5.7.5. La question de la communication

Tandis que le problème de l'évangélisation soulevait celui de l'inculturation, ce dernier suscite, à son tour, le problème de la communication du message chrétien qui se pose à un double niveau dans le diocèse de Butembo-Beni. D'abord, le diocèse qui fait l'objet de notre étude est bilingue par son usage du Swahili et du Kinande. Mais, ces deux langues ne sont pas maîtrisées par la population du diocèse dans les zones administratives de Beni et de Lubero.

La jeunesse montante, depuis les années 1970, connaît très peu sa langue maternelle, -le kinande-, et les adultes, de leur côté, éprouvent certaines difficultés à parler couramment un bon swahili. D’une manière générale, le langage parlée est devenue un mélange de kinande, de swahili, et du français, selon l’expression d’une langue qui s’applique mieux au contexte du moment et la personne à qui on s’adresse 1723 .

Par contre, les autres ethnies (Balese, Bambumba, Batalinga, Bapere, et autres) ont besoin d'écouter la Parole de Dieu dans leurs langues maternelles qui ne sont pas connues des agents de l'évangélisation. Le problème se pose avec acuité surtout que ces ethnies n'ont pas de catéchistes en nombre suffisant, ni de chantres, ni de personnes consacrées dans la vie religieuse, ni des prêtres 1724 .

Bien plus, les langues utilisées dans la prédication, le swahili et le kinande, ne sont pas suffisamment maîtrisées pat les agents de l’évangélisation. Dans le séminaire ou le collège qui sont les principales pépinières des vocations religieuses et sacerdotales dans le diocèse, il est strictement interdit de parler une langue autre que la langue française dans l’enceinte de l’établissement.

Cette forme de déracinement culturel engendre la honte de parler sa langue maternelle surtout que celui qui est coupable d'un tel forfait est puni et doit travailler à la houe sur le terrain scolaire. Cette punition est une grande humiliation pour un étudiant qui est supposé être émancipé de la vie paysanne et de l’agriculture comme du travail manuel de maçon ou de menuisier 1725 .

Par ailleurs, il existe un fossé entre l'élite intellectuelle, les membres du clergé, et la population, réceptrice du message évangélique. Certains idiomes théologiques sont intraduisibles dans les langues vernaculaires. L’effort de les paraphraser ne donne pas parfaitement le contenu du message 1726 . C’est pourquoi, la population croit toujours que le catholicisme est une religion à mystères et qu’il cache la vérité sur Dieu, contrairement aux protestants et autres mouvements religieux qui s’appuient sur le texte biblique. Cette réalité met en question la formation des agents de l’évangélisation car elle correspond mal au désir des Pères synodaux qui revendiquent la « formation aux vraies valeurs culturelles du pays 1727  » 

Cependant, il ne suffit pas de connaître la richesse positive d'une culture et la langue pour prétendre que l'on se fait comprendre. Une maxime anglaise, « Be silent instead of talking empty words », rappelle qu'il vaut mieux se taire que de proférer des mots vides de contenu et de sens chez l’interlocuteur interpelle aussi les agents de l'évangélisation dans le diocèse de Butembo-Beni.

Dans le domaine de l'évangélisation et de la communication, on suppose que la parole est porteuse d'un message. Certes, le style ou la présentation du message sont importants, mais parfois l'art oratoire, au nom de la maîtrise d'une langue ou d'une culture, paraît superficiel aux fidèles. Ce qui peut entraîner au découragement quand une prédication est critiquée selon ces vocables : « un déluge de mots sur un désert d'idées » qui se traduisent par « omusalala w’evinywa vitemoki », ou plus simplement, « il a beaucoup et bien parlé, mais à la longue, nous ne savons plus de quoi il s’agit-il 1728  ».

Par ailleurs, afin de donner sens à la parole, certains s’efforcent de modeler la prédication sur la vie spirituelle des auditeurs afin de l'éclairer et d’approfondir leur vécu culturel. Cet aspect rejoint le concile Vatican II qui affirmait :

‘« Les jeunes Églises enracinées ans le Christ et construites sur le fondement des apôtres, assument pour un merveilleux échange toutes les richesses des nations qui ont été données au Christ en héritage. Elles empruntent aux coutumes et aux traditions de leurs peuples, à leur sagesse, à leur science, à leurs arts, à leurs disciplines, tout ce qui peut contribuer à confesser la gloire du Créateur, mettre en lumière la grâce du Sauveur, et ordonner comme il le faut la vie chrétienne 1729  ».’

En ce sens, le langage employé est compris quand il est en relation avec la réalité concrète du peuple. À ces conditions, la critique selon laquelle le prédicateur est comparable à « un parent qui mange la banane et donne les épluchures à l'enfant (anakula banana na anapatia makanda mtoto » perd son sens.

Hormis, le problème du langage et de son contenu, le diocèse de Butembo-Beni se heurte au problème des moyens matériels de communication. Des initiatives, en ce sens, ont été entreprises. Dans les années 1940, le Père Marie-Jules Celis, avait édité une brochure Kengele Yetu (notre cloche), le sermonnaire,et Tufuge Wanyama (élevage) dans le souci de promouvoir la vie spirituelle et le développement social du peuple.

Cette initiative fut à l'origine lointaine des Éditions Assomption Butembo-Beni, qui avait reçu, dans les années 1950, des machines d'imprimerie qui furent cédées aux Frères Maristes de Bunia puis au journal Hodi de Katana, à Bukavu, et qui n’ont plus été remises ni compensées à la Vice-province assomptionniste de Butembo 1730 . En 1968, sous l'impulsion du Vice-provincial, le Père Willibrord Muermans, et avec l'approbation de Mgr Emmanuel Kataliko, les Pères assomptionnistes, Marc Champion, Lieven Bergmans, Edgar Cuypers, Jean-Baptiste Meesen, Henri Kies et Stéphan Smulders constituèrent le conseil de supervision qui est à l’origine, sous le patronage de l'Évêque, des Éditions Assomption Butembo-Beni (A.B.B.).

Le but principal de ces éditions était de donner une large diffusion aux initiatives pastorales, catéchétiques, liturgiques approuvées dans la province ecclésiastique de Bukavu ou les diocèses voisins 1731 . C’est pourquoi, en 1972, sous l’initiative de Mgr Emmanuel Kataliko, sont apparues plusieurs publications d’ouvrages édités par Willibrord Muermans, Père assomptionniste, dans le domaine biblique, « Biblia » pour aider les catéchistes et les chrétiens à comprendre les Ecritures saintes. Mais d’autres commissions n’ont pas suivi ce pas 1732 .

Il a fallu attendre la traduction de l'encyclique Familiaris consortio du pape Jean Paul II, en 1982, par le Père Marc Champion, assomptionniste, pour avoir une œuvre pastorale. Celle-ci fut suivie par un ouvrage éducatif mais aussi distractif, la « Nécrologie des assomptionnistes » (1988) décédés au Congo-Kinshasa.

D’une manière générale, à part certains ouvrages culturels 1733 publiés par le Père Lieven Bergmans dans les années 1970, et par le Père Denis Ngendo Malonga (« Emitsye n’emisyo ») dans les années 1980, les impressions des éditions Assomption-Butembo-Beni, servent surtout à l'animation liturgique, et à certains services divers demandés par les citadins, commerçants, inspection des écoles catholiques et des institutions scolaires de l’État, et des agents administratifs du gouvernement.

Par ailleurs, à son arrivée au Congo en 1968,le Père Joseph Delvordre commença à éditer une brochure hebdomadaire paroissiale qui change de nom selon qu'il reçoit une nouvelle nomination. À caractère éclectique, cette lettre de la semaine embrasse le religieux, le pastoral, le social, le développement et parfois les nouvelles nationales et internationales.

Cette brochure ‘Moto’ a pris différents noms à partir des lieux de sa publication qui dépendait des nominations du Père. Elle est à l’origine d'un poste émetteur de radio (RAMEBU) qui a son site à Butembo et une extension à Mbao, puis à Oicha qui fonctionner depuis 1995. Cette radio diffuse même en dehors des frontières du diocèse des émissions sur l'animation religieuse, sociale et participe à la sensibilisation du peuple aux problèmes de développement.

En outre, dans le diocèse de Butembo-Beni, la brochure mensuelle Habari zetu de Kyondo, lancée par le Père Michiel Zeinstra, quelques années après son arrivée au Zaïre en 1979, est particulièrement utilisée car elle bénéficie de la collaboration de plus chrétiens. Elle propose aussi de petits articles de valeur à la portée des gens simples. Par ailleurs, certaines paroisses, selon leurs possibilités économiques, recourent aux diapositives, au cinéma, et à la vidéo en projetant des films religieux comme ceux à caractère éducatif et distrayant.

On songe aussi à former les chrétiens et les agents de l'évangélisation à ce nouveau genre de pastorale et d'apostolat. Néanmoins, les Éditions Assomption Butembo-Beni (A.B.B.), les initiatives privées de presse soit hebdomadaire, soit mensuelle, le théâtre religieux, les émissions de la Radio Moto, celle de Vulumbi, dirigée par les protestants depuis les années 1990, restent constamment des initiatives à promouvoir qui demandent des ressources humaines et financières, et ouvrent au dialogue interreligieux, et de communication au milieu de la population 1734 .

Notes
1723.

Observations de l’auteur de ce texte.

1724.

Partage d’expériences pastorales entre les prêtres du secteur-nord du diocèse dans la zone de Beni : Mutwanga, Mangina, Mbao, Oicha, Eringeti.

1725.

Vécu de l’auteur de ce texte.

1726.

Difficulté commune aux prêtres lors de leur prédication dans les diocèses du Congo : témoignages de mes collègues dans les séminaires interdiocésains (1998-2001) à Bulindi (Butembo), à Murhesa (Bukavu) et à l’Institut Supérieur de Théologie de Philosophie (Kintambo-Kinshasa)(1993-1998)..

1727.

JEAN-PAUL II, Exhortation apostolique 'Ecclesia in Africa', op. cit., n°95, p. 841.

1728.

Dialogue courant des certains chrétiens se communiquant les nouvelles aux quartiers ou aux villages après certaines célébrations dominicales de certains prêtres.

1729.

VAICAN II, « L’activité missionnaire de l’Église (Ad Gentes, 22 dans Paul-Aimé MARTIN, (publ), Vatican II. Les seize documents conciliaires. Montréal, 1967, p. 461-462.

1730.

Témoignage du Père Marc Champion dans nos entretiens informels.

1731.

A.B.B., dans Sint unum (1968) n°16, p. 17.

1732.

Remarque du Père Willibrord Muermans. Bruxelles, août 2004.

1733.

Les principaux ouvrages du Père Lieven Bergmans figurent dans notre bibliographie.

1734.

Constatations de l’auteur de ce texte.