5.7.6. La question du dialogue oecuménique

Le problème du dialogue religieux évoque spontanément l'œcuménisme. Il a une dimension intérieure, en relation avec l’Église locale, et un aspect extérieur, par rapport aux différentes confessions religieuses. Au sein de la même Église locale de Butembo-Beni, le dialogue religieux s'avère important d’abord pour la cohésion interne : l'unité du clergé tant diocésain que religieux autour de l'Évêque, la collaboration entre le clergé et les congrégations religieuses aussi bien masculines que féminines, et l'union de toute la chrétienté autour de l'Ordinaire du lieu.

Par rapport à d'autres confessions religieuses, le dialogue œcuménique appelait à une nouvelle forme d'apostolat dans le diocèse de Butembo-Beni. En effet, depuis 1927, cette Église cohabite avec des différents groupes religieux. Parmi les plus identifiables, nous rencontrons ceux qui appartiennent à la religion traditionnelle, les différentes branches du protestantisme, les sectes, les adventistes, les musulmans, les kimbanguistes, les orthodoxes, la Rose-Croix, les Monistes, les Frères de Jésus, et les Néo-apostoliques 1735 .

Avec les protestants, les relations ont été fluctuantes, et dépendent des pasteurs. D’une manière générale, jusqu’aux années 1980, leur attitude était hostile au catholicisme. Les divisions internes au sein du protestantisme, les « opérations militaires », les rébellions et les guerres d’occupation ont obtempéré les caractères des pasteurs dans leurs critiques portées au catholicisme.

Dans l’ensemble, les relations au sein de la population sont relativement bonnes et la cohabitation pacifique. La polémique religieuse n’a pas de retentissements sur la vie sociale. Cela est dû en grande partie au fait que dans une même famille il existe plusieurs confessions religieuses. La religion ne supprime pas les liens de fraternité, de solidarité et de communion clanique et ethnique. Ce qui incite au respect de la différence.

Dans le diocèse, les principaux lieux de rencontre œcuménique se situent lors de la célébration des grands événements de la vie, notamment la naissance, le mariage, les funérailles, les grandes décisions familiales. On peut aussi ajouter l'aide mutuelle entre les différentes confessions religieuses, l'assistance morale, et les rencontres liturgiques lors des festivités d'ordinations sacerdotales ou des professions religieuses.

On constate une bonne collaboration dans le domaine du développement, la création des écoles et de nouveaux hôpitaux, dans les questions concernant la justice et la paix, dans l'accueil des élèves de différentes confessions religieuses dans une même école 1736 . Toutefois, chez les Adventistes, les élèves et les professeurs sont encore obligés de rejeter leur foi catholique, et d’adhérer à la religion des responsables de l’institution. De même, dans les cas des mariages mixtes entre catholiques et protestants, il est rare que la liberté religieuse de la partie catholique soit respectée. Quant aux musulmans, sans s’imposer, ils infiltrent certaines pratiques de l’Islam dans la population locale : les interdits alimentaires et les ablutions 1737 .

Parmi les rencontres oecuméniques formelles signalées dans les archives diocésaines, nous notons celle du 23 août 1984 tenue à Butembo dans le contexte de l'année jubilaire qui avait pour thème : Rédemption de Notre-Seigneur et année de réconciliation. Le but de la rencontre était de dissiper certains malentendus et certaines frictions qui existaient entre les protestants de la Communauté Baptiste au Kivu (C.B.K.) et les Catholiques. Cette session avait aussi comme objectif de rechercher l’entente et l’estime mutuels, et de témoigner de la foi en Jésus-Christ dans les différentes confessions religieuses.

Les questions soulignées portaient sur les sacrements du baptême et du mariage, les écoles, et sur la promiscuité des différents lieux de culte. Dans le compte rendu des discussions, les catholiques firent remarquer que les protestants rebaptisent les chrétiens et exigent des filles lors des mariages mixtes l’abandon de la foi catholique. Les catholiques reprochèrent aux protestants de ne pas respecter les diverses convictions religieuses des enfants et de leurs parents lors de la scolarisation de la jeunesse. Ces enfants sont forcés de suivre les cours de la religion protestante et de se convertir contre le gré de leurs parents.

Enfin, les catholiques reprochèrent aux protestants le fait qu'ils rapprochent leurs édifices de culte de ceux des catholiques afin de convertir les chrétiens catholiques qui, ensuite, deviennent hostiles à l’Église catholique. Au terme de cette réunion, malgré les griefs des catholiques, le rapport souligne que cette rencontre se clôtura dans une atmosphère détendue, amicale et fraternelle 1738 .

Plus positives furent les deux colloques œcuméniques du 10 mai 1996 et de juillet 1997 organisés au sein du Théologat interdiocésain de Bulindi à Butembo par le Père assomptionniste Vincent Machozi Karunzu. Le premier colloque portait sur l'ecclésiologie de six différentes confessions religieuses. Il regroupa les points de vue des catholiques romains, des anglicans, des luthériens, des calvinistes, des membres de la C.B.K., et des adventistes du septième jour 1739 .

Le second colloque traitait du baptême et de la rémission des péchés selon les catholiques, les anglicans, les adventistes du septième jour, et les membres du Mouvement Evangélique pour le Sauvetage (M.E.S.). Mais les deux colloques, profitèrent essentiellement aux séminaristes et à leurs professeurs car les participants étaient peu nombreux 1740 .

Le grand pas dans le dialogue œcuménique fut franchi, en 1997, quand Mgr Emmanuel Kataliko accepta d’ouvrir une aumônerie protestante au sein de l’Université Catholique du Graben (UCG). Des rencontres spirituelles entre les étudiants des deux aumôneries, protestante et catholique, sont rares à cause de la difficulté d’insérer de telles activités dans le programme académique. Le recours à des professeurs visiteurs, que le temps limité oblige à dispenser leurs enseignements jusqu’au soir, ne favorise guère ces initiatives spirituelles.

Néanmoins, les relations sont pacifiques entre les services des deux aumôneries, et les discussions informelles entre les étudiants facilitent la connaissance et la compréhension mutuelle, ainsi que la collaboration dans les études. Un incident faillit compromettre cette harmonie, au début de l’année 1999. Les protestants, lors de leurs célébrations dominicales dans la chapelle de l’université, ouverte à toutes les confessions religieuses, manifestaient leur intolérance à l’égard des images religieuses de la Vierge Marie qu’ils couvraient ou mettaient par terre dans les corridors.

L’aumônier général de l’université plaça dans cette chapelle la réserve eucharistique, objet de vénération pour les catholiques, qui touche profondément leur sensibilité spirituelle, à cause de la croyance en la présence réelle du Christ dans le pain consacrée. Une monition accompagna cette installation du tabernacle dans la chapelle. Après un dialogue entre les aumôneries, le respect du « lieu du culte » s’établit 1741 . Les divers protestants qui proviennent de différents coins du diocèse et représentent les différents Instituts universitaires ne s’en prennent plus aux objets du culte catholique.

Les objectifs du dialogue œcuménique proposés par le Magistère de l’Église catholique 1742 en 1965, à savoir le dialogue en vue de la prière commune, -« oecuménisme spirituel »-, de la connaissance réciproque et fraternelle, de l'unité des chrétiens et du respect mutuel, de la collaboration dans le bien commun, du renouveau et de la réforme à l'intérieur et à l'extérieure de chaque confession religieuse demeurent un processus ou même un idéal à atteindre.

Dans le diocèse de Butembo-Beni, la cohabitation avec les autres confessions religieuses est pacifique. L’homogénéité culture y contribue. Les critiques négatives à l’égard des uns et des autres apparaissent comme des comportements régis par le désir de faire prévaloir sa confession religieuse. Malgré cela, dans la famille, les distinctions d’appartenance religieuse perdent leur sens dans la vie quotidienne de la famille : on est frères et sœurs. Cependant, le dialogue religieux est pratiqué comme un dialogue de savoir-vivre ensemble et qui culmine dans un « dialogue spirituel 1743  », selon l’expression du second concile du Vatican. Ainsi les célébrations de naissance, de mariage, de décès, d’ordination sacerdotale, et l’engagement par les vœux pour les religieux sont autant d’occasions qui unissent les personnes dans la prière et la solidarité.

Particulièrement significatifs sont les décès des personnes éminentes dans les différentes confessions religieuses ou parmi les agents de l’Administration. Ces occasions réunissent, dans une même célébration liturgique, des protestants, des musulmans, des anglicans, et d’autres confessions religieuses qui ont, sans distinction de religion, une prière ou un témoignage de vie dans la prédication. La fanfare kimbanguiste unit les participants à cette célébration dans une même attitude de prière.

La même collaboration se reproduisit lors des funérailles de Mgr Emmanuel Kataliko, en 2000, de Kowa, un commerçant protestant, bienfaiteur pour plusieurs confessions religieuses, décédé dans un accident d’avion au Cameroun en 2001. La même chose se présenta à la fin des travaux du Symposium Internationale pour la Paix en Afrique (SIPA),tenus du 26 février au 1er mars 2001, pour la commémoration de la conférence de Berlin (1885), les témoignages des pasteurs protestants, et de différentes personnes provenant de différentes couches sociales ont renforcé l’estime humaine et religieuse des uns et des autres 1744 .

La dernière manifestation des progrès de dialogue réside dans le fait que Mgr Melchisédech Paluku Sikuli et le Révérend Mauka Mathe Bulalo, Représentant légal de la Communauté Baptiste au Centre de l’Afrique centrale, dans une commune lettre du 31 décembre 2000, ont souligné l’indignation des confessions religieuses et de la population locale contre les dirieants de la rébellion et ont dénoncé les méfaits de la guerre 1745 .

Par ailleurs, dans un contexte de crise, les responsables de l’Église catholique sont perçus comme la conscience du peuple car ils peuvent réagir contre les exactions d’un gouvernement injuste et dictatorial ou de la rébellion 1746 . La Société civile et certains pasteurs d’autres confessions religieuses se réunissent volontiers autour du curé ou de l’évêque pour chercher ensemble une solution appropriée aux problèmes et répondre ainsi aux attentes de la population locale. Dans la même perspective, les membres d’autres confessions religieuses trouvent la réponse à certaines des difficultés survenues dans leurs églises chez un Évêque catholique 1747 .

En définitive, dans le diocèse de Butembo-Beni, les problèmes entre les confessions religieuses concernent surtout les sacrements du baptême et des mariages entre les différentes confessions religieuses. Mais, l’intransigeance des adhérents aux nouveaux mouvements religieux, les Témoins de Jéhovah, les adventistes, de certains autres membres d’autres confessions religieuses, ainsi que des « anciens (wazee) de l’Église protestante qui gèrent la direction de l’Église protestante, ne trouble pas la vie concrète de la population locale. Si pour eux dialoguer avec d’autres implique la conversion à leurs croyances religieuses, la vie quotidienne les en dissuade.

Pour les protestants, qui ont une formation humaine et religieuse avancée, l’ouverture à d’autres confessions religieuses ne pose pas de problème d’autant que les protestants, dans le diocèse de Butembo-Beni, sont en grande partie des anciens membres de l’Église catholique. Certains, même parmi les pasteurs, gardent une dévotion à l’égard de Vierge Marie, suite à la croyance aux attributs de Dieu qui relatent que Nyavingi, perçu comme un attribut féminin dans la divinité, est mère de l’abondance et de la prospérité. Ce qui implique aussi la paix dans la culture nande 1748 .

L’appartenance à une confession religieuse dans le diocèse de Butembo-Beni n’entrave pas les liens culturels et la collaboration pour le bien commun au milieu d’une population locale confrontée à la modernité. Le souci de la justice et de la paix s’affirme comme une dimension de toute vie chrétienne :

‘« La coopération dans la construction du Règne de Dieu s’étend d’ailleurs aux diverses dimensions qui le caractérisent et que l’on peut appeler ‘horizontale’ et verticale’. Les chrétiens et les autres croyants bâtissent ensemble le Règne de Dieu, chaque fois qu’ils s’engagent de commun accord en faveur des droits de l’homme, qu’ils travaillent ensemble à la libération intégrale de chaque personne humaine, et spécialement des pauvres et des opprimés. Ils construisent aussi le Règne de Dieu en promouvant les valeurs religieuses et spirituelles. Dans la construction du Royaume, les deux dimensions humaine et religieuse, sont inséparables. En fait, la première est signe de la seconde 1749  ».’

Dans une contrée en quête de Dieu et de paix, cette affirmation incite à un approfondissement des valeurs religieuses et du sens de la fraternité qui unissent les personnes dans divers engagements et contribuent à l’édification d’un peuple ou d’une nation.

Notes
1735.

Nous avons déjà relaté les données chiffrées de 1994 sur certaines confessions religieuses quand nous traitions des obstacles à l'évangélisation du diocèse de Butembo-Beni. Pour les nouveaux mouvements religieux, il est difficile d'en donner actuellement les chiffres approximatifs.

1736.

Synode des Évêques. Assemblée spéciale pour l'Afrique, op. cit., p. 15-16.

1737.

Au marché, par exemple, avant d'acheter ou de vendre sa marchandise, il faut d'abord attendre la fin de la prière récitée par un musulman. Pour consommer la viande, il faudra d'abord se rassurer si un musulman est venu prier lors de l'abattage de la bête.

1738.

Ce document archive non classé relate que la réunion débuta à 10 h. et se termina à 15 h. Il donne aussi de précieux renseignements statistiques de l'année 1984. Sur une population de 1 132 559 habitants, 707 821 étaient des catholiques, 79 222 protestants dont la plupart appartiennent à la Communauté Baptiste au Kivu ou à la Communauté Evangélique au Centre de l’Afrique (CECA). Le reste de la population appartient aux différentes aux autres confessions religieuses. Cette réunion était composée de 13 protestants et de 8 catholiques dont 2 laïcs, professeurs à la catéchèse de Butembo, 5 prêtres diocésains, et Mgr Emmanuel Kataliko, évêque du diocèse.

1739.

Le nombre total des participants s'éleva à 52 personnes dont un Allemand, deux Rwandais, et 49 Congolais.

1740.

L'Eglise. Actes du premier colloque oecuménique de Vulindi. Butembo, le 10 mai 1996, 28 p. Que disons-nous du baptême et de la rémission des péchés ? Butembo, juillet 1997, 42 p.

1741.

Le rédacteur de ce texte a été acteur dans ces faits lors de son ministère d’aumônier général à l’Université Catholique deu Graben (1998-2001). C’est pourquoi il emploie « lieu du culte » au lieu de chapelle universitaire.

1742.

VATICAN II, 'Unitatis Redintengratio' : Decree on Ecumenism, November 21, 1964, n° 6-12, in W.M. ABBOT, (éd.) 'The documents of Vatican II', Gallacher, J, (trans.). New York, America Press, 1966, p. 350-355.

1743.

VATICAN II, 'Unitatis Redintengratio' : Decree on Ecumenism, op. cit., n° 4, p. 354.

1744.

Nous avons déjà parlé des suggestions de ce Symposium dans nos paragraphes qui traitent d’une christianisation dans un contexte politique, dans ce travail.

1745.

Mgr Melchisédech Paluku Sikuli et Révérend Mauka Mathe Bulalo, Butembo, en territoire occupé : Message de paix pour le Nouvel an 2001 par l’Evêque catholique et le Représentant des Baptistes. Butembo, le 31 décembre 2000.

1746.

La synthèse des dénonciations du gouvernement et les propositions de justice et de paix figurent déjà dans ce texte aux paragraphes qui parlent de la christianisation dans un contexte politique en mutation.

1747.

Nous avons déjà parlé de ce problème quand nous étudiions les relations du catholicisme romain avec les protestants dans les paragraphes antérieurs.

1748.

Conversations avec un ami ex-séminariste, M. Kitambala Philippe, (licence en anglais), converti au protestantisme de la Communauté Baptiste au Kivu (1981). Pour lui, la dénomination protestante n’est pas relevante. « On proteste contre qui et contre quoi? ». À son humble avis, il faut vivre fidèlement ses convictions religieuses parce que les questions de la vie peuvent susciter des conversions à d’autres religions qui deviennent ainsi des milieux de refuge ou de gagne-pain. De son côté, l’aumônier protestant de l’UCG, en 1999, (maîtrise en théologie protestante à Kinshasa), me révéla qu’il faudrait une nouvelle génération pour cesser les anciennes critiques des protestants à l’égard des catholiques. Pour lui, il faudrait, dans la théologie, insister sur le Christ-rédempteur.

1749.

Jacques DUPUIS, op. cit., p. 312.