2. Le dispositif missionnaire : auteurs et action pastorale

Le principal facteur des changements culturels chez les Nande tourne autour du pivot central, le prêtre, aidé de ses collaborateurs autochtones. Leur rôle et leur influence s’étendent au milieu de la population locale à travers les œuvres pastorales, scolaires, sanitaires, et sociales. Leur action était essentiellement tournée vers la formation de la conscience à la civilisation chrétienne.

Le missionnaire crée autour de lui un réseau de relations qui constituèrent parmi les autochtones, ses collaborateurs directs. Ceux-ci, en étroite collaboration avec le missionnaire, deviennent les promoteurs et la cheville ouvrière de la christianisation de la population locale. Il se forme ainsi entre le missionnaire, ses collaborateurs et les autochtones un double mouvement : centrifuge et centripète. Ce sont ces agents de la christianisation qui sont les acteurs principaux dans le processus de l’instauration d’une civilisation chrétienne chez les Nande.

Il s’agit principalement du missionnaire et, à sa suite, les membres du clergé autochtone. Il initie les œuvres pastorales, scolaires et sociales. Quel que soit le degré de responsabilité dans ces œuvres, chaque acteur était intimement lié au missionnaire. Les catéchistes dispensent un enseignement religieux. Depuis les années 1939, le rôle des aumôniers et les responsables, religieux ou religieuses et laïcs, des mouvements catholiques initient aussi à la pratique des vertus chrétiennes qui complétaient l’enseignement de la doctrine chrétienne.

Les enseignants à l’école exercent un rôle similaire à celui des catéchistes. En plus de l’instruction scolaire, ils enseignent la religion chrétienne. Les religieuses et les Frères qui n’étaient pas directement impliqués dans les activités pastorales donnaient le témoignage chrétien de charité auprès de la population locale pour soulager certaines misères physiques ou entreprendre des œuvres sociales. Ils forment alors la population locale à divers métiers qui contribuèrent à l’amélioration des conditions de vie dans le monde environnant.

Le rôle du missionnaire dans la mutation culturelle nande fut capital. Le missionnaire entreprit un travail de réorientation de la vie du peuple dans le cadre de ce qu’il appelait la civilisation chrétienne. Cette stratégie missionnaire était constituée de trois principales activités : les œuvres pastorales, scolaires et hospitalières. Ces œuvres sont à l’origine de nouveaux types de rapports basés sur la promotion de la personne au sein de la communauté. On rencontre entre autres des catéchistes ou enseignants de religion (waalimu wa dini), des enseignants d’écoles (waalimu wa masomo), et des infirmiers (munganga ou muferemye).

Le poste de mission (ou la paroisse) était le pivot des activités du missionnaire. Il était constitué de la résidence du missionnaire, d’une église, lieu du culte (ovuhima), entouré d’un catéchuménat, d’écoles primaires ou artisanales, des services de santé, et du personnel qui s’occupait de ses œuvres. Le catéchuménat et ses épreuves, assimilé à la grande initiation masculine chez les Nande convertis, fut un temps facteur d’une « crise de conscience individuelle 1768  ». Isolé de son milieu naturel, loin de l’influence païenne, l’enseignement religieux reçu avait pour but d’opérer chez la personne un changement intérieur qui se concrétisait dans les pratiques chrétiennes.

Ce cheminement perdure encore. Il s’agit de maîtriser par cœur les enseignements de la religion chrétienne et sa morale qui se traduit par la fréquentation de la messe et de la prière. Ce long processus de trois ans au bout desquels le catéchumène recoit le baptême est un temps de conversion, c’est-à-dire de changement de mentalité, d’abandon du paganisme et de reniement de sa propre culture.

Aux yeux de la population locale attachée à la tradition, le catéchuménat était « un temps d’empoisonnement de la conscience » ou encore de la « destruction de l’intelligence » des catéchumènes (en swahili, kuaribisha akili ya walomba ou en kikande, eritsandia omitima yavalomba). Le nouveau comportement qu’adoptaient les convertis confirmait le diagnostic : le port des insignes chrétiens, la fréquentation de la paroisse, les levées matinales pour la messe, l’absence fréquente dans la véranda, marquaient le différence des manières de vivre.

C’est pourquoi les chrétiens nande qui reniaient la nouvelle religion recevaient un vomitif comme pour les cas d’empoisonnement ou d’envoûtement par le cannibalisme. De là est née l’expression et la pratique de « faire vomir la religion » (erimusal’ekisomo) pour pouvoir réintégrer le converti au christianisme dans la vie ancestrale.

L’acceptation du processus, par lequel on abandonnait progressivement les croyances traditionnelles pour adhérer à la religion chrétienne, jusque parfois à en devenir le propagandiste dans son milieu, était-elle toujours désintéressée ? Sans nulle doute, toutes les motivations n’étaient pas sincères. Certains, pour une raison sociale ou religieuse, pouvaient embrasser la « religion du Père » perçue comme une religion supérieure. La conversion au christianisme signifiait alors une promotion, l’accès au statut « d’homme du Père », et profiter de certains avantages auprès de lui. Les hommes qui étaient au service du missionnaire étaient exemptés des corvées et d’impôts. Ils bénéficiaient de l’enseignement scolaire, et profitaient des soins médicaux auprès des religieuses.

La situation n’a guère changé. L’influence et les contacts permanents des missionnaires et des prêtres diococésains avec le peuple lors de leurs randonnées en brousse favorisent l’adhésion au christianisme. Ces tournées apostoliques aboutissent à la création de nouvelles communautés sous la direction des catéchistes et de son conseil (wacomité). Le but de ce conseil est de favoriser la communion fraternelle entre les membres, un soutien mutuel dans la foi, et chercher ensemble des solutions aux problèmes que rencontrent la communauté ou ses membres.

La population éloignée pouvait ainsi jouir d’une chapelle-école, d’un poste de santé et à certains endroits de la présence des religieuses. Il en résulte la formation de nouvelles entités ecclésiastiques, de nouvelles formes d’appartenance géographique correspondant à l’étendue de ces secteurs de la mission, et de nouvelles formes de relations entre les chrétiens. À l’exception du prêtre, la direction et l’organisation de ces postes succursales par les catéchistes reproduisent le modèle du curé de la paroisse. Les autochtones prirent ainsi leurs responsabilités dans la christianisation de leurs congénères.

Dans cette décentralisation, la présence du catéchiste reste incontournable. Il est l’auxiliaire indispensable du missionnaire, et en même temps son représentant auprès du peuple. Du catéchiste dépend, désormais, la qualité de la vie religieuse dans le village. Ce constat rejoint les observations de D. Fr De Meeus et D.R. Steenberghen et John Baur chez les catholiques comme chez les protestants :

‘« Leur importance, dans l’œuvre missionnaire, est considérable. Souvent tant vaut le catéchiste, tant vaudra, au point de vue chrétien le village. De son assiduité, de sa conduite, de bons exemples de vie chrétienne qu’il pourra donner dépendra parfois l’orientation religieuse de toute la contrée 1769 . Bientôt, le catéchiste devint plus qu’un enseignant, il fut aussi pasteur de sa petite communauté chrétienne et il jouissait de la plus grande autorité morale dans sa population. Son seul handicap était sa propre connaissance rudimentaire de la foi chrétienne, mais ce qui lui manquait en érudition, il le comblait par sa conviction 1770 .’

Le catéchiste rend présente l’Église, la met à la portée du peuple dans toutes les circonstances de la vie sociale : à la naissance, à la célébration du mariage, à l’enterrement, à la préparation aux sacrements, à la réconciliation entre les personnes, et lors de la palabre. Dans ces situations, en l’absence du prêtre, il peut concilier la vie traditionnelle avec les pratiques chrétiennes. C’est pourquoi John Baur appelle le catéchiste « un grand médiateur entre la voie traditionnelle et la nouvelle manière de vivre 1771  ».

La formation des « œuvres de persévérance », c’est-à-dire les mouvements d’action catholique, constituait un moyen d’étendre l’influence du missionnaire sur la chrétienté, et d’imprégner le christianisme dans le cœur de ses fidèles. Leur but est devenu celui de consolider la foi chrétienne des membres, de chercher leur sanctification, de susciter en eux la ferveur apostolique, et les incitant au témoignage de vie chrétienne dans leur milieu.

Ce témoignage réside dans la pratique des vertus spirituelles, morales, et humaines qui se compénétrent. Ces vertus sont aussi orientées vers la « sainteté personnelle » des membres, l’amour et le service de l’Église. Ainsi, selon les groupes d’âge, les enseignements reçus portent sur le sens du devoir envers Dieu, les parents, la société, le pays, et le respect de l’autre.

Au niveau individuel, le chef du groupe insiste sur le sens de la responsabilité et de la créativité, de la conduite morale, civique, et spirituelle, du travail bienfait et du service gratuit. Il les incite aussi à travailler personnellement sur eux-mêmes afin de supprimer les défauts, d’éviter les mauvaises compagnies provenant du milieu païen, d’avoir de sains loisirs, et de mener un idéal de vie chrétienne calqué sur les vertus humaines et évangéliques.

Sur le plan communautaire, on éveille chez les membres des mouvements le souci de compréhension mutuelle, d’émulation, de solidarité, d’entraide, l’amour du prochain, en particulier ceux qui sont dans le besoin, les malades, les handicapés, les pauvres, les vieillards. Il faut, selon les expressions qui en surgirent : « se rendre le bon samaritain (msamaria mwema) pour tous, et pratiquer « la BA », abréviation qui est passée dans le langage chrétien (ebea). Elle signifie par ses initiales « opérer une bonne action », c’est-à-dire se rendre utile, agréable, et aimable. Elle implique aussi le sens du désintéressement.

Ces vertus chrétiennes sont similaires à celles qui étaient apprises lors de l’initiation. La nouveauté de l’enseignement dans les mouvements catholiques se rencontre dans les groupes dédiés à une dévotion spécifiques : au Sacré-Cœur de Jésus, à la Vierge Marie, au Cœur Immaculé de Marie, à la Sainte Famille, au Saint-Esprit, à l’adoration de l’Eucharistie, et aux divers services de la célébration de la messe.

L’adhésion aux mouvements catholiques s’explique par le fait que plusieurs y cherchent des relations spirituelles durables, et une formation humaine qui puisse les aider à affronter les exigences de la vie d’une personne adulte. Certains s’y préparent au mariage et y choisissent leur conjoint. Les mouvements sont à la source d’une amitié durable entre les membres, à tel point qu’ils sont devenus des formes de fraternités dans le diocèse de Butembo-Beni. Enfin, les mouvements catholiques sont devenus des pépinières des vocations à la vie religieuse et sacerdotale, et des lieux de recrutement de militants laïcs.

On ne peut oublier ici le rôle de l’aumônier, l’influence des enseignants et des membres des congrégations religieuses, et des parents qui encouragent et stimulent leurs enfants à adhérer aux mouvements. Ils sont autant d’agents de la diffusion de valeurs religieuses, morales, humaines dans leur milieu. Ces valeurs sont condensées dans un « mot d’ordre hebdomadaire ». Ce mot d’ordre consiste en un exercice ou une pratique d’une des valeurs proposées par le chef du groupe. Chacun en rend compte à la prochaine rencontre et reçoit des conseils supplémentaires pour pouvoir surmonter les difficultés rencontrées lors de ces exercices.

L’esprit de ces groupes religieux a fortement imprégné la chrétienté à tel point qu’il triompha des grands convulsions politiques du pays dans sa marche vers l’indépendance (1960), après la rébellion muleliste (1964), dans les années 1970, lors de la politique de l’authenticité et la suppression des mouvements chrétiens, et les guerres d’occupation du Nord-Kivu (1980-2005) La clef d’interprétation de ce phénomène réside dans le sentiment d’attachement et d’appartenance à un groupe et à la paroisse qui présente un nouvel idéal de vie. Dans ce contexte, l’observation de D. Fr. De Meeus et D.R. Steenberghen est applicable au diocèse de Butembo-Beni. Ils affirment que « La paroisse devint la source d’irradiation des principes chrétiens, moraux, religieux, et sociaux 1772  ».

Selon leurs groupes d’âge, la paroisse encadre les personnes qui ont adhéré au christianisme dans un réseau de rapports d’appartenance humaine, communautaire, religieuse et géographique. On y adhère librement. Par la persuasion, le chef du groupe ou l’aumônier, -religieux ou religieuse-, l’enseignant ou le catéchiste inculquent des attitudes que les membres sont appelés à adopter. Cet enseignement s’enracine dans les consciences des membres à tel point que la séparation du groupe n’entraîne pas toujours le rejet de l’idéal poursuivi dans le groupe, et ne supprime pas l’amitié.

En définitive, avec les mouvements catholiques, il s’est introduit une pluralité d’appartenances humaines ou spirituelles au sein d’une même communauté chrétienne et villageoise. On est membre d’une famille, d’un mouvement dans cette paroisse ou dans une autre, si le mouvement de son choix n’existe pas chez soi. Cela fait autant d’engagements.

À l’intérieur d’une même chrétienté issue de la même population, cette situation est à l’origine de distinctions entre les personnes à partir de leur ferveur chrétienne ou de leur appartenance aux mouvements d’action catholique. Il y a ainsi des catéchistes, des wacomité (conseil des anciens), des membres de différents mouvements catholiques, les chrétiens ordinaires, c’est-à-dire les baptisés, les païens, les membres des diverses confessions chrétiennes et des sectes.

Cependant, cette classification ne rend pas compte de l’importance des relations spirituelles qui existent entre les parents et les enfants au sein de la famille. Ils sont aussi « apôtres », à leur manière, au sein de leurs familles. Ils donnent les premiers éléments du christianisme à leurs enfants. Ces derniers, spontanément, deviennent à leur tour des « christianisateurs ».

Par leur incapacité à réciter ou à exécuter convenablement une prière ou un cantique, et par leurs questions sur des affaires religieuses, les enfants aident leurs aînés et leurs parents à assimiler et à approfondir la foi qu’ils doivent traduire dans un langage compréhensible par l’enfant. Les maladresses de l’enfant dans la prière et les chants, à longueur de journée, sont l’objet de rectifications de la part des adultes.

Ces derniers, par les corrections et l’explication de certains éléments de la doctrine chrétienne qu’ils donnent, finissent par s’imprégner de ce qu’ils apprennent aux enfants. Il en va de même de nouveaux chants liturgiques que les enfants apprennent à leurs parents. Ainsi, dans la famille, chacun selon son rang et ses capacités transmet l’enseignement chrétien reçu du catéchiste, de l’enseignant de l’école primaire ou du curé de la paroisse.

Pour le missionnaire l’école était aussi un moyen de christianisation. Mais, pour certains observateurs comme Epiphane Casimir Sandwibé du Burkano Faso, l’école, ainsi que les centres d’alphabétisation, les randonnées en brousse et les des œuvres des missionnaires constituaient des « appâts 1773  » pour attirer des personnes à convertir. Adu A. Boahen force même le trait quand il affirme que « l’école était l’Église 1774  ». À vrai dire, l’instruction scolaire s’accompagne souvent de l’éducation chrétienne. Dans le diocèse de Butembo-Beni, les catéchumènes constituent le tiers des élèves qui reçoivent le baptême ou la confirmation durant l’année en cours 1775 .

Ce phénomène s’explique par le fait que les parents pauvres poussent leurs enfants à l’école primaire pou qu’ils bénéficient des instructions scolaires et de l’enseignement religieux. Après la réception des sacrements, ces élèves peuvent être libres d’abandonner l’école car ils n’ont plus que des instructions à suivre pour recevoir le sacrement de mariage.

Les six ans d’école primaire transforment la place des enfants au village. Grâce à l’école, à l’âge de douze ans, l’enfant peut-être plus utile à ses parents que celui qui a passé trois ans à la paroisse où il alternait l’enseignement religieux avec les travaux des champs qui servent à l’autofinancement de la paroisse. Il peut déchiffrer une lettre et en fournir une interprétation, comme il peut aussi répondre à une correspondance sous la dictée de l’expéditeur.

L’école a aussi été un moyen de formation pour les agents pastoraux, soit dans le séminaire, soit dans les écoles pédagogiques et normales, soit par la formation professionnelle du personnel dont le missionnaire avait besoin : les maçons, les menuisiers, les mécaniciens, les éleveurs de bétail. Cette vision pastorale de l’école était cependant très utilitaire, à tel point que, dans tout le Congo-Kinshasa, en 1960, lors de l’accession du pays à l’indépendance, il n’y avait que 16 diplômés universitaires et plus de 600 prêtres congolais 1776 .

En somme, l’école devint pour la population locale le moyen d’accéder à une culture présumée supérieure. Elle permettait de maîtriser les connaissances de l’Européen, d’acquérir de nouvelles méthodes d’agriculture et d’élevage des animaux domestiques, d’améliorer l’habitat, d’accéder à la nouvelle religion. Au sortir de l’école, on pouvait devenir un commis, un enseignant, un infirmier ou exercer un métier professionnel, et recevoir un salaire. Beaucoup plus rarement, elle ouvrait l’accès l’élite intellectuelle.

L’école est restée une source d’émulation entre les personnes, d’acquisition de nouveaux schèmes de pensée, à la manière des Blancs, et ouverture à l’universel. Elle favorise l’usage de la langue française dans les activités administratives sur tout l’étendue de la république. Dans le diocèse de Butembo-Beni, les missionnaires ajoutèrent l’approfondissement du swahili au français. Cette langue vernaculaire prédomine sur le kinande dans la pastorale missionnaire. Elle réalise la cohésion de différents groupes ethniques du diocèse et ouvre aux autres pays africains, le Kenya et la Tanzanie.

À l’éveil du nationalisme et après les années de l’indépendance (1950-1964), cette élite fournit les leaders de divers partis politiques. Ce multipartisme, avec les mouvements de rébellion potentiels qu’il génère, contraste avec la conception traditionnelle du gouvernement des populations locales par un chef.

Le service médical contribue aussi à la transformation des mentalités. La gestion de la santé était directement liée au missionnaire, comme les œuvres pastorales et scolaires. Il se déploie dans les dispensaires, les maternités, les hôpitaux, les centres de santé. Ce ministère est perçu par la population locale comme un « apostolat de charité » que la population apprécie par cette expression « le missionnaire concrétise sa prédication sur l’amour en touchant les malades (anagusa wagonjwa ou akatul’okovakoni) ».

Cependant, cela ne fit pas disparaître la répugnance pour le sacrement des malades communément appelé l’extrême onction ou « le dernier sacrement » (en swahili, sakramenti ya mwisho). Cette dernière terminologie est la plus répandue. Il est rare qu’au départ du prêtre, le malade survive car, en réalité, le prêtre vient administrer des moribonds.

Les orphelinats chez les Nande sont une autre révolution culturelle. La tradition interdisait qu’une maman allaite un enfant, qui n’est pas sienne, à moins qu’elle ne soit de la parenté de la défunte. Le risque est grand d’être prise pour une sorcière de la défunte. Les orphelinats ont introduit de nouvelles formes d’adoption d’enfants en bas âge dans des familles chrétiennes.

Par ailleurs, le succès de la médecine européenne fait reculer progressivement le recours aux soins thérapeutiques auprès des sorciers, des féticheurs et des devins. Néanmoins, elle a une limite : elle ne soigne pas les blessures morales occasionnées par la maladie, et ne défend pas la personne contre le sorcier, auteur de la maladie. Ce fait explique la coexistence de deux traitements pour une même maladie par les soins de la médecine moderne et traditionnelle. Enfin, la fréquentation des maternités et les consultations prénatales a permis aux religieuses d’inculquer quelques notions de puériculture auprès des mamans, et les aider à réduire la mortalité infantile.

Somme toute, l’instruction religieuse et scolaire, et « l’apostolat de charité » ont diffusé des nouvelles valeurs chrétiennes et humaines dans la masse. La formation à un métier dans les ouvroirs, les écoles artisanales, les fermes-écoles, la réception des soins médicaux mettent continuellement le peuple en contact avec les missionnaires étrangers, puis autochtones.

Ainsi, en enfonçant un clou dans une planche, en manipulant la boue et la truelle, en recevant une piqûre de pénicilline, en allant à la consultation prénatale (lieu d’attente : evulindiriri) ou à l’orphelinat, en soignant les handicaps physiques et mentaux, le peuple intériorise des valeurs religieuses et humaines, visant le bien-être social, le développement et la transformation progressive du milieu. L’apprentissage des techniques se doublait d’une transformation des individus. C’est pourquoi, il est dit des menuisiers « qu’ils enfoncent des clous dans leurs têtes, et des maçons qu’ils pétrissent leur cerveau (kupigilia muzumari mukichwa, eritstumb’ovongo) ».

Notes
1768.

D. Fr De MEEUS et D.R. STEENBERGHEN, op. cit., p. 73.

1769.

Ibid., p. 72.

1770.

John BAUR, 2000 ans de christianisme en Afrique, op. cit., p. 438.

1771.

Ibidem, p. 449.

1772.

D. Fr De MEEUS et D.R. STEENBERGHEN, op. cit.., p. 73.

1773.

Épiphane Casimir SANDWIBÉ, Histoire de l’Église au Burkina Faso, op. cit., p. 175-180

1774.

A Adu BOAHEN, op. cit., p. 358.

1775.

Observations de l’auteur de ce texte dans la paroisse de Mbao (1986-1991).

1776.

Jean STENGERS, op. cit., p. 208-209.