elle servait aussi de rite mortuaire pour un chef, les membres de sa famille et pour les notables. Il commençait au premier chant du coq jusque dans la nuit.

Il existait aussi une danse commune lors des funérailles des hommes aussi bien que des femmes. Selon les régions, elle s'appelle ekilayiro, ou elisole. Elle était essentiellement exécutée par la jeunesse masculine et féminine à l'occasion de la mort des personnes mariées. Enfin, la danse amasinduka, exécutée sur un rythme de sept tambours, battus par des hommes, était essentiellement féminine. C'était une danse monotone que l'on pouvait jouer deux fois pendant le jour l'avant midi et à la tombée de la nuit 1630 .

En définitive, le but des rites funéraires qui pouvaient durer trois à sept jours selon que l'on était pauvre ou riche et un mois pour le chef, était de montrer sa solidarité avec le défunt et la famille éprouvée. C’était aussi un temps fort de rappeler les rôles respectifs que les défunts remplissaient dans la vie familiale. Bien que physiquement morts, ils demeurent vivants auprès des leurs.

Par ailleurs, un homme ou une femme, ayant honnêtement vécu sa vie, selon les normes culturelles et la tradition, ont droit aux funérailles solennelles. Cela s'explique par le respect dû à la dignité de la personne et de sa vie antérieure les défunts mènent une seconde vie dans le séjour des ancêtres qui est un monde sacré.

Du point de vue social, le culte des morts vise à favoriser la communion entre les vivants et les défunts, la cohésion familiale, le souvenir du défunt, la continuité de la vie terrestre dans celle de l’au-delà. C'est la raison pour laquelle, lors des rites funéraires, les anciens règlent les éventuels litiges qui peuvent exister dans la famille.

Ayant défendu la communauté clanique, le défunt fait l’honneur de la famille par sa vie vertueuse de solidarité, de travail, de conformité aux us et coutumes du clan et du village, de justice, de sagesse, et par sa progéniture comme aussi par sa fécondité. Il peut alors être considéré comme un ancêtre et être proposé comme un modèle à la communauté. Sa vie exemplaire devient le but poursuivi par toute la communauté des vivants qui modèlent leur vie sur la sienne. Du point de vue religieux, par le fait qu’ils vivent en paix auprès de Dieu, les ancêtres sont considérés comme des porteurs des bénédictions divines 1631 .

Enfin, les danses et les rites funéraires ont une dimension clanique, communautaire et sociale. Elles trouvent leur fondement dans le fait qu'on doit aller heureux dans le village des ancêtres même si elles servent aussi à dissiper la crainte et l'horreur provoquées par la mort, et à apaiser les mauvais esprits (evirimu).

Au contact avec le christianisme, ces anciennes pratiques et conceptions relatives à la mort ont presque disparu. Certaines sont même ignorées de la jeunesse montante à partir des années 1980. La raison pour laquelle le christianisme les a combattus réside dans le fait que certaines d'entre elles, notamment omukovo et ovusingiri, omukumo, comportent des éléments de violence, de test de puissance surnaturelle, et une croyance aux mauvais esprits.

Par ailleurs, les missionnaires ont cru que ces rites funéraires étaient des occasions de débauche 1632 . Il est difficile de souscrire à ce préjugé d’autant que le temps que le temps des funérailles chez les Nande est un temps de continence sexuelle dans tout le village. Bien plus, la débauche, la fornication et les unions sexuelles illégitimes étaient fortement prohibées, réprouvées et condamnées par la société. Les coupables de ces forfaits ne jouissaient d'aucune estime dans la société. S'ils étaient jeunes, il était rare qu'ils contractent un mariage légitime.

Durant ce temps des funérailles, tous les travaux agraires étaient suspendus et les habitants du village restaient constamment auprès de la famille éprouvée. Celui qui vaquait ordinairement à ses affaires durant ce temps était considéré comme un sorcier, un asocial. On ne pouvait aller au champ que pour prendre les produits nécessaires qui serviront de nourriture durant le temps des funérailles.

Ce temps se terminait par un bain rituel matinal, la coupe des cheveux des membres de la famille éprouvée, et la levée officielle du deuil qui consiste à abattre les troncs des bananiers (eritw'emihiti). Cet abattage de troncs de bananiers ne pouvait se faire lors du deuil, car il était une indication pour le peuple toujours conscient du fait qu'un champ temporairement non entretenu est un singe de tristesse et de mort dans les environs. Ce n'est qu'après ces dernières cérémonies que la vie ordinaire dans le village pouvait recommencer.

Les autres facteurs qui contribuèrent à la disparition des cérémonies et des rites funéraires dans la culture nande au contact avec le christianisme sont d'ordre économique. Les jours de deuil devenaient onéreux pour la famille du défunt qui devait nourrir des visiteurs et ceux qui restaient auprès d’elle pendant plus de trois jours 1633 .

En outre, l'introduction chrétienne des suffrages pour les morts assimilés aux rites funéraires et au culte des ancêtres a remplacé ces pratiques traditionnelles des danses. Le réconfort des prêtres, des catéchistes, des groupes de prières organisés par les différents mouvements d'action catholique, et les diverses chorales ont prit la place l'assistance sociale des danseurs et de ceux qui viennent consoler la famille éprouvée.

Ainsi, les funérailles sont devenues des occasions d'approfondissement de la foi en la résurrection du Christ, premier-né d'entre les morts, de l'espérance chrétienne en la vie de l'au-delà, et de la pratique de la charité par les différents services et offrandes que les différents groupes de chrétiens apportent à la famille éprouvée. Le temps du deuil (maombolezo ou kilio en swahili, ekiriro en kinande, c’est-à-dire les lamentations, les pleurs) est devenu un temps de rassemblement de personnes venues soutenir la famille du défunt et son entourage par la prière et les chants liturgiques de différentes confessions religieuses 1634 .

Le refus des rites de passage vers l’état ancestral impliquait l’opposition aux rites qui s’échelonnent sur la vie de la personne humaine 1635 qui en étaient une préparation. Les cérémonies liées à la naissance de l’enfant sont aussi celles qui constituent l’initiation féminine dont le but était la formation de la jeune épouse à son nouveau statut social de mère (nyinya) et de reine (mughole) dans le foyer. Dans ce processus de refus se dégage nettement l’aspect purificateur et enrichissant du christianisme mais aussi la brisure d’avec la culture des ancêtres. Contre celle-ci, une partie des pratiques est maintenue comme le montre la première étape de cette initiation féminine. Le rite de la procession du panier (erihinga ou erihek’ekitiri) a seulement abandonné le sacrifice aux ancêtres, l’investiture de la future mère, la récolte des produits dans les champs même ceux des voisins, et le repas dont les commensaux étaient exclusivement les femmes, hormis le petit garçon qui symbolisait la présence des maris. Néanmoins, le contenu de ce rite n’a, en rien, modifié : la prise de conscience de l’état adulte de la jeune fille appelée à transmettre la vie, à favoriser l’harmonie conjugale du foyer du clan demeurent les élements-clefs de l’initiation féminine dans cette première étape. Ces éléments en appellent d’autres dont les valeurs sociales de dévouement familial, de maîtrise des coutumes du clan, et de modération dans le langage.

Dans la seconde étape de l’initiation féminine qui est directement liée à la naissance de l’enfant, les pratiques considérées comme païennes ont cédé la place aux valeurs modernes tout en préservant aux valeurs culturelles nande. Ce rite appelé erihulukya ou rite de l’exposition de l’enfant au soleil ne fait plus apparaître le bain rituel pour la purification, ni l’acte de brûler le lit d’accouchement qui signifiait le balayage des tabous qui accompagnaient l’accouchement 1636 . Mais le repas pour remercier la sage-femme qui a accompagné la jeune épouse (ovutsumbirano) ainsi que le repas communautaire entre les femmes (omusangano), forme d’intégration sociale de la jeune mère dans le groupe des mamans, subsiste. Le nouveau-né, qui fait la fierté du foyer et raffermit l’amour conjugal, renouvelle l’alliance matrimoniale entre les deux familles du mari et de son épouse.

Cet enfant reçoit une identité propre par l’imposition d’un nom social qu’il portera toute sa vie. Le sacrifice n’est plus offert aux divinités et aux ancêtres dans le dessein d’écarter les méfaits du sorcier, mais celui de consacrer l’enfant à Dieu. Cette consécration à Dieu est renforcée lors de la célébration du baptême durant lequel le nouveau-né reçoit une nouvelle identité, l’identité chrétienne, et une nouvelle intégration dans la famille de Dieu, l’Eglise.

La dernière étape de l’initiation féminine est constituée de dernières instructions (erikongomerera) préparant directement au mariage 1637 . Il s’agit d’une récapitulation d’instructions reçues de la tante paternelle lors de l’initiation. Le rôle de la tante paternelle est de grande importance car elle renseigne la future mariée aux traditions du clan dans lequel la future épouse vivra désormais durant toute sa vie.

La tante paternelle insiste auprès de la fiancée sur son nouveau statut social d’épouse (muraghane), de mère (nyinya) et de reine (mughole) dans son foyer. Elle entretient cette dernière sur l’art des cultures des champs, de vivre avec son mari, d’éduquer les enfants, et d’agrémenter la vie. Elle traite enfin de la qualité des relations qui doivent s’établir avec sa propre famille, avec la belle-famille, et avec la société 1638 .

Depuis l’introduction du christianisme chez les Nande (1906), ces instructions sont complétées par les agents de la christianisation qui insistent sur quatre valeurs : l’amour (kupendana en swahili/eryanzana en kinande), le respect (kuheshimiana/erisikania), le pardon (kusameheana/erighanyirana), et l’entraide (kusaidiana/eriwatikanya).

Ces aspects, qui figurent déjà dans la culture nande, sont renforcés par l’indissolubilité du mariage qui est traduite, en kinande, par amatsira malwayo, c’est-à-dire le refus ou le renoncement à quitter (son toit conjugal). Cette vision de l’indissolubilité du mariage était déjà exprimée dans les chants (amatakiyo) qu’exécutaient les jeunes filles le du jour des nonces pour féliciter le jeune couple. Le contenu de ces chants était des souhaits de stabilité du foyer, de paix, de prospérité, de fécondité du nouveau couple, thèmes que les parents

L’expression imagée, uhande omutima nga muko, évoque le caractère à savoir supporter les difficultés, jusqu’au bout, à la manière d’une spatule qui supporte la chaleur de l’eau bouillante quand on pétrit la pâte de manioc, de blé ou d’éleusines. Elle implique l’irréversibilité du mariage, et la fidélité qu’on rencontre dans la formule liturgique du mariage qui est devenue courante dans les conversations quotidiennes : « unis dans le meilleur comme dans le pire ».

Cet aspect est enfin renforcée par la formule liturgique et biblique, que personne ne sépare ce que Dieu a uni, car homme et femme deviennent un seul corps (Mt, 19, 5-6). Cette recommandation est toujours comprise comme une ratification de la dot qui scelle l’alliance entre les deux familles qui contactent le mariage après avoir estimé la possibilité de la coexistence des esprits des ancêtres de l’un et de l’autre.

Tel fut aussi le sens et le but du sacrifice offert à Dieu et aux ancêtres le jour de l’installation de l’épouse au foyer quand les parents leur demandaient la bénédiction pour leur fils et leur belle-fille. Cette bénédiction se manifeste dans la stabilité, et l’harmonie du foyer. Cette supplication ressort aussi dans la prière de la bénédiction nuptiale récitée par le prêtre :

‘«Dieu tout puissant, tu as créé toutes choses et dès le commencement ordonné l’univers ; en faisant l’homme et la femme à ton image, tu as voulu que la femme demeure pour l’homme une compagne inséparable et qu’ils soient désormais plus qu’un, nous signifiant ainsi de ne jamais rompre l’unité qu’il t’avais plu de créer. Regarde cette nouvelle épouse qui demande pour elle-même tous les biens de ta bénédiction: qu’elle ne soit que paix et tendresse ; qu’elle se conduise comme les saintes femmes dont parle l’Écriture ; que son époux lui donne sa confiance : en reconnaissant qu’elle est son égale, et qu’elle hérite avec lui de la grâce de vie, qu’il la respecte et l’aime toujours comme le Christ a aimé son Église.’ ‘Seigneur, nous t’en prions : donne à ces nouveaux époux d’être fermes dans la foi et d’aimer tes commandements ; qu’ils se gardent fidèles l’un à l’autre et que leur vie soit belle aux yeux de tous ; que la puissance de l’Évangile les rendent forts et qu’ils soient parmi les hommes de vrais témoins du Christ. Que leur union soit féconde, qu’ils se conduisent en parents justes et bons, et que tous deux aient la joie de voir les enfants de leurs enfants ; enfin, après avoir vécu longtemps heureux, qu’ils parviennent au bonheur des saints dans le Royaume des cieux.’ ‘Que le Seigneur votre Dieu vous garde unis dans un même amour et fasse grandir encore cet amour venu de lui. Que vos enfants soient la bénédiction de votre foyer et vous rendent sans mesure la joie que vous leur donnerez. Que la paix du Christ habite en votre maison et qu’elle règne toujours en vous. Que votre travail à tous deux soit béni, sans que les soucis vous accablent, sans que le bonheur vous égare loin de Dieu. Que de vrais amis se tiennent à vos côtés pour partager vos joies et vousaider dans la peine. Que tout homme en difficulté trouve auprès de vous soutien et réconfort. Que votre foyer soit un exemple pour les autres et qu’il réponde aux appels de vos frères. Que le Seigneur vous guide tout au long de votre vie 1639 ».’

Cette prière de bénédiction en relation avec la culture nande se présente comme une récapitulation des éléments des rites d’initiation qui culminent dans le mariage. La vie ancestrale qui peut être représentée comme le “bonheur des saints”. Selon l’enquête de Palermo Savino, un Père du Sacré-Cœur de Jésus, qui fut missionnaire à Kisangani (Stanley-Falls) dans la Province Orientale, les gens qui se présentent au mariage ne recherchent que cette bénédiction divine qui est une forme de récupération des instructions et de la bénédiction familiale pour le nouveau couple 1640 .

En effet, les instructions sur le mariage chrétien se réfèrent sur certains points essentiels aux aspirations de la personne. L’union légitime entre un homme et une femme, l’unité exclusive et monogamique, l’indissolubilité ou l’engagement à la fidélité pour toute la vie, la procréation et l’épanouissement des époux constituent la clef des enseignements religieux sur le mariage.

Ces principes religieux comportent des devoirs réciproques entre les époux chrétiens. Il s’agit notamment de la communauté de vie, de l’amour fidèle, de l’assistance mutuelle, l’entraide morale et matérielle, et de l’éducation des enfants. Ces aspects rejoignent et prolongent, dans la culture nande, les conseils reçus lors de l’initiation féminine ou masculine. C’est alors que pouvons adhérer à l’enquête du Père Savino Palermo quand il conclut que : « La célébration liturgique à l’Église n’est à leurs yeux qu’une bénédiction accordée par Dieu 1641  ».

Dans nos enquêtes auprès des fiancés, nous avons posé la question « pourquoi vous choissez-vous en mariage ? ». La réponse la plus spontanée est que Dieu l’a voulu. Elle implique, en même temps, que c’est Dieu qui a voulu que tel avec telle fondent un foyer chrétien. En dehors de cette question piégée, il faut comprendre l’influence du milieu, et le fait que le mariage religieux à l’Église catholique, à cause de son indissolubilité et par conséquent à cause de l’intervention du curé et de ses catéchistes, en cas d’un divorce prévisible, devient une garantie sociale pour les fiancées et pour l’engagement durable pour toute la vie 1642 .

Les trois dimensions personnelle, communautaire ou sociale, et divine des rites et, d’une manière particulière, celui du mariage traditionnel y figurent 1643 . L’élément enrichissant provenant du christianisme demeure celui de la foi en rapport avec l’Évangile. Ce rapport transforme et réoriente la relation avec Dieu et les ancêtres dans les sacrifices. En réalité, il y a trois célébrations du mariage : auprès de la coutume, de l’administration de l’État, et du curé. Les conseils répétitifs reçus de ces derniers pendant une demi-heure n’équivalent pas à ceux donnés par la famille et surtout la tante paternelle.

Remplir les fichiers de l’État et les registres du prêtre sont des occasions, pour les fiancés, d’organiser matériellement et spirituellement leur vie de foyer, loin du regard familial, et sans témoin 1644 . Le véritable mariage a été célébré dans la tradition quand la famille de la fiancée prépare la nourriture pour sa belle famille (erisima/remercier). Ce repas marque le consentement des deux familles, bien qu’elles ne soient réunies ensemble, pour offrir les fils et filles en mariage mais aussi leur alliance matrimoniale.

Le triple mariage d’un seul couple est devenu onéreux depuis les années 1980 parce ce qu’il implique trois fêtes qui se prolongent pour les catholiques par le rite ovulionyama, prolongation de la fête de mariage que la nouvelle épouse célèbre dans sa propre famille sans son époux. Cette nouvelle épouse est accompagnée d’un membre de sa famille et d’un autre provenant de la famille de son époux.

Le coût des festivités autour du mariage a fait que les familles, moins nanties, préfèrent célébrer le mariage traditionnel des fiancés, et tolèrent leur cohabitation avant leur mariage religieux ou civil. Cette situation entraîne une sanction juridique contre leurs parents et des concubins. Ils ne peuvent pas communier lors de la messe car « ils entretiennent le paganisme », ou alors ce sont des irréguliers du point de vue catholique.

Il faudra attendre l’année jubilaire pour régulariser ces situations religieuses. En 2000, sur 32 avenues, dans la ville de Butembo uniquement, il y a eu dans une unique célébration, lors de la célébration de la veillée pascale 40 célébrations de mariage dont ces couples avaient des enfants non encore à l’âge de scolarisation. Le facteur qui entraîna ce phénomène fut la décision romaine d’accompagner l’année 2000 des indulgences. La vie chrétienne dépend-t-elle de la pauvreté, de l’indulgence papale ou d’une condition sociale quelque peu réussie qui fait prévaloir la richesse ?

Du point de vue des chrétiens, l’apport moderne du consentement matrimonial devant les agents de l’État pousse certains, en particulier, les agents de l’Administration, à ne plus contracter un mariage religieux. Le mariage civil prend aussi des formes de concubinage (erihwekya) quand des hommes parviennent à inscrire leurs amies dans leurs livrets d’identité, et de polygamie temporaire quand ils sont éloignés de leur toit conjugal 1645 .

Par ailleurs, un autre produit de l’évolution des mentalités réside dans le processus du mariage. Le consentement au mariage est devenu en quelque sorte libre et personnel. Traditionnellement, les parents de deux familles en bonne entente pouvaient marier leurs fils et leurs filles sans les consulter ni recevoir leurs consentements. Depuis les années 1970, ces parents sont souvent mis devant le fait accompli. Même la dot qui était une contribution de la famille du jeune homme est devenue presque une affaire individuelle du concerné. En dépit de ces faits, ces nouveaux mariages n’échappent pas à la sollicitude des parents et à la vie selon la tradition ancestrale.

La négation du culte des ancêtres était pour les chrétiens un refus de l’initiation masculine (olusumba). Ses étapes 1646 consistaient dans les rites d’ouverture (erivutalo) constitués d’une offrande d’une poule aux divinités et aux ancêtres, d’un sacrifice d’un bélier noir, de la malédiction du sorcier, de la jaunisse, et de la paralysie dans les camps de réclusion, les masques et les statuettes du mukumo, et l’interrogatoire énigmatique. Elles ont presque disparu.

L’étape même de la circoncision rituelle (erivania) est réduite à une intervention chirurgicale dans un hôpital, un dispensaire, une maternité, ou à la maison par un infirmier ou une infirmières. Le secret et le mystère autour n’existent plus, ainsi que les neuf épreuves qui véhiculaient des instructions sur des types de rapports sociaux et éveillaient à l’intelligence pratique. !

La disparition des éléments culturels est due au christianisme qui ne peut concilier sa doctrine et sa morale avec les aspects de sacrifice aux ancêtres et la crainte du sorcier qui jalonnent les rites du cycle vital de l’homme. Par ailleurs, la vie citadine fait que la population locale n’habite plus à proximité des champs, et l’encadrement médical des femmes enceintes dans les maternités a contribué à l’abandon des pratiques du rite de la procession du panier.

Dans l’initiation masculine, à ces facteurs s’ajoutent le manque d’initiateurs, l’éloignement de la forêt pour la réclusion, et les exigences de la vie scolaire qui ne peut tolérer une absence de plus trois mois. Outre l’action des missionnaires, l’accès aux hôpitaux et aux dispensaires incite certaines personnes à ne plus se référer aux initiateurs (kipite), d’autres, pour épargner la douleur à leurs fils, préfèrent faire circoncire leur enfant à la sortie de la maternité, une semaine ou dix jours après sa naissance 1647 .

D’une manière générale, les vacances scolaires sont devenues le temps approprié pour les enfants dont l’âge varie entre six ou huit ans. À cause du secret lié à l’initiation masculine, les expatriés ignorent le type d’éducation que les jeunes recevaient durant leur période de réclusion dans la forêt. Malgré la disparition systématique de la circoncision pour un groupe d’enfants dans une région, certains éléments traditionnels demeurent : l’esprit de force pour affronter les difficultés, la prise de conscience de la vie future d’un adulte, l’éducation à la sagesse et à l’intelligence pratique.

Du point de vue social, l’esprit le sens de la solidarité (ovuwatikania), de la donation de soi et de l’effort, l’éducation à la vie communautaire, à la discrétion et à l’esprit d’écoute, le souci de recourir à un sage et d’être solidaire des malheurs et des joies des autres, la maîtrise de soi et le respect de la femme ainsi des anciens et des ancêtres sont, parmi tant d’autres, des aspects que les parents apprennent à leurs fils 1648 .

Notes
1627.

Lieven BERGMANS, Les Wanande, t. 3. Une peuplade aux pieds des Monts de la Lune, op. cit., p. 145.

1628.

Lieven BERGMANS, Les Wanande t 3, Une peuplade aux pieds des monts de la lune. La vie familiale ancestrale, op. cit., p. 145-157. Kakule Ngoliko WASWANDI, Dieu-Nyamuhanga chez les Nande du Zaïre, op. cit., p. 93-113.

1629.

Ce récit, transmis de père en fils, est connu de tous les Nande.

1630.

Nous avons recueilli ces différentes données sur les danses des morts dans les paroisses de Mbao à Mavivi, de Muhangi, à Mukongo, de Musienene à Iremera, village des chefs des Baswagha, et à Masereka. On pourra aussi se référer à l'ouvrage du Père Lieven BERGMANS, Les Wanande, t. 3. Une peuplade aux pieds des Monts de la Lune, op. cit., p. 145 -159.

1631.

Notes personnelles lors des carrefours des sessions du CETHEP en vue de la préparation du jubilé, l’én 2000. Butembo, août 1999.

1632.

Lieven BERGMANS, op. cit., p. 155.

1633.

À cause de divers visiteurs de l’entourage, le chef du village, et les beaux-parents, le régime alimentaire change automatiquement car chaque personne selon sa dignité reçoit un mets spécial. Ainsi, à un oncle maternel ou à un notable, on ne sert pas du poisson mais du poulet. En vue d’éviter d’énormes dépenses, l’abattage des chèvres s’avère approprié. Dans le cas d’une famille nombreuse, c’est plutôt la viande du veau qui facilite le service, surtout qu’elle est consommée par plusieurs personnes qui n’ont pas un régime médical surveillé.

1634.

Observations personnelles de l’auteur

1635.

Nous avons déjà analysé les rites et cérémonies autour du cycle vital de la personne. Nous dégageons dans ces paragraphes les éléments anciens disparus au contact de la culture nande avec le christianisme et les valeurs qui perdurent dans cette même culture.

1636.

Lors de la grossesse, il était interdit à une femme de toucher le crapeau afin que l’enfant ne soitpas atteint de la gâle. Parmi tant d’autres, les interdits alimentaires comme la consommation de la viande du canard pour que l’enfant n’aient pas des pieds plats comme les pattes de la volaille étaient tenus sucrupuleusement.

1637.

Entretiens avec Kighemba Cosmas et Kalemekwa Pierre, respectivement maçon et menuisier, et mes familiers dans ma tendre enfance.

1638.

Lieven BERGMANS, Les Wanande t 2. Croyances et pratiques traditionnelles. Butembo, Edidtions ABB, 1971, p. 81-84.

1639.

Missel du dimanche présenté par Pierre Jounel. Paris, Desclée, 1983, p. 1057-1058.

1640.

Savino P. PALERMO, Mariage et famille, bonheur des humains. Roma, Tipografia, Suore Missionarie di San Pietro Claver, 2001, p. 28.

1641.

Instructions habituelles que nous donnons à nos chrétiens. Cette synthèse se retrouve aussi dans Savino P. PALERMO, op. cit., 24-33.

1642.

Expérience pastorale dans la paroisse de Mbao (1986-1991), et à l’aumônerie universitaire de le l’U.C.G. (1998-2001).

1643.

On peut se référer au sens social et religieux des rites du cycle vital de l’homme ainsi qu’à leurs objectifs dans les annexes de ce travail.

1644.

Dans la culture nande, le fiancé ne parle pas à sa future épouse. Il y a toujours un intermédiaire qui négocie les consentements qui sont ratifiés quand le véritable époux se présentera auprès de sa belle-mère, durant les heures vesparales qui effacent la honte car il est impoli on de regarder vis-à-vis ses beaux parents. C’est une honte liée aux sexe.

1645.

Observations de l’auteur dans son ministère paroissial à Mbao (1986-1991).

1646.

Lieven BERGMANS, Une peuplade aux pieds des monts de la lune, op. cit., p. 65-81.

1647.

À cause de l’aspect éducatif de la circoncision, plusieurs dont Kavyovyoro, un comptable d’un magasin Katasohire, a opté pour faire circoncire ces enfants quand ils parviennent en quatrième primaire. À cet âge, l’enfant (± 12 ans) peut recevoir une formation personnalisée.

1648.

Pour mieux percevoir ce qui demeure dans la culture nande au sujet de la circoncision, on peut se référer au tableau en annexe dans ce travail.