5.7.3. La question de la mission ad gentes

D’après le Magistère de l’Église, la mission lointaine est celle qu'une Église particulière peut rendre à d'autres pour collaborer à l’œuvre de l'évangélisation. Elle se veut une forme de charité qu’une Église locale rend à une autre : « Vous avez reçu gratuitement, donnez aussi gratuitement (Mt, 10, 8) ». La mission ad gentes est, en outre, rapportée à un ordre formel du Christ qui exhortait ses disciples : « Allez donc, de tous les peuples faites des disciples(Mt 28,19) ». Enfin, elle est un signe de maturité d’une Église locale.

Cette théologie de la vie missionnaire rejoint en quelque sorte la sagesse africaine. Un adulte n'est pas refermé sur lui-même, il est appelé à s'ouvrir aux autres et à être fécond pour ne pas encourir le risque de mourir. Depuis 1963, avant même la passation du pouvoir au clergé local, le diocèse de Butembo-Beni s'est ouvert à la mission lointaine.

Ses premiers missionnaires furent les Petites Sœurs de la Présentation. Quinze ans après leur fondation (1948), elles allèrent témoigner de leur état de vie et de l'Évangile dans le diocèse de Kasango, dans le Sud-Kivu du Congo. Les autres autochtones des congrégations religieuses missionnaires ainsi que les membres du clergé diocésain suivirent la même voie en sorte que, en 1996, l'Église locale de Butembo-Beni, par sa présence sur les cinq continents, participe et répond à la mission universelle de l'Eglise.

À partir de 1989, le diocèse connut un nouveau genre collaboration dans la mission lointaine : le jumelage du diocèse avec celui de Noto, en Italie 1682 . Ce jumelage provient du fait qu'un prêtre d'une famille riche avait donné une partie assez consistante de son avoir au diocèse de Butembo-Beni en vue de subsidier certains projets. Il est à l’origine des liens amicaux entre ce diocèse d’Italie avec celui de Butembo-Beni. Comme la collaboration ne pouvait pas uniquement rester au plan matériel, les deux diocèses ont préféré s'unir. Ainsi, commença un début d'échanges qui se concrétisent par des sessions et la présence des prêtres autochtones dans ce diocèse d'Italie 1683 .

Néanmoins, l’ouverture à la mission lointaine ne peut pas s'improviser. La bonne volonté ne suffit pas, il faut aussi la compétence 1684 . Une connaissance préalable de soi-même, des us, mœurs et coutumes des peuples vers lesquels est nécessaire 1685 . Une telle attitude peut être à la source de la collaboration dans la vie d’une Église locale :

‘« Les chrétiens et les autres croyants bâtissent ensemble le Règne de Dieu, chaque fois qu’ils s’engagent de commun accord en faveur des droits de l’homme, qu’ils travaillent ensemble à la libération intégrale de chaque personne humaine, et spécialement les plus pauvres et des opprimés. Ils construisent aussi le Règne de Dieu en promouvant les valeurs religieuses et spirituelles. Dans la construction du Royaume, les deux dimensions, humaines et religieuses, sont inséparables. En fait, la première est signe de la seconde 1686  ».’

Depuis 1964, les ecclésiastiques du diocèse de Butembo-Beni se sont répandus sur les cinq continents comme missionnaires dans d’autres juridictions ecclésiastiques soit dans leurs communautés religieuses respectives. Le tableau suivant nous donne une vision d’ensemble sur la mission lointaine du diocèse :

Zones géographiques Congo-Kinshasa Afrique de l’Ouest Afrique de l’Est Occident et Am. latine Total
diocèses 8 3 3 7 21
missionnaires 48 16 10 10 84
12 pays dont 5 en Afrique et 7 en occident

Tableau statistique de 1996 élaboré à partir des données des maisons provinciales à Butembo.

En ce qui concerne les religieuses et les religieux assomptionnistes leur présence en Afrique de l’Est, au Kenya et en Tanzanie est récente. L’Église catholique y est aussi, comme en Afrique occidentale, confrontée à l’Islam, aux différentes formes du protestantisme, et nouveaux mouvements religieux et aux sectes. Les missionnaires congolais y expérimentent la même réalité. Néanmoins, dans ces pays, plus qu’à Butembo et à Beni, la vision du missionnaire de l’époque coloniale, selon l’expression de Jean-Pierre Badidike du Congo-Kinshasa, n’a guère évolué.

Cette image du missionnaire est encore vérifiable dans les pays africains : « Le missionnaire était le symbole de la prospérité des œuvres auxiliaires à l’évangélisation (enseignement, santé, entreprises sociales…) qui faisaient des centres pastoraux des lieux de rayonnement socio-économique, souvent avec des moyens de fortune. La nouvelle hiérarchie devait, selon l’imaginaire populaire, en reconquérir le secret et le prestige 1687  ».

Cette conception du prêtre ou du religieux dans le diocèse d’origine ainsi que dans les missions en dehors de son pays engendre des prêtres prolétaires, réduits à vivre médiocrement, afin de répondre partiellement aux besoins fondamentaux de leur chrétienté ou de leurs familles 1688 . L’unique consolation pour ces Africains, missionnaires sur le continent africain, est qu’ils ne sont pas considérés comme des expatriés. Après l’apprentissage des langues vernaculaires, ils sont confondus avec les autres peuples de la région 1689 .

Quand ils exercent leur ministère en Amérique latine comme en Europe, ils y trouvent une pastorale dirigée par l’Évêque, qui repose sur les doyennés et ses prêtres avec une forte participation des laïcs. Bien qu’ils soient appréciés, dans les paroisses ou les communautés religieuses, les Africains ressentent que leur ministère est un service de subsidiarité accepté, faute de mieux, par manque de personnel. Ce sentiment devient plus vif quand ils doivent annuellement refaire des papiers administratifs pour obtenir leur titre de séjour, et quand ils éprouvent la difficulté de s’insérer complètement dans une culture, une nation ou une tradition chrétienne des diverses Églises locales.

Cependant, dans les communautés où les religieuses sont souvent au service de la catéchèse, et dans les paroisses les missionnaires africains apprécient la collaboration avec les laïcs, et la préparation personnalisée de ceux qui désirent recevoir des sacrements ou célébrer la messe des suffrages pour les défunts. Néanmoins, ils souhaitent qu’ils soient suffisamment informés d’avance sur l’évolution et les réalités des Églises locales avant de s’y insérer. Pour eux, la mission lointaine est une expérience de l’unité de l’Église, de sa catholicité, et de son universalité. Elle est aussi un moyen pour mieux vivre et comprendre que le christianisme engendre de nouvelles formes de solidarité humaine, religieuse etecclésiale 1690 .

Notes
1682.

Le diocèse de Butembo-Beni, 1998, p. 31-32.

1683.

Information reçue à Kinshasa le 7 juillet 1997 du Père Giuliano Riccadona, Supérieur provincial des Augustins de l'Assomption au Congo, en visite canonique à Kinshasa.

1684.

BENOIT XV, Encyclique missionnaire 'Maximum illud', op. cit., p. 17-20.

VATICAN II, 'Optatam totius' : Decree on priestly formation, October 28, 1965, n°8-10, in W.M. ABBOT, (éd.) 'The documents of Vatican II', Gallacher, J, (trans.). New York, America Press, 1966, p. 444-447.

VATICAN II, 'Apostolicam Actuositatem', o, c., n° 28-32, p.516-520.

1685.

Dialogues informels et souhait des missionnaires assomptionnistes africains à l’Equateur (Amérique latine) en Tanzanie, en Espagne et à Bruxelles (1993-1996).

1686.

Jacques DUPUIS, op. cit., p. 312.

1687.

Jean-Pierre BADIDIKE, « Concept de missionnaire. Perception évolutive au Congo-Zaïre », dans Maurice CHIZA, Monique CONSTERMANS, et Jean PIROTE (dir) : Nouvelles voies de la mission (1950-1980). Actes de la Session conjointe du CREDIC et du Centre Vincent Lebbe (1997. Gentinnes, 1997, p. 307.

1688.

Observations et réflexions communes de différents membres du clergé dans le diocèse de Butembo-Beni et en mission lointaine.

1689.

D’après notre expérience à Nairobi (1991-1993), les Congolais étaient pris pour des originaires de la côte de l’océan Indien, à Mombassa.

1690.

Entretiens informels, en diverses circonstances, avec les missionnaires de l’Equador (Amérique latine), France, Belgique et Italie.